1. Introduction
Vous prenez votre smartphone. Immédiatement, un flux d’alertes, de « contenus à ne pas manquer » et de vidéos virales vous happe.
Un piège ? Non, la promesse originelle de l’économie de l’attention : capter chaque millième de votre conscience pour mieux la monétiser. Selon Toffler (1970), cette « surcharge d’informations » crée un choc : nous devenons passifs, réactifs.
Pourtant, qui pourrait nier l’élan libérateur initial ? Plus de choix, plus de découverte, plus d’interactions. Harari (2015) y voyait l’avènement d’un citoyen hyperconnecté, acteur d’une démocratie participative. Reste que le « plus » est vite devenu « toujours plus » : plus de clics, plus de données, plus de pollution cognitive.
Résultat : un esprit éclaté, incapable de s’ancrer. Virilio (1976) parlait de dromologie — la tyrannie de la vitesse. Nous vivons désormais en rafales, ballotés entre notifications, bulles de filtres et clickbait. Question : sommes-nous encore maîtres de nos pensées ?
L’économie de l’intention prétend inverser la tendance. Plutôt que de vous bombarder, elle vous questionne : « Que voulez-vous vraiment accomplir ? » Mais attention : si le pouvoir passe des plateformes aux assistants, ne retomberons-nous pas dans les mêmes logiques extractives ? Dans cet article, nous allons :
- Éclairer les dangers toxiques de l’économie de l’attention.
- Mesurer les promesses et les ombres portées de l’économie de l’intention.
- Définir les principes d’un agent réellement aligné.
- Examiner les opportunités et risques concrets des agents d’intention.
2. L’économie de l’attention : promesse et impasse
2.1. Aux origines : de la télévision au scroll infini
Devenue un média populaire depuis les années 50, la télévision inaugure la traque du regard, le PDG de TF1 dira d’ailleurs vendre du temps de cerveau disponible, citation qui lui vaudra de fameux retours de baton par ailleurs. Chaque seconde de visionnage vaut de l’or (Toffler, 1970). A l’heure du numérique et des toutes puissantes plateformes, souvent monopolistiques de fait, ce concept est bien connu, trop bien connu. Moteurs de recherche d’abord, réseaux sociaux ensuite, Facebook, Instagram, Snapchat et puis TikTok, tous sont entrés en guerre pour l’obtention de notre attention et de ce sacrosaint ‘temps de cerveau disponible’. Du zapping linéaire au flux sans fin, la logique reste la même : augmenter le temps passé à l’écran pour booster les revenus publicitiaires.
Mais à quel prix ?
2.2. Mécanismes clés : notifications, feeds gratuits, clickbait
- Notifications en boucle : un « ding » toutes les cinq minutes. Vous voulez finir un paragraphe ? Impossible.
- Feeds gratuits : l’illusion du cadeau, qui coûte pourtant votre concentration.
- Clickbait et titres racoleurs : promesse de vérité, mais souvent remplissage de vide.
Chaque mécanisme pousse à cliquer, à scroller, à rester. Résultat : l’utilisateur devient un marqueur de performance, non plus un acteur conscient.
2.3. Promesses initiales vs dérives actuelles
À ses débuts, l’économie de l’attention se présentait en utopie vertueuse : plus de pertinence, plus d’interactions, plus d’opportunités pour les créateurs. Lipovetsky (2002) y voyait la libération créative.
Pourtant, très vite, cette quête de l’engagement se retourne contre le consommateur :
- Bulle de filtres : on vous enferme dans un écho, pas dans une diversité d’idées.
- Monétisation agressive : chaque clic sert de carburant à la machine publicitaire.
- Effet d’accoutumance : plus de stimuli pour la même dose de satisfaction.
Où est passée la promesse de pertinence ? Seule la croissance des métriques compte.
2.4. Effets sur la cognition : fragmentation mentale
Virilio (1976) parlait de « dromologie » : la vitesse comme logique de pouvoir. Aujourd’hui, nous ne vivons plus à vitesse constante, mais en rafales chaotiques. Résultat : notre esprit se fragmenté ; incapacité à tenir une réflexion longue, à planter un clou symbolique dans un projet.
- Exponentiel vs linéaire : chaque nouveauté arrive plus vite que notre capacité à la digérer.
- Centralisation vs dispersion : des plateformes toutes-puissantes fragmentent nos trajectoires de pensée.
Fragmentation mentale ou simple étalement de soi ? La question demeure, mais les conséquences sont déjà là : stress, anxiété, perte de sens.
3. L’émergence de l’économie de l’intention
3.1 Définition : passer du « réactif » au « proactif »
L’économie de l’attention vous traque ; l’économie de l’intention vous accompagne. Plutôt que d’attendre que vous cliquiez sur des contenus, elle cherche à comprendre ce que vous voulez vraiment accomplir. Comment ? En modélisant vos projets, vos échéances, vos préférences — puis en alignant chaque suggestion sur vos objectifs réels.
C’est un renversement paradigmatique à la Kuhn (1962) : on ne construit plus une architecture de contenu pour capter l’œil, on bâtit un service pour servir l’intention. Exponentiel vs linéaire : l’intention vise la progression constante, pas la distraction toujours plus rapide.
3.2 Technologies habilitantes : l’IA au service de la volonté
- Agents conversationnels contextuels
- Profil d’intention dynamique
- Orchestration multicanale
Grâce aux LLM et aux modèles de dialogue, l’agent peut interagir en langage naturel, questionner vos projets, proposer des étapes concrètes.
Plus qu’un historique de clics, c’est un graphe de vos buts, évolutif au fil de vos retours d’expérience.
Notifications programmées, rappels intelligents, intégration CRM/personnel : l’agent fait le pont entre votre agenda, vos apps et vos objectifs.
Virilio (1976) parlait de « dromologie » comme obsession de la vitesse ; ici, l’IA devient logistique de sens, non plus logistique de temps.
3.3 Usages déjà déployés : esquisses d’un quotidien réorienté
- Planification proactive
- Recommandation par intention
- Suivi et itération
Des assistants capables de détecter votre retard sur un projet et de reprogrammer automatiquement vos tâches.
Plutôt que « ce que d’autres ont aimé », on vous propose « ce qui vous rapprochera de votre but ».
Feedback continu : l’agent vous demande ce qui a fonctionné, ajuste ses conseils, devient plus pertinent.
Lipovetsky (2002) évoquait déjà la « société de l’excès » ; ici, l’excès n’est plus dans la quantité, mais dans la précision du service. Utopie ou risque de technosolutionnisme ? Seul l’alignement des intérêts — transparence, contrôle des données, autonomie — permettra de basculer vers un véritable compagnonnage numérique.
4. Opportunités et risques des agents d’intention
4.1 Avantages : l’intention comme levier
- Efficacité dopée
- Renforcement de la volonté
- Précision et personnalisation
Fini le “scroll” improductif : l’agent anticipe vos besoins, planifie vos tâches, vous sort du mode passif.
En structurant vos objectifs et en rappelant vos engagements, il agit comme un coach personnel.
Le profil d’intention dynamique permet des recommandations sur-mesure — pas un flux générique mais un parcours clair vers vos buts.
4.2 Risques : l’agent, nouvel exécuteur des caprices commerciaux
- Marchandisation des intentions
- Biais algorithmiques
- Surveillance et dépendance
Zuboff (2019) met en garde : quand vos projets deviennent des données, ils deviennent des produits. L’agent peut vendre vos intentions au plus offrant.
Cathy O’Neil (2016) démontre que les modèles opaques reproduisent et amplifient les inégalités. Un agent non transparent peut verrouiller votre horizon mental.
Sous couvert d’aide, l’assistant accumule un historique intime — prêt à vous enfermer dans de nouvelles bulles de filtres, mais cette fois sur-le-long-terme.
4.3 Scénarios dystopiques vs utopiques : le match final
- Dystopie : l’agent « bienfaiteur » devient courtier de vos intentions. Vous n’êtes plus qu’un portefeuille d’aspirations à exploiter.
- Utopie : un compagnon numérique, transparent et éthique, qui vous rend maître de vos données, fidèle à vos projets.
La frontière est fine. Osez-vous confier votre intention à une boîte noire ? À l’inverse, imaginez un assistant open source, self-hosted, où chaque ligne de code est auditable. Entre ces deux pôles, un terrain d’expérimentation s’ouvre : gouvernance partagée, audits indépendants, contrats de confiance intelligibles. À vous de choisir votre camp.