Dessin de Gary Waters, Royaume-Uni / Ikon Images
Je travaille comme photographe. Je ne suis pas natif de Zhengzhou, mais j’y ai acheté un logement, proche du lieu de travail de ma femme, et notre enfant est né ici [dans la capitale de la province du Henan, dans le centre du pays]. Dans notre résidence, il y a environ deux ans, le système d’accès par badge a été remplacé par la reconnaissance faciale. Nous l’avons appris par une simple annonce, placardée alors que le système était déjà installé. Sur le coup, ce changement a suscité l’incompréhension, mais les gens se sont surtout demandé s’ils allaient devoir payer pour cela, sans discuter de l’opportunité d’une telle mesure. À l’issue d’une semaine de travaux, le système avait été directement mis en service (le 1er janvier 2020).
Pas de concertation, pas de confiance
Personne n’avait été averti. Le bureau de gestion de l’immeuble s’était contenté de coller une affiche à l’entrée de la résidence pour demander aux habitants de venir munis de leur carte d’identité et de leur livret de résidence pour remplir les documents nécessaires à la reconnaissance faciale.
Cela fait maintenant trois ans que j’ai emménagé ici, et aucune assemblée générale des copropriétaires n’a jamais eu lieu. Il devrait y avoir un comité de quartier, mais seuls s’y trouvent les propriétaires membres du bureau de gestion, et la décision d‘installer la reconnaissance faciale a été prise par eux, sans aucune concertation.
Sur les applications Alipay ou WeChat, il est déjà possible de payer par reconnaissance faciale, mais ma femme et moi nous inquiétons des risques de fuites de données. Sur Internet, les applications de prêts se multiplient, que se passerait-il si quelqu’un usurpait notre identité pour souscrire un emprunt ? Jusqu’à présent, ma femme et moi avons donc refusé de nous inscrire à ce type de service.
Pour nous, l’accès est non autorisé
Auparavant, il suffisait de présenter une carte pour faire s’ouvrir automatiquement le portillon d’accès aux entrées est et nord de la résidence. Désormais, à l’intérieur et à l’extérieur ont été installés des poteaux avec un écran devant lequel il faut se tenir de face pour que l’appareil confirme que la procédure a été remplie pour un “accès autorisé” et ouvre le portillon. Pour nous, c’est perdu d’avance, “accès non autorisé”.
Aussi, pour rentrer chez nous, il est fréquent que nous profitions du passage de quelqu’un dont le visage est reconnu par le système pour entrer à sa suite. Dans la journée, cela ne pose pas trop de problèmes, car près de 10 000 personnes habitent dans notre complexe résidentiel. Les allées et venues sont nombreuses, et le portillon est quasiment toujours ouvert, mais c’est le soir que l’affaire se corse !
Je réalise des photos de tournage de film. Je suis donc souvent en déplacement, parfois pendant un mois ou deux, ou juste pendant une dizaine de jours. Je rentre souvent très tard, à des moments où il n’y a plus personne qui entre dans la résidence, surtout après minuit. Il m’est ainsi arrivé de devoir patienter vingt minutes. C’était en plein hiver, je portais juste un jogging, j’en garde le souvenir d’un grand moment de solitude.
Finalement, j’avais renoncé à attendre l’arrivée de quelqu’un, et j’avais marché jusqu’à l’entrée du parking souterrain, située à une dizaine de mètres de là. J’avais d’abord fait passer au-delà de la barrière ma valise, mon sac à dos et ma mallette avant de me faufiler à l’intérieur. Ces deux dernières années, j’ai dû procéder ainsi plusieurs dizaines de fois.
J’ai vraiment l’impression d’agir comme un voleur, ce n’est pas très agréable. Je ne fais que regagner mon domicile, et pourtant je dois me cacher. Parfois, mon épouse ne parvient pas à entrer, il faut que je sorte la voiture pour aller la chercher, car si moi je ne peux pas entrer, ma voiture, elle, le peut !
L’incompréhension du gardien
En principe,
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Données sensibles
La Chine est à la pointe de la reconnaissance faciale. Son réseau de caméras qui surveille le territoire est connecté à un tel système. Il permet l’identification des individus dans leur vie de tous les jours et peut être utilisé pour la prévention des crimes comme pour l’attribution d’un “crédit social” notant le comportement des individus.
Les applications sur smartphones emploient couramment cette technologie, ce qui a fait naître des inquiétudes chez les clients. Une loi promulguée en août 2021 classe les données issues de la reconnaissance faciale dans les données sensibles, rapporte le Jiancha Ribao (“Le Quotidien du Parquet”). Cette loi prévoit que les personnes doivent être informées de leur collecte et avoir confirmé leur accord par écrit.