En cette fin d’année 2024, j'ai eu besoin de prendre du recul. Je suis parti m'isoler quelques jours à Joshua Tree, dans ce désert californien où le temps semble suspendu. Loin du tumulte de San Francisco et des discussions passionnées sur l'IA, j'ai voulu mettre en perspective ce que j’avais appris cette année.
2024 a été une année charnière : l'IA qui explose dans tous les sens, les deepfakes qui envahissent nos réseaux, Trump qui fait son retour... Mais 2025, c'est l'année où tout ce qu'on a vu émerger va vraiment commencer à impacter nos vies. J'ai bien conscience que cette année commence comme un mauvais roman de science-fiction, mais je reste persuadé que 2025 va être l'une des années les plus intéressantes de la décennie.
Ce qui est fascinant avec 2025, c'est que pour la première fois, on a l'impression que la Tech ne suit plus son petit bonhomme de chemin habituel. Entre l'IA qui redéfinit le travail, le quantum qui sort des labos, et un ordre mondial Tech qui se recompose sous nos yeux, on est à un moment où tout peut basculer.
Assis face aux rochers de Joshua Tree, j'ai tenté de démêler ces fils qui tissent notre avenir proche et voici quelques reflexions/prédictions qui me sont apparues.
L'IA va définitivement transformer le business en 2025
Dans la Silicon Valley, un nouveau terme circule : "Shadow AI". Un phénomène qui va marquer 2025 bien plus profondément que tout ce qu'on a vu jusqu'ici. L'année dernière, on parlait déjà de l'IA qui allait transformer le business. Mais ce qui arrive va être d'une tout autre dimension : l'IA ne va plus seulement assister le travail, elle va le redéfinir complètement.
Cette "Shadow AI", c'est la face cachée de la transformation en cours. Les employés, sous pression constante, vont de plus en plus se mettre à utiliser en secret des agents IA pour automatiser leur travail. J’en parlais d’ailleurs dans un récent post que j’avais appelé “La Grande Illusion du Travail”.
La Grande Illusion du Travail
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December 21, 2024
Les équipes commerciales seront les premières touchées par ce changement. Leurs effectifs seront réduits de moitié, pendant que leurs objectifs doubleront. Pourquoi ? Parce que l'IA va gérer si bien la prospection et le suivi que les sales vont pouvoir se concentrer uniquement sur ce qui compte vraiment : la stratégie et les relations humaines.
Cette transformation va dans le même temps créer un nouveau modèle d'entreprise fascinant : les "mono-entreprises". Imaginez une seule personne, orchestrant une armée d'agents IA, capable de générer des millions de revenus. Florent Crivello, CEO de Lindy, nous en parlait d’ailleurs dans un épisode récent de Silicon Carne. Le développement logiciel va devenir méconnaissable. Exit les cycles de versions traditionnels, place à une évolution continue pilotée par l'IA. Dans les startups de la Valley, cette révolution est déjà en marche : les équipes basculent vers une nouvelle répartition, 80% de product people pour 20% d'ingénieurs. La logique est implacable - quand l'IA s'occupe du code, tout l'enjeu devient de savoir quoi construire.
Mais attention aux zones d'ombre.
Certains analystes anticipent déjà qu'une entreprise du Fortune 500 perdra des milliards en 2025 quand ses agents IA vont prendre des milliers de mauvaises décisions en quelques minutes. Certains conseils d'administration l'ont compris, et créent déjà dans l'urgence des postes de "gouvernance IA". En réaction, un mouvement "AI-free" pourrait bien émerger : des produits vont se vanter d'être "faits par des humains". Non pas parce qu'ils seront meilleurs, mais parce qu’ils seront plus prédictibles et contrôlables.
Cette révolution technologique va créer une nouvelle fracture sociale : d'un côté, ceux qui sauront orchestrer ces agents IA, de l'autre, ceux qui seront orchestrés par eux. Les managers intermédiaires vont évoluer en superviseurs d'agents (moins de temps en réunion…). Une transformation qui va commencer dans la tech avant de s'étendre inexorablement à tous les secteurs.
Pour l’instant, l'optimisme règne dans la Silicon Valley. Les CEO des entreprises d'IA sont convaincus que l'impact va être déflationniste et va stimuler la croissance du PIB. Je pense pour ma part que les pertes d'emplois vont être colossales… Alors oui bien entendu, "On créera de nouveaux métiers, comme toujours". Mais la réalité pourrait être plus complexe. Le changement va être profond et douloureux et la mise en place d’un revenu universel de base va devenir inévitable si l’on veut amortir le choc de cette transformation. J’aurai tellement aimé que la France et l’Europe soit aux avant poste dans ce domaine…
La bataille réglementaire de l'IA ne fait que commencer
Pendant que la Silicon Valley s'enthousiasme pour sa révolution de l'IA, un autre combat se prépare dans les couloirs du pouvoir. À Washington et à Bruxelles, l'heure n'est pas à la célébration mais à l'inquiétude. Et 2025 s'annonce comme l'année de toutes les batailles réglementaires.
L'Europe a déjà choisi son camp avec l'AI Act. Les États-Unis, eux, vont prendre un chemin radicalement différent : pas de cadre fédéral, mais une régulation État par État. La Californie, comme à son habitude, va montrer la voie. Au 1er janvier 2025, elle a imposé une série de lois qui redéfinit les règles du jeu. Les deepfakes sont dans le viseur : interdiction de la pornographie générée par IA, protection renforcée des mineurs, obligation pour les réseaux sociaux de retirer ces contenus. La loi va même jusqu'à protéger les morts - il faut désormais l'accord des héritiers pour utiliser leur voix ou leur image via l'IA.
La politique va devenir un champ de bataille majeur en 2025.
Les partis politiques devront déclarer leur utilisation d'IA dans leurs spots publicitaires. Mais la résistance s'organisera : X et le Babylon Bee attaqueront la loi californienne sur les deepfakes politiques, brandissant le Premier Amendement comme bouclier.
En l'absence d'action du Congrès, 2025 va voir émerger une véritable mosaïque réglementaire. Le Texas prépare sa riposte contre le social scoring et la reconnaissance des émotions par IA. L'Illinois prévoit d’interdire la discrimination à l'embauche via l'IA. Le Colorado va forcer les développeurs à protéger les consommateurs contre les biais discriminatoires.
C'est un véritable Far West réglementaire qui se dessine. Les géants de la tech vont contester ces lois État par État, pendant que d'autres États vont s'empresser de copier le modèle californien. Entre une Silicon Valley qui veut aller vite et des régulateurs qui veulent mettre des garde-fous, 2025 va être l'année de tous les affrontements.
La grande guerre de l'IA est pour bientôt
La lune de miel entre OpenAI et Microsoft touche à sa fin. Cette relation, qui a marqué l'histoire de l'IA en 2024, va connaître un tournant majeur en 2025. Entre les cadres d'OpenAI qui s'impatientent face à la lenteur de Microsoft à fournir des serveurs, et les tensions croissantes autour de la transformation d'OpenAI en entreprise à but lucratif, le "meilleur bromance de la tech" va voler en éclats. OpenAI va probablement mettre fin à son accord d'exclusivité avec Microsoft pour proposer ses modèles via d'autres cloud providers.
2025 va aussi marquer la fin d'une ère technologique. Le prochain modèle d'OpenAI, Orion, va être plus qu'une simple évolution : une véritable révolution qui va fusionner les approches traditionnelles de LLM avec des modèles de "raisonnement" plus sophistiqués. Exit l'appellation "GPT", place à une nouvelle ère.
Pendant ce temps, les challengers comme Cohere et Mistral, malgré leur potentiel technique, restent des nains au pays des géants. Avec seulement 35 et 40 millions de dollars de revenus annualisés fin 2024 (contre 4 milliards pour OpenAI), ils vont probablement suivre le chemin d'Adept, Inflection et Character.AI en se faisant absorber par les géants de la tech.
La vraie nouveauté de 2025 va être l'arrivée des agents IA. Après deux ans de promesses, Google, OpenAI et Anthropic vont enfin concrétiser avec des agents capables de "voir" et naviguer sur le web comme des humains, grâce aux progrès des modèles multi-modaux.
Mais la surprise pourrait venir de Chine. Malgré les restrictions sur l'export des puces Nvidia, les modèles chinois continuent leur progression fulgurante, ayant appris à maximiser l'utilisation des anciennes puces. 2025 pourrait être l'année où un modèle chinois dépasse les modèles américains sur des benchmarks de référence.
Le défi énergétique de l'IA
Derrière cette course à l'IA se cache un défi colossal : l'énergie. Une simple requête ChatGPT consomme déjà 10 fois plus d'énergie qu'une recherche Google. Ce n'est pas un hasard si les secteurs de l'énergie et de la technologie dominent les classements des entreprises les plus valorisées, hier comme aujourd'hui. Dans notre économie de la connaissance, l'informatique et l'énergie sont indissociables.
Face à ce défi, le nucléaire apparaît comme une solution incontournable. Si l'éolien et le solaire ont leur place, ils ne peuvent rivaliser avec la puissance et la fiabilité du nucléaire. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : un seul réacteur nucléaire équivaut à 800 éoliennes ou 8,5 millions de panneaux solaires. Aux États-Unis, le nucléaire fournit déjà 48% de l'énergie propre.
Le paradoxe du nucléaire est qu'il a été le produit le plus mal brandé de l'histoire, alors qu’il offre le meilleur compromis énergétique. Pour mettre les choses en perspective : tout le combustible nucléaire usagé produit par les États-Unis en 60 ans tiendrait sur 10 mètres d'un terrain de football.
Face à l'appétit vorace de l'IA en énergie, 2025 va nous forcer à faire des choix cruciaux. Les data centers qui alimentent nos modèles d'IA consomment déjà l'équivalent de petits pays. Avec l'arrivée des agents IA et des modèles toujours plus gourmands en calcul, cette consommation va exploser. Les énergies renouvelables seules ne suffiront pas à répondre à cette demande exponentielle.
Le nucléaire sera la seule option viable pour soutenir cette révolution technologique. Sans une source d'énergie massive, fiable et décarbonée, nos ambitions en matière d'IA risquent de se heurter à un mur énergétique. C'est un choix difficile qui nous attend : accepter le nucléaire avec ses risques maîtrisés, ou freiner notre évolution technologique. 2025 sera l'année où ces questions énergétiques vont devenir impossibles à ignorer.
2025 : L'année où le quantum va enfin décoller
Quelque chose d'extraordinaire vient de se produire à Goleta, Californie. Dans un laboratoire de Google, une machine quantique a réalisé en quelques minutes un calcul qui aurait pris dix septillion d'années à nos plus puissants super-ordinateurs. Pour mettre cela en perspective, c'est comme si nous venions de passer du cheval à l'avion supersonique en un instant.
Ce qui rend cette avancée particulièrement fascinante, c'est qu'elle représente la fusion de deux mondes qui, jusqu'ici, évoluaient en parallèle. D'un côté, nous avons les théoriciens, ces physiciens qui naviguent dans l'univers étrange d'Einstein, où les particules peuvent exister dans plusieurs états simultanément. De l'autre, les ingénieurs pragmatiques qui doivent maintenir des systèmes à des températures proches du zéro absolu. Le génie de Hartmut Neven, ancien expert en computer vision qui a fondé le Quantum AI lab de Google en 2013, a été de réussir l'impossible : faire collaborer ces deux univers.
Mais la vraie révolution de 2025 ne sera pas technique - elle sera commerciale. Le quantum sort enfin des laboratoires. Si aujourd'hui il aide déjà les physiciens dans leurs recherches théoriques, ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. Les applications qui se profilent donnent le vertige : simulation de molécules complexes pour créer des médicaments révolutionnaires, optimisation des réseaux électriques à une échelle jamais vue, et peut-être même percée dans notre compréhension de l'univers.
Sundar Pichai, le CEO de Google, compare le quantum d'aujourd'hui à l'IA des années 2010, juste avant son explosion. Le parallèle est saisissant. Google ne s'y trompe pas : l'entreprise recrute massivement des ingénieurs pour travailler aux côtés des physiciens quantiques, visant des applications commerciales d'ici 5 ans. Comme le résume parfaitement Anthony Megrant, l'architecte en chef du programme : "On est passés de la pure théorie à l'ingénierie pratique."
Contrairement à la révolution de l'IA qui nous a pris par surprise, cette fois nous voyons la vague quantique arriver. 2025 pourrait bien être l'année où la science-fiction devient réalité. Et pour une fois, la France pourrait bien être prête à surfer cette vague.
La question n'est plus de savoir si le quantum va tenir ses promesses, mais quand. Et tout indique que ce moment est enfin arrivé.
La fin du smartphone est proche (et c'est une bonne nouvelle)
Une révolution silencieuse est en train de se produire dans notre façon d'interagir avec la technologie. Les Ray-Ban Meta n'étaient qu'un avant-goût - 2025 va marquer la fin de l'hégémonie du smartphone comme interface principale de nos vies numériques.
Cette transformation va se jouer sur trois fronts. D'abord, le visuel. Meta prépare ses lunettes Hypernova avec affichage tête haute, pendant qu'Apple peaufine un Vision Pro 2 plus accessible. Même Google, qui s'était brûlé les ailes avec ses Google Glass, revient dans la course avec un projet encore secret. La réalité augmentée n'est plus une promesse futuriste - elle devient notre quotidien.