« La planète se réchauffe, et la Méditerranée un peu plus vite », explique Yves Tramblay de l'IRD. (Photo d'illustration) - Pxfuel/CC
« La planète se réchauffe, et la Méditerranée un peu plus vite », explique Yves Tramblay de l'IRD. (Photo d'illustration) - Pxfuel/CC
Par Hortense Chauvin
Durée de lecture : 6 minutes
L’Espagne et les Pyrénées-Orientales sont loin d’être les seules zones méditerranéennes menacées par la sécheresse. Toute la région risque l’aridification, préviennent les scientifiques.
Un « havre climatique » : c’est en ces termes que le médecin et voyageur Honoré-Zénon Gensollen décrivait, en 1820, la Méditerranée, alors prisée pour ses jardins verdoyants et sa douceur salutaire. Deux siècles plus tard, le paradis serait-il sur le point de se transformer en enfer ? De l’Espagne à l’Italie, en passant par les Pyrénées-Orientales, la région se trouve aujourd’hui cruellement confrontée au manque d’eau. Cette tendance devrait s’intensifier dans les décennies à venir, préviennent les scientifiques. À l’avant-poste du changement climatique, l’ensemble de la zone est menacé d’aridification, avec de graves conséquences pour les humains et les écosystèmes.
À l’instar de l’Arctique et de l’Asie du Sud-Est, le pourtour méditerranéen est décrit par de nombreux climatologues comme un « hotspot » (ou « point chaud ») du réchauffement climatique. « L’augmentation observée des températures dans cette zone est plus importante que la moyenne mondiale, explique l’hydroclimatologue Yves Tramblay, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et coauteur d’un chapitre du sixième rapport du Giec [1] consacré à la région. La planète se réchauffe, et la Méditerranée un peu plus vite. »
Le manque d’eau constitue « le premier » des nombreux risques associés à l’augmentation des températures dans la région, selon le chercheur. « Beaucoup d’études montrent que les sécheresses ont déjà augmenté au cours des cinquante dernières années », signale-t-il. À l’avenir, selon le chapitre quatre du sixième rapport du Giec, consacré à la région, elles devraient devenir « plus sévères, plus fréquentes et plus longues » en cas d’émissions de gaz à effet de serre modérées, et s’intensifier « fortement » si notre recours aux énergies fossiles se poursuit de manière débridée. « Certaines zones pourraient devenir arides, c’est-à-dire en état de sécheresse quasi permanent », indique Samuel Somot, climatologue au Centre national de recherches météorologiques (CNRM).
La situation de la Catalogne, assoiffée par trente-deux mois sans pluies significatives, donne un aperçu cauchemardesque de ce qui pourrait frapper le reste de la région. Occitanie, Provence, Italie, Maghreb, Libye, Égypte, Moyen-Orient, Balkans… Toutes les terres situées sur les rives de la mer Méditerranée sont à risque, souligne Yves Tramblay. « On a une tendance généralisée vers une augmentation des sécheresses », indique le chercheur. Le sud du Maroc se démarque cependant : « Il apparaît vraiment comme une zone critique. »
Les zones arides se décalent
La vulnérabilité accrue de la Méditerranée aux sécheresses s’explique, entre autres, par sa localisation. Pour le comprendre, il faut se pencher sur les cellules de Hadley, deux grandes circulations atmosphériques situées de part et d’autre de l’équateur. « L’air chaud monte au niveau des tropiques, se dirige vers les pôles, redescend au niveau du 30e parallèle [aux alentours du Sahara], puis retourne vers les tropiques, comme une grande boucle », explique Samuel Somot. En descendant vers la surface terrestre, l’air venu de l’équateur — devenu entre-temps plus froid et plus lourd — bloque la formation de nuages et les précipitations. C’est la raison pour laquelle on trouve souvent des déserts à cette latitude.
Or, sous l’effet du changement climatique, les cellules de Hadley s’étendent progressivement vers les pôles. Les zones arides se décalent avec elles, jusqu’à lécher, dans l’hémisphère nord, les flancs du bassin méditerranéen. « On se retrouve avec le climat de l’Afrique du Nord dans le sud de l’Europe », synthétise Yves Tramblay.
La rivière Drôme asséchée durant l’été 2022. © Caroline Delboy / Reporterre
Les scientifiques s’attendent à ce que la couverture nuageuse diminue sensiblement dans la région au cours des prochaines années. « Moins de nuages, ça veut dire plus de rayonnement solaire en surface, et donc plus de réchauffement, explique Samuel Somot. Cela mène à une évaporation plus importante de l’eau contenue dans les sols. » Cette hausse de l’évaporation, facteur « dominant » de l’assèchement de la région, est d’ores et déjà observée. « Elle devrait encore s’amplifier si le réchauffement climatique continue à augmenter. »
L’eau ainsi évaporée est largement perdue pour la Méditerranée : « Une partie retombe sous forme de pluie dans la région, mais le reste est transporté par les courants atmosphériques vers l’océan Indien », détaille Samuel Somot. En parallèle, les précipitations devraient en moyenne diminuer, aggravant d’autant plus le manque d’eau. « On s’attend cependant à une intensification des évènements pluvieux extrêmes, comme les épisodes cévenols », nuance-t-il. Problème : en cas de pluies « très très intenses » (comme ce fut le cas dans le Gard en 2002), la capacité de stockage des sols peut être dépassée, prévient Yves Tramblay. « Si les crues sont plus rares, mais que lorsqu’elles arrivent elles sont catastrophiques, cela peut poser problème. Les gens risquent d’être moins sensibles au risque, et donc prendre moins de précautions. »
Les habitants ont « les cartes en main »
Pour les écosystèmes et les humains, les conséquences de l’aridification globale de la Méditerranée s’annoncent sévères. Diminution des rendements agricoles, augmentation du risque de feux de forêt, réduction du débit des rivières et des fleuves, et donc de l’espace disponible pour les espèces aquatiques… Certaines espèces végétales, comme les chênes, pourraient également dépérir, prévient le Giec. Des conflits autour de la répartition de la ressource sont aussi à craindre.
Yves Tramblay et Samuel Somot refusent malgré tout d’être défaitistes. « Déjà, on peut réduire nos émissions de gaz à effet de serre, suggère l’hydroclimatologue. Et au niveau local, il existe plein de stratégies d’adaptation. On peut améliorer l’efficacité de l’irrigation, rationaliser l’eau pour le tourisme l’été, sélectionner des variétés agricoles plus résilientes à la sécheresse... » Si l’horizon de la région peut sembler sombre, Samuel Somot soutient que ses habitants ont encore « les cartes en main ». « On sait dans quelle direction on va, et quels outils peuvent nous permettre de nous adapter. Il faut y aller, même si cela demande un changement de mentalités et un certain budget. »
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