Le monde contemporain gronde, secoué par des crises qui semblent s'enchaîner à une vitesse vertigineuse. Face à ce tumulte, garder son sang-froid et analyser la situation avec clarté relève du défi. C'est le constat que dresse le podcast "Sismique" dans un épisode éclairant, où l'auteur confie d'emblée la difficulté de l'exercice :
“C'est très dur en ce moment de garder la tête froide. C'est dur de conserver une forme de hauteur de vue quand les événements s'enchaînent à une telle vitesse et avec une telle violence. Des bombes qui tombent, des menaces nucléaires qui se font plus pressantes, des civils qui fuient, des drapeaux partout qui brûlent, des pénuries annoncées, des discours qui attisent la haine.”
Refusant de livrer une analyse hâtive sur les conflits qui dominent l'actualité, l'auteur souligne la complexité et l'opacité de l'information, avouant sa propre prudence. Car au-delà des tragédies immédiates, un phénomène plus profond, une lame de fond, serait à l'œuvre.
La fin d'une illusion : l'ordre international
Ce que nous observons, selon "Sismique", n'est rien de moins que l'effondrement d'un idéal qui a structuré le monde depuis plus de 70 ans.
“Ce à quoi on assiste en direct, un peu plus chaque jour, c'est la fin d'une idée. C'est la fin d'une illusion. C'est la fin d'un monde qui croyait, ou faisait semblant de croire au moins, au droit international. Et c'est l'entrée dans ce que certains appellent déjà la jungle, un monde où la loi du plus fort reprend tous ses droits.”
Cet ordre international, né des cendres des deux guerres mondiales et du traumatisme de la Shoah, reposait sur un pari audacieux : celui de borner la violence par des règles communes. Des institutions comme l'ONU, les Conventions de Genève ou la Cour Internationale de Justice ont été érigées pour incarner cet espoir. C'était, comme le rappelle le podcast, "un pari fragile, évidemment, un équilibre précaire entre le droit et la force, mais un pari qui, pendant un temps, a semblé tenir."
Le talon d'Achille de ce système était sa dépendance au bon vouloir des puissants. Il reposait sur "l'illusion que ceux qui avaient la force accepteraient de s'imposer eux-mêmes des limites."
Une lente érosion et le coup de grâce
Cette illusion ne s'est pas brisée en un jour. L'histoire des dernières décennies est jalonnée de "fissures", de contournements et de violations de ce cadre juridique. Le podcast énumère une longue liste de précédents, montrant une érosion progressive de la crédibilité du droit international :
“1953 en Iran, coup d'état orchestré [...]. 1973, Chili, renversement d'Allende [...]. Le Vietnam, armes chimiques illégales [...]. L'Irak, un peu plus tard, en 2003, guerre illégale sur la base de mensonges. La Libye en 2011, mandat humanitaire transformé en changement de régime. [...] 2014, la Crimée. [...] 2020, le Haut-Karabakh.”
Chaque fois, un récit était construit pour justifier l'injustifiable, "pour la démocratie, pour la paix, pour la protection des populations." Et chaque fois, le droit était un peu plus "foulé au pied".
Mais ce qui change aujourd'hui, c'est la disparition du prétexte. La force s'exerce désormais de manière décomplexée, sans même chercher à se draper dans les apparences de la légalité. C'est le "coup de grâce" porté au système.
“Plus de théâtre, plus de comédie des institutions. La force, nue, revendiquée comme solution. [...] Si ceux-là mêmes qui avaient construit cet ordre, les États-Unis et leurs alliés, le piétine, bah alors plus rien ne tient. Comment demain, dira Poutine, tu n'avais pas le droit ?”
Le retour à la loi de la jungle
Cette nouvelle ère où la force prime sur la règle a des conséquences profondes. Elle pulvérise la confiance, socle indispensable à toute coopération sur les grands défis globaux comme le climat ou la paix. Les institutions internationales, vidées de leur substance, deviennent "décoratives", et la boussole normative commune disparaît.
L'Occident, en bafouant les règles qu'il a lui-même promues, perd toute autorité morale. Le "Sud Global", lui, dénonce une hypocrisie devenue flagrante. Le podcast interroge alors une question philosophique et politique fondamentale, presque tragique :
“Est-ce que c'est le droit qui fonde la force légitime, ou est-ce que c'est la force qui finit toujours par imposer son propre droit ?”
La réponse semble claire. Notre époque a tranché en faveur d'un pragmatisme machiavélien dans sa version la plus brute, où l'efficacité immédiate justifie de "s'affranchir des règles". Ce pouvoir, imprévisible et arbitraire, déstabilise durablement car il empêche toute opposition de s'organiser et tout cadre de se reconstruire.
Et maintenant ?
Face à ce constat sombre, l'auteur ne se berce pas d'illusions. La reconstruction d'un ordre plus juste n'est pas pour demain. Pour l'Europe, qui a fait du droit le cœur de son projet politique et de sa vision du monde, ce moment est particulièrement "inconfortable".
“Pour nous, Européens, qui avons fait du droit, des institutions, du respect du droit international [...] quelque chose de central [...], c'est un moment très inconfortable qui ouvre tout un tas de questions sur comment on va réagir à ça.”
L'enjeu est de ne pas perdre de vue cette tension fondamentale entre la force et le droit, "parce qu'entre la force et les grandes idées, c'est ce fil un peu fragile qui définit ce que nous sommes."
En conclusion, si le podcast se termine sur une note personnelle et méditative ("je vais manger un peu de houmous en méditant sur les ruines de l'ordre international"), la réflexion qu'il propose est universelle. Nous assistons peut-être à la fin d'une hypocrisie, mais celle-ci laisse place à un monde potentiellement plus brutal, où les rapports de force sont l'unique horizon. Comprendre ce basculement est la première étape, indispensable, pour imaginer comment, un jour, reconstruire.
Source : Podcast Sismique - Le monde change et on n'y comprend rien, épisode : "Droit international : la fin d’une hypocrisie ? | #PAUSE", 24 juin 2025.
Julien Droit international : la fin d’une hypocrisie ? #PAUSE