Les incendies et les inondations ont marqué l’actualité estivale aux quatre coins de la planète. Nous connaissons une perte de la biodiversité sans précédent, à tel point que l’on vivrait la sixième extinction de masse. Comment expliquer ces crises multiples aux enfants ? Peut-on tout dire sans entamer leur espoir d’un futur réjouissant ?
Manifestation en marge du sommet des Nations Unies pour la biodiversité (COP15), qui se tenait à Montréal au Canada. ©AFP or licensors
Dans un nouvel ouvrage intitulé “L’effondrement (et après) expliqué à nos enfants… et à nos parents”, Gauthier Chapelle et Pablo Servigne font vivre le “collapse”, un sujet qui suscite des débats “haute tension”, au travers de trois dialogues ping-pong entre un père (Diego) et sa fille (Lucie) de 13 ans, ainsi que son fils (Camille) de 22 ans et, enfin, avec ses propres parents. Comment parler des effondrements – du vivant, de notre société – avec des enfants et des adolescents ?
Entretien avec Gauthier Chapelle, “père, fils, petit-fils, naturaliste-biologiste et agronome”.
Quelle est la posture de l’adulte face aux questionnements de l’enfant ?
On évoque le fait d’être ancré et arrimé. Ces questions nous confrontent à nos dénis et à nos deuils : quelle est notre capacité d’acceptation de ce qui est, à l’heure actuelle ? À charge de l’adulte, par ailleurs, de faire la clarté sur les émotions que cela lui procure. Ressent-il de la peur, de la tristesse, de l’injustice, de la colère, de l’impuissance, de la honte ou encore de la culpabilité ?…. Être au clair avec ses émotions est super important pour pouvoir répondre à l’enfant, quel que soit son âge, qui demande “Tu as peur de quoi ? ”. C’est plus facile à assumer quand on sait où on en est, sachant que tout cela est évolutif : on déprime, on reconsidère son regard sur le monde, on se relève et on se met en mouvement.
Vous n’éludez pas la réalité des faits – les pertes en cours et les risques futurs, la responsabilité humaine dans l’effondrement du vivant – et abordez des concepts complexes. Peut-on tout dire à n’importe quel âge ?
On ne s’adresse pas à tout le monde de la même manière. Le plus important avec les très jeunes enfants, c’est de les connecter à l’émerveillement d’être vivant sur cette planète. Qu’ils s’épanouissent et prennent confiance dans le vivant qui les entoure et qui est essentiellement accueillant. On n’aborde pas les changements climatiques ou les effondrements sans que l’enfant ne l’ait demandé. Si les questions viennent, la précaution est de répondre uniquement à la question qu’il pose. Car il la pose à la hauteur de ce qu’il peut entendre et comprendre. Aller au-delà risque de le mettre dans l’angoisse. À l’âge de raison, on peut commencer à rentrer dans les grosses questions, en adaptant son discours, en y allant progressivement et en laissant à l’enfant le temps de digérer les informations.
Le plus important avec les très jeunes enfants, c’est de les connecter à l’émerveillement d’être vivant sur cette planète.
- Gauthier Chapelle
On échange ou on explique ?
Les deux. Mais on les encourage aussi à aller chercher eux-mêmes des réponses plutôt que de faire un cours ex cathedra.
Les mots que l’on utilise – par exemple celui d’effondrement – sont-ils importants et adaptés pour insuffler le rapport au réel ?
Absolument. Le mot effondrement est probablement trop fort. On essaie de nuancer : en parlant d’effondrements au pluriel, en disant que c’est une succession d’effondrements. On peut parler de ruptures. Le point important, c’est de dire que ce ne sera pas une pente douce progressive mais qu’il y aura des effets de seuil. Il s’agit de parler honnêtement, le contraire érodant la confiance de l’enfant envers l’adulte.
A savoir. L'effondrement a été utilisé par Gauthier Chapelle et Pablo Servigne dans leur premier ouvrage "Comment tout peut s'effondrer". Utilisé au singulier, il recouvre l'effondrement de la vie sur Terre- lié aux crises climatiques, environnementales et de la biodiversité - et le changement possible de la société occidentale industrielle. Les effondrements, au pluriel, parlent des "catastrophes brutales et imprévisibles présente un peu partout sur Terre" ("les mégafeux, les pollutions massives, les destructions de forêts, les ouragans,..."). Ceux-ci provocant, par effets de dominos, des risques de guerres, de famines et de maladies.
Comment trouver l’équilibre entre la prise de conscience salutaire et l’insouciance à préserver ? Comment éviter d’alimenter un sentiment d’angoisse alors que plus on comprend l’état des choses, plus la situation paraît effrayante ?
Le meilleur moyen est de ne pas aller au-delà des questions posées. Ensuite, parler des émotions que l’on perçoit chez l’enfant. La peur, la tristesse, la colère et l’impuissance sont là pour nous protéger : d’un danger, d’une perte, en réaction à l’injustice. Elles nous préparent à une action. Par ailleurs, c’est important de les partager en collectif, à commencer par la famille. Alors, l’enfant doit pouvoir compter sur la solidité du parent, que celui-ci puisse accueillir sa peur. En revanche, il est important de pouvoir exprimer sa propre peur et ainsi partager nos vulnérabilités.
Comment dès lors dépasser celle-ci et en faire un moteur d’action ?
La boussole est d’aller dans le sens du vivant. Quand l’enfant a un élan d’indignation, on se demande ce qu’on pourrait faire ensemble à notre échelle pour la corriger. S’il découvre que les petits gestes, ce n’est pas suffisant, on voit plus grand et on fait avec lui, au moins dans un premier temps. C’est important pour cette génération de constater qu’au-delà des discours, il y a des actes. C’est une cohérence qu’ils nous demandent et il faut y répondre le plus possible et, si on ne sait pas, expliquer pourquoi.
Quand l’enfant a un élan d’indignation, on se demande ce qu’on pourrait faire ensemble à notre échelle pour la corriger.
- Gauthier Chapelle
Vous rendez compte de ce désarroi que peuvent ressentir les jeunes devant l’immensité de la tâche. Ce qui importe est davantage la mise en action que le résultat, dites-vous…
Il est important de ne pas faire dépendre son bonheur des résultats de ses actions. Ce lâcher prise permet de trouver plus facilement de la joie dans ce que l’on fait ! On cite Vaclav Havel qui dit qu’on fait une chose parce qu’elle est juste. On ne peut pas tout faire, mais il y a tellement de choses que l’on peut faire. Alors, la joie est la bonne unité de mesure. Autant trouver le truc qui nous fait vibrer. En prenant en compte qu’on n’est pas tout seul. C’est le bon côté de l’interdépendance : on peut compter sur les forces de chacun.
La notion d’entraide est centrale ?
On vit dans une société d’abondance et on va vers des manques subis si on ne les choisit pas assez tôt. Pratiquer l’entraide plutôt que la compétition, tisser des liens d’affection, c’est peut-être la solution la plus importante… sachant qu’on ne nous l’a pas beaucoup apprise, qu’elle n’est pas fort valorisée dans nos structures organisationnelles et que nos systèmes hiérarchiques pyramidaux ne sont pas adaptés pour pratiquer l’entraide.
Pratiquer l’entraide plutôt que la compétition, tisser des liens d’affection, c’est peut-être la solution la plus importante…
- Gauthier Chapelle
Alors, l’imagination est nécessaire pour réinventer et écrire d’autres récits ?
Les changements climatiques sont provoqués par une civilisation dont les modes de fonctionnements sont injustes. Inégalités économiques, climatiques, de genre, du vivant… Ces pouvoirs de domination entérinés, intériorisés et qui constituent la norme peuvent toutefois être questionnés. On entend souvent “c’est comme ça et pas autrement”. Mais en fait, en tant qu’espèce culturelle, rien n’est une fatalité. Ça ouvre l’imagination, sachant qu’après, il faut mettre cela en action. La bonne nouvelle, c’est que l’espace d’action est grand. Mais il faut que ces changements donnent envie. Il faut montrer qu’on peut gagner plein de choses en sortant de cette civilisation. Il ne faut toutefois pas cacher aux jeunes qu’il y a beaucoup de gens, dans le monde adulte, que ça dérange.
“Et après”, le titre laisse entrevoir de l’espoir. L’effondrement n’est pas la fin ?
C’est la distinction que Lucie finit par faire entre la fin du monde et la fin d’un monde, c’est-à-dire de notre civilisation. Dans l’écrasante majorité des cas, quand une forêt brûle, ça repousse, même si c’est différent. Une civilisation qui meurt, ce ne sont pas tous les gens qui meurent, mais un mode de vie, des types d’organisation.
Une civilisation qui meurt, ce ne sont pas tous les gens qui meurent, mais un mode de vie, des types d’organisation.
- Gauthier Chapelle
“Tu as le droit de te reposer. Essaie juste de ne pas te décourager. Ou alors pas trop longtemps”, dit Diego à Camille. Comment faire en sorte que les jeunes ne s’épuisent pas dans leur lutte ?
Dans l’année, il y a des saisons et les arbres se reposent en hiver pour faire des feuilles et des fleurs au printemps. Ce temps cyclique dans le vivant nous concerne aussi…
Quels conseils donneriez-vous aux parents qui maîtrisent moins ces sujets ?
On apprend ! C’est existentiel ! Faisons l’effort. Par là, on dit à l’enfant : ta question est importante et je vais m’y atteler. C’est aussi acceptable de dire qu’on ne sait pas tout et de le rediriger vers un autre adulte.
Vous déchargez un peu les grands-parents, en disant qu’on est tous les enfants de quelqu’un, qu’on est aussi le fruit de cet héritage et d’un contexte. Cela pousse à l’indulgence envers les autres mais aussi à la responsabilité de ce que l’on fait avec ce qu’on a reçu ?
C’est important d’insister sur la longue aventure qu’est la vie ! Notre rôle est de faire avec ce qu’on a reçu, et en sachant qu’on transmettra nous-mêmes des choses aux suivants. On a aussi le droit de se dire que notre génération n’est pas obligée de tout faire. Cela dit, il y a une tendance à la déresponsabilisation chez les “boomers”. Or, dans une société saine, les enfants sont en droit d’attendre de leurs grands-parents qu’ils soient des modèles.
Notre rôle est de faire avec ce qu’on a reçu, et en sachant qu’on transmettra nous mêmes des choses aux suivants.
- Gauthier Chapelle
- - > “L’effondrement (et après) expliqué à nos enfants… et à nos parents”, Gauthier Chapelle et Pablo Servigne, Ed. Seuil.