Si après des semaines d'une surprenante résistance aux sanctions occidentales, l'économie russe commence à donner des signes d'un probable prochain effondrement, elle peut encore compter sur deux choses pour repousser cette sombre échéance.
La première est bien connue. Assise sur une manne énergétique dont le reste du monde dépend, Moscou continue de faire son beurre et ses excédents commerciaux records sur des exportations de gaz et de pétrole qui, pour l'instant, ne faiblissent pas, profitant ainsi à plein de la hausse des cours mondiaux offrant un «tsunami de cash» aux pays producteurs.
La seconde, beaucoup plus cynique, peut-être aussi beaucoup plus mortelle, commence à se dessiner. Comme l'explique Bloomberg, la Russie tire également de gros profits agricoles de son attaque contre l'Ukraine, pays surnommé «le grenier de l'Europe».
En s'attaquant militairement à ses stocks de céréales, en volant sa production qu'elle met ensuite sans vergogne en vente sur le marché mondial, en perturbant ses semis puis ses récoltes de blé ou de tournesol notamment, en empêchant en partie ses exportations, elle affaiblit directement un important concurrent.
Russia keeps stealing Ukrainian wheat and transporting it to Sevastopol, according to satellite imagery made by Maxar Technologies pic.twitter.com/KscQOEVsqW
Résultat? L'Inde coupe ses propres exportations de blé, par peur d'une famine sur son territoire, les flux vers les pays du pourtour méditerranéen sont en baisse, faisant craindre des remous politiques importants et des migrations incontrôlées, donc des déstabilisations globales et périlleuses.
Le blocus imposé de facto sur les exportations des ports ukrainiens sur la mer Noire est une «déclaration de guerre», a affirmé, à Davos, le patron du Programme alimentaire mondial, David Beasley. Certains pays comme l'Estonie poussent désormais pour que ce blocus soit forcé, seule manière d'atténuer quelque peu la crise en l'absence de coopération russe.
L'arme de la faim
Car la Russie n'a aucun intérêt à coopérer et à laisser les productions agricoles ukrainiennes atteindre le marché mondial. Avec des prix ayant grimpé de 50% depuis le début de l'année, le pays a déjà récolté 1,9 milliard de dollars (1,7 milliard d'euros) grâce à ses exportations de blé.
Moscou a d'autant moins intérêt à coopérer que tandis que sa guerre en Ukraine perturbe logiquement la production agricole de son voisin, la sienne se porte très bien: aidées par un climat favorable, les récoltes ont été excellentes et le pays exporte désormais ses grains à un rythme plus élevé qu'en 2021.
La situation pourrait perdurer: les semis, en Ukraine, ont également été perturbés par la guerre et la production du pays ne devrait pas retrouver son niveau normal avant longtemps. Cela offre à son voisin et concurrent direct toute latitude pour exporter, à un prix rendu plus fort par cette concurrence entravée, ses propres productions.
Le monde entier en dépend de toute façon: selon David Beasley, 49 millions de personnes, dans 43 pays, pourraient sombrer dans la famine dans les prochains mois, et ce en prenant en compte une production russe contre laquelle il est, à l'évidence, impossible de prendre la moindre sanction.
Comme l'énergie, Moscou utilise donc la faim comme une arme, un levier de négociation diplomatique: la Russie a indiqué qu'elle n'accepterait une levée du blocus en mer Noire que si les sanctions occidentales sur son économie étaient atténuées.
Pourtant, les Russes eux-même souffrent de la politique menée par le Kremlin: comme ailleurs, l'inflation flambe et la hausse des prix alimentaires, dans le pays, est à son niveau le plus élevé depuis 2004.