L’être humain, de nos jours, est seul, et c’est exceptionnel. Durant la majorité de notre existence en tant qu’Homo sapiens, nous avons partagé la planète avec toutes sortes d’autres espèces humaines. À l’époque où notre lignée a commencé à évoluer, en Afrique, il y a environ 300 000 ans, on en comptait au moins cinq autres. Et s’il avait fallu parier sur la survie d’une seule de ces espèces, vous n’auriez peut-être pas misé sur nous.
En fait, c’étaient plutôt les Néandertaliens qui semblaient les mieux lotis, eux qui s’étaient déjà adaptés à la vie sous des climats plus rigoureux et s’étaient répandus dans une grande partie de l’Eurasie. Ou Homo erectus, qui s’était installé avec succès dans le sud-est de l’Asie. En comparaison, nos ancêtres Homo sapiens étaient les derniers arrivés, et il leur faudrait attendre encore plus de 200 000 ans avant de s’implanter ailleurs qu’en Afrique. Pourtant, il y a 40 000 ans, voire moins, nous étions les seuls humains encore en vie. Pourquoi ?
Survie du plus aimable
Bien des hypothèses ont été avancées : la puissance de notre cerveau, le langage, ou la chance, tout simplement. Aujourd’hui, une nouvelle idée se fait jour pour expliquer notre domination. Curieusement, ce sont peut-être certaines de nos plus grandes vulnérabilités – notre dépendance vis-à-vis des autres, notre aptitude à la compassion et à l’empathie – qui nous ont donné l’avantage.
Depuis peu, les recherches ont délaissé notre intelligence pour se recentrer sur notre capacité à établir des liens avec des inconnus [qui aurait permis] la survie du plus aimable. Des découvertes archéologiques montrent par exemple que non seulement Homo sapiens vivait en groupes plus importants que les autres humains, mais qu’il était aussi capable de former des alliances dépassant le cadre immédiat de ces groupes, ce qui était sans équivalent. Il est possible que ces capacités sociales aient contribué à faire de nous les êtres humains les plus adaptables, les seuls à même d’occuper chacun des domaines bioclimatiques de la planète.
Spécialiste et généraliste
D’autres humains s’étaient certes adaptés à des environnements particuliers. Ainsi, Homo heidelbergensis et les Néandertaliens étaient doués des compétences culturelles et technologiques – la capacité à fabriquer des vêtements et des abris et à faire du feu – nécessaires pour s’aventurer sous des latitudes plus froides. Le minuscule Homo luzonensis, découvert il y a peu [en 2007 sur l’île de Luçon aux Philippines], tout comme Homo floresiensis (surnommé “le Hobbit”), prospérait dans des environnements boisés. Mais, observe Brian Stewart, anthropologue à l’université du Michigan :
“On est en droit de se demander si ces humains auraient survécu s’ils avaient été largués par magie dans les habitats des autres, alors que ‘lui, aurait pu.”
Avec Patrick Roberts, archéologue à l’Institut Max Planck pour la science de l’histoire humaine d’Iéna, en Allemagne, Brian Stewart affirme que notre ancêtre Homo sapiens s’est distingué en développant une nouvelle niche écologique, qu’ils définissent comme la niche du spécialiste généraliste. Patrick Roberts explique :
“Non seulement ‘Homo sapiens’ a été capable de se multiplier et de peupler la planète, mais des populations spécifiques ont également été capables de se spécialiser dans certains environnements.”
On ne sait cependant toujours pas comment nous sommes passés maîtres dans l’art de l’adaptation.
Nouer des relations
L’archéologue Penny Spikins, de l’université de York, au Royaume-Uni, propose une nouvelle explication. Elle pense que ce sont nos fragilités et notre nature émotive qui nous ont conféré l’avantage : “Notre besoin affectif nous a poussés à entrer en contact avec les autres.” Et plus nous avons étendu notre réseau, plus nous sommes devenus résistants, ce qui nous a permis de prospérer dans bien des environnements différents.
Cet investissement dans l’attention a produit des bénéfices tant pour le groupe que pour l’individu. Penny Spikins précise :
“Cela a permis à l’être humain de chasser des animaux dangereux tout en vivant avec les conséquences en matière de risque