. (Photo François Destoc)
La sécheresse et les changements climatiques obligent les agriculteurs à repenser certaines pratiques. Et si l’agriculture de conservation était une solution ? Lionel Alletto, directeur de recherches à l’Inrae, l’un des experts, nous présente ses avantages.
L’agriculture doit-elle se réinventer ?
L’agriculture se réinvente depuis toujours, sans forcément d’ailleurs que cela soit perceptible. Aujourd’hui, elle doit faire face au changement climatique et tous ses effets extrêmes que ce soient les pluies ou les périodes de sécheresse, mais aussi aux tensions multiples sur les productions, à la crise de l’énergie, à l’érosion de la biodiversité, ou aux contaminations multiples des écosystèmes dont une part significative est liée à l’agriculture… Ces enjeux multiples imposent de repenser les systèmes agricoles et alimentaires. Les systèmes doivent globalement gagner en résilience et donc être moins dépendants des ressources externes, être plus diversifiés pour faire face aux aléas, maximiser les services écosystémiques…
Lionel Alletto explique que l’agriculture de conservation est arrivée rapidement sur les continents sujets à de l’érosion massive, comme l’Amérique du Nord.
L’agriculture de conservation pourrait être une des solutions ?
C’est un mode de production qui vise à combiner trois leviers principaux. La diversification des productions (en alternant les cultures et les périodes de culture pour gérer certains bioagresseurs et les mauvaises herbes) et la maximisation du temps de couverture des sols soit par des plantes vivantes (cultures marchandes ou cultures de service) soit par un résidu de plantes qui vient jouer un rôle de protection du sol. Le troisième pilier est l’un des plus complexes à mettre en œuvre : la réduction voire la suppression totale du travail du sol. La porosité biologique, réalisée par les couverts et les vers de terre et autres organismes du sol, prend le relais d’une porosité mécanique.
Les adeptes de cette technique ont-ils été moins impactés par la sécheresse de l’été ?
Il semblerait, même si c’est un peu complexe à quantifier. Le réseau que nous suivons dans le sud-ouest depuis plusieurs années donne l’impression qu’ils ont économisé de l’eau, y compris de l’eau d’irrigation. Toute la difficulté c’est d’avoir suffisamment de situations comparables pour pouvoir conclure. Nous sommes dans une hypothèse forte sur laquelle nous travaillons avec des collègues de Montpellier. Si les sols sont plus denses, avec moins de porosité totale, cette porosité est capable à la fois d’infiltrer mieux l’eau qui arrive d’en haut : il faut imaginer les galeries de vers de terre.
Cette agriculture est-elle déjà pratiquée à grande échelle ?
Cette agriculture est arrivée rapidement sur les continents sujets à de l’érosion massive, comme l’Amérique du Nord. Ils ont développé des techniques avec un travail du sol réduit, complété par les OGM qui permettent de traiter au glyphosate. Sans OGM, cela demande un effort supplémentaire à nos agriculteurs qui doivent être plus performants techniquement pour se passer du labour. Aujourd’hui, en France, on arrive à avoir des usages extrêmement réfléchis du glyphosate. Mais ça reste le frein principal : nos systèmes ne sont pas encore totalement durables. Il faut trouver des alternatives comme la robotique pour du broyage localisé.
Pourquoi la polyculture-élevage est-elle avantagée ?
Ces sytèmes ont des leviers supplémentaires avec un élevage s’appuyant sur le sol. On peut y introduire de la prairie temporaire. Si une parcelle de céréales est infestée d’adventices, il est possible de la valoriser en alimentation du bétail. On a en plus des leviers de matière organique et c’est souvent dans ces systèmes qu’on peut aller le plus bas dans la réduction des phytosanitaires. Le graal des systèmes de cultures c’est l’agriculture biologique de conservation. Si dans ce cas un travail du sol superficiel est nécessaire, le fait d’avoir de l’élevage aide énormément. L’idée c’est d’intégrer qu’il faut abandonner le labour pour favoriser la biodiversité et la captation du carbone.
Est-ce également une manière de réduire l’utilisation des pesticides ?
C’est le talon d’Achille de ces systèmes. On peut réduire les insecticides et les fongicides, ce qui en soi est déjà bien puisqu’ils ont des impacts sur la santé. Sur les herbicides, c’est plus complexe. Notamment pour le glyphosate. S’en passer dans la définition stricte de l’agriculture de conservation, peu ou pas d’exploitations arrivent à le faire. Dès lors qu’on s’autorise un peu de travail du sol on peut y arriver. Il s’agit du compromis que l’on étudie. Des bioherbicides pourraient également être une stratégie.
« Il y a des régions qui sont plus en avance comme la Bretagne et le nord parce qu’il y a un peu plus de pluie pour les couverts. »
C’est à la fois une solution agronomique et économique ?
Nous avons suivi 60 fermes d’un point de vue technico-économique. Il n’y a pas plus de difficultés économiques et pas moins non plus. L’agriculteur qui maîtrise bien son système s’en sort. Avec la crise énergétique actuelle, ce sont des systèmes qui vont encore dépasser les systèmes conventionnels dépendants du fioul et de l’azote. On est à 50 litres/ha de fioul contre 120 pour un système conventionnel avec labour. On repose des questions fortes d’agronomie.
La pratique progresse-t-elle ?
Il y a des régions qui sont plus en avance comme la Bretagne et le nord parce qu’il y a un peu plus de pluie pour les couverts. On en a aussi près de Marseille. Il y a une présence de ces systèmes sur tout le territoire.