Deux rapports publiés à un mois d'écart, l'un du groupe de travail mené par Jean Jouzel, l'autre du Shift Project et du groupe Insa, délivrent les modalités d'une refonte de l'enseignement supérieur au service de la transition écologique.
Chacun doit disposer des connaissances et de compétences à même de lui permettre d'agir pour la transition écologique en tant que citoyen et en tant que professionnel. Tel est l'objectif auquel se sont proposés de répondre deux nouveaux rapports. Le premier, commandé par le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation en février 2020, a été délivré à la ministre, Frédérique Vidal, par le paléoclimatologue de l'Académie des sciences, Jean Jouzel, et le directeur de l'Institut de transition environnementale, Luc Abbadie, le 16 février dernier. Le second, publié un peu moins d'un mois plus tard, imagine un nouveau cadre de formation des ingénieurs, ClimatSup, sur la base d'une collaboration entre le laboratoire d'idées The Shift Project et le réseau d'écoles d'ingénieurs Insa.
Si le premier s'adresse à l'ensemble de l'enseignement supérieur et le second uniquement aux cursus d'ingénieurs, ces deux travaux traduisent peu ou prou le même constat : malgré des initiatives encourageantes, mais rarement structurantes de la part des formateurs, la question universelle et urgente de la transition écologique est loin d'avoir irrigué tous les cursus.
Combler un manque et satisfaire une attente
D'après le rapport Jouzel, seulement un quart des établissements affichent au moins une formation incluant, d'une façon ou d'une autre, le sujet. En moyenne, ils sont 11 % à délivrer des cours obligatoires traitant des enjeux climatiques et énergétiques, selon les chiffres des experts du Shift Project. « Il faut compter cinq à dix ans pour que les diplômés capables de mettre de nouvelles compétences en pratique soient en mesure d'engager des changements dans les entreprises, collectivités et associations, estime le groupe de réflexion mené par Jean-Marc Jancovici. Ce vaste chantier doit donc démarrer dès aujourd'hui ! »
Le groupe de travail mobilisé par le ministère donne d'abord la priorité à la transformation de l'ensemble des diplômes de niveau bac+2, avec comme ambition de former 100 % des étudiants à ce niveau d'études, quel que soit le cursus, d'ici cinq ans. Concernant les formations destinées plus précisément aux ingénieurs, le Shift Project privilégie une évolution encore plus rapide, en l'espace de deux à trois ans. La nécessité première, selon le think tank, est « de faire bouger le cadre de l'enseignement supérieur pour que l'action ne s'apparente pas qu'à du militantisme ».
Vers une transition écologique des compétences
S'agissant de la méthode pour y parvenir, les deux rapports s'accordent sur les connaissances et compétences dont la transmission est indispensable : l'appréhension des équilibres et des limites systémiques de la planète par une introduction à l'Anthropocène, à l'approvisionnement énergétique, à l'épuisement des ressources, ainsi qu'au développement d'une approche prospective et responsable en toutes choses. Ces propositions rejoignent celles émises par la Commission européenne, en janvier 2022, dans le cadre de l'élaboration du nouveau cadre européen de compétences en matière de durabilité. Concernant plus particulièrement les ingénieurs, le rapport du Shift Project y ajoute la nécessité d'un changement de philosophie : l'ingénieur de demain doit évaluer les impacts de ses choix techniques pour les minimiser, tenir compte des contraintes physiques et sociétales et contribuer, avant tout, à la décarbonation de l'économie.
Schéma réunissant l'ensemble des connaissances et compétences nécessaires à l'enseignement de la transition écologique auprès des ingénieurs, selon The Shift Project.
Pour le groupe de travail Jouzel comme pour le laboratoire d'idées, ces grandes thématiques ont vocation à intégrer aussi bien les enseignements existants que de nouveaux enseignements spécifiques (avec, au moins, entre dix à vingt heures de cours par grand enjeu, pour les ingénieurs). « Il faut former tous les étudiants, transformer toutes les formations, aller au-delà de la sensibilisation pour former à la compréhension et à l'action », martèle The Shift Project.
Les recommandations du rapport Jouzel vont dans le même sens. Faire évoluer les formations initiales ne suffit pas, cette transformation de l'enseignement supérieur doit aussi « s'inscrire dans une continuité des acquis des cycles scolaires du primaire et du secondaire », lesquels devront être donc eux-mêmes irrigués des thématiques évoquées avant l'entrée dans le supérieur. Même chose pour le reste des citoyens, « y compris en entreprise ou dans la fonction publique », à travers une proposition de formation continue certifiante. « Le ministère pourra élaborer un accord-cadre avec Pôle emploi pour définir les modalités d'accès et de financement des demandeurs d'emploi à cette formation », envisage le rapport Jouzel.
Quels moyens pour une telle transformation ?
Cette refonte en profondeur des programmes de l'enseignement supérieur ne pourra être réalisée sans former les formateurs eux-mêmes et leur octroyer les moyens adéquats. Le volontariat, en écrasante majorité chez les enseignants-chercheurs interrogés par le groupe de travail Jouzel, ne suffira pas.
S'agissant des formateurs, le rapport Jouzel propose, d'une part, l'introduction de missions d'animation et d'accompagnement pédagogique, réalisées par des ingénieurs pédagogiques spécialisés, pour renforcer et actualiser les connaissances des formations d'enseignement. Il préconise, d'autre part, de réviser les modalités des concours de recrutement des enseignants du primaire et du secondaire, en donnant plus de poids aux connaissances et compétences liées à la transition écologique.
L'évolution des offres de formation passe également par le renforcement des équipes pédagogiques et donc, selon le rapport Jouzel, par un « relèvement des plafonds d'emploi et de la masse salariale des établissements ». À cela, le groupe de travail encourage la mobilisation de soutiens financiers issus du Programme d'investissements d'avenir (PIA), la création d'un outil de financement de projets de transformation « plus modestes » à l'échelle locale, d'un fonds de collaboration régionale pour faciliter les stages ou les prestations en lien avec la transition, ainsi que d'un point d'information national sur ces opportunités de financement ou d'accompagnement.
En outre, pour accélérer et faciliter « la dynamique d'ensemble », il invite les pouvoirs publics à décompter le temps passé par les enseignants à la conception et à la mise en œuvre des contenus pédagogiques et à augmenter le nombre de congés pour projets pédagogiques (CPP). De son côté, ce dernier pourra, à travers la création d'un observatoire de l'intégration des enjeux de la transition écologique dans les formations supérieures par exemple, suivre l'état d'avancement de cette dynamique. « Je me saisirai de ses recommandations pour mobiliser l'ensemble de la communauté universitaire », a déjà répondu la ministre, Frédérique Vidal.
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