Quelle fibre synthétique peut rivaliser avec la structure d'une toile d'araignée, considérée comme l'une des plus solides de la nature ? Laquelle résiste aux lourdes charges et aux impacts, est extensible jusqu'à 140 % sans se rompre... La soie d'araignée est 30 fois plus résistante que l'acier et au moins trois fois plus résistante que le Kevlar, la matière synthétique utilisée dans les gilets pare-balles. Avec une légèreté sans pareille : un fil de soie d'araignée assez long pour faire le tour de la Terre pèserait moins qu'un savon.
Le biochimiste allemand Thomas Scheibel a réussi là où, pendant des décennies, les scientifiques avaient échoué : produire à grande échelle cette matière ultrarésistante. La méthode appelée biomimétisme consiste à imiter en laboratoire la fabrication de la soie d'araignée, afin d'obtenir des protéines de soie génétiquement modifiées et les tisser en une fibre. Ses premiers produits ont été mis sur le marché en 2014.
S'inspirer de la nature pour faire avancer la science
Pour reproduire la façon dont les araignées produisent de la soie dans leurs glandes, l'inventeur procède en deux étapes. Tout d'abord, il modifie des bactéries E. coli avec des gènes provenant de l'épeire diadème (araignée de jardin). En laboratoire, ces bactéries génétiquement modifiées produisent alors des protéines de soie d'araignée à base de matières premières telles que la betterave et la canne à sucre.
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Seconde étape cruciale : imiter le mécanisme complexe par lequel les araignées tirent et filent des brins de soie en fibres pour confectionner leurs toiles. La fibre protéique tissée par les araignées contient jusqu'à 1.500 brins de soie par fil. Elle est transformée dans des glandes appelées filières. Reproduire ce processus en laboratoire est si complexe que plusieurs grands groupes chimiques ont jeté l'éponge. Il aura fallu une dizaine d'années à Thomas Scheibel pour mettre au point un procédé mécanique complexe, afin de « filer » les protéines de soie en fibres de soie pouvant être utilisées dans toutes sortes de produits.
Fil de soie biodégradable et biocompatible
Afin de produire son invention à l'échelle industrielle, Thomas Scheibel a cofondé en 2008 AMSilk, entreprise spin-off de l'Université technique de Munich (TUM). Elle a bénéficié d'un investissement de plusieurs dizaines de millions d'euros de capital risque et emploie 30 personnes. En 2014, l'entreprise est devenu le premier fournisseur industriel de polymères de soie synthétique.
La soie d'araignée de Thomas Scheibel est aujourd'hui utilisée dans un large éventail de produits tels que les cosmétiques, les soins chirurgicaux, l'enrobage des comprimés pharmaceutiques, les gilets pare-balles ou encore dans l'électronique informatique. Entièrement biodégradable et biocompatible, avec un faible risque de rejet, cette nouvelle soie est bien adaptée aux implants et autres utilisations médicales, comme les textiles médicaux et les instruments chirurgicaux - treillis, bandages ou pansements. « Avec les protéines de soie d'araignée, vous pouvez réaliser à peu près tout ce qui est produit avec les matières plastiques, précise l'inventeur. Il n'y a besoin que d'eau, d'une température ambiante et d'auto-assemblage. C'est un produit 100% écologique, sans plastique, sans composant animal et biodégradable. »
Tisser une toile mondiale
Le marché mondial des bioplastiques est actuellement estimé à plus de 5,6 milliards d'euros et devrait croître de 18,6 % par an grâce aux matériaux de nouvelle génération tels que la soie d'araignée. Le marché mondial des fibres synthétiques quant à lui, pèse quelque 38,2 milliards d'euros, pour des produits tels que les vêtements, les jouets ou le linge de maison. L'invention de Thomas Scheibel pourrait également intéresser le marché traditionnel de la soie qui devrait atteindre 13,8 milliards d'euros d'ici à 2021.
Prix du public de l'inventeur européen
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