C'est en permanence le jeu du chat et de la souris: les fabricants de drogues de synthèse ont toujours un temps d'avance sur les institutions et les individus dont le rôle est notamment de déterminer les risques des substances sur les plans psychologique et physiologique. Lorsqu'on découvre l'existence d'une nouvelle drogue, qu'il faut analyser sa composition et évaluer les conséquences de son absorption, un temps précieux est souvent perdu.
À l'Université de l'Alberta, considérée comme l'une des cinq plus prestigieuses de tout le Canada, l'équipe de l'informaticien et biologiste David S. Wishart a planché sur une façon d'inverser la tendance et de prendre l'ascendant sur les producteurs de drogue. La clé, raconte Undark, est une intelligence artificielle de type deep learning, capable d'assimiler sans cesse de nouvelles connaissances grâce à un réseau de neurones artificiels. Son nom: DarkNPS, le sigle NPS désignant ce que l'on nomme en français les «nouveaux produits de synthèse».
Breaking Bad
Grâce à une base de données dans laquelle figurent plus de 1.700 drogues existantes, DarkNPS a cogité pour inventer elle-même de nouveaux produits susceptibles d'être mis sur le marché. Des créations purement virtuelles, réalisées afin de pouvoir être étudiées de façon anticipée, avant même que de véritables fabricants n'en aient l'idée. En tout, cette IA a imaginé pas moins de 8,9 millions de nouveaux produits de synthèse, avec un flair absolument remarquable.
Durant le travail de création effectué par Dark NPS, David S. Wishart et ses collègues (qui viennent de publier les résultats de leurs travaux dans la revue Nature) ont ajouté 189 nouvelles drogues à leur base de données. Pour découvrir avec une immense satisfaction que 176 de ces produits récemment inventés, soit 93% d'entre eux, figuraient parmi les prédictions de leur algorithme.
Jusqu'ici, la méthode utilisée pour identifier les composants d'une nouvelle drogue de synthèse était la spectrométrie de masse, méthode pouvant nécessiter des semaines –voire des mois– avant d'obtenir des résultats satisfaisants. Elle consiste à déterminer la masse de chaque élément formant le produit afin de déterminer sa structure moléculaire, puis à comparer les résultats obtenus avec les drogues figurant dans une liste de substances existantes.
Cette technique est chronophage et moyennement efficace, surtout si on la compare à ce que DarkNPS est capable d'accomplir: «Dès qu'une drogue arrive sur le marché, au lieu de trois ou six mois de chimie compliquée, il est possible d'identifier sa composition en quelques minutes», assure David S. Wishart.
Du pain sur la planche
L'omniscience de DarkNPS n'est cependant pas totale. Par exemple, l'IA n'a pas la capacité de fournir des informations à propos des effets psychologiques ou physiologiques des drogues imaginées. Undark évoque aussi le danger que représenterait l'arrivée d'un tel outil entre les mains de chimistes malintentionnés, même si DarkNPS a évidemment été mis en sécurité par la DEA (agence fédérale américaine chargée de lutter contre le trafic et la distribution de drogues) et la police criminelle fédérale allemande.
Il faudrait donc développer un autre outil apte à déterminer les effets des drogues créées par DarkNPS sur les êtres humains. Et garder à l'esprit le fait que l'algorithme n'est pas un génie infaillible: il s'appuie sur les drogues existantes pour inventer des substances plus ou moins voisines, mais est incapable d'imaginer des produits totalement différents. Ce que certains chimistes de grand talent sont, eux, capables de faire. Undark cite par exemple le cas d'un opioïde de synthèse arrivé sur le marché en 2020, l'isotonitazène, que DarkNPS n'aurait clairement pas pu inventer.