Lobby one. Ce mercredi, Albert Rösti a siégé pour la première fois au Conseil fédéral – le gouvernement suisse. Avant son élection par le Parlement le 7 décembre dernier, des scientifiques et des citoyen·nes avaient alerté, dans une lettre ouverte, à propos de ce scénario « inacceptable », et appelé les parlementaires à « faire barrage à toute candidature liée étroitement à des industries dommageables au climat ». En vain.
Plusieurs personnalités ont fait part de leur déception à l’issue du vote. « C’est un très mauvais message envoyé à la population, notamment à la jeunesse », a réagi Samuel Jaccard, professeur associé à l’Institut des sciences de la Terre de l’Université de Lausanne, interrogé par Heidi.news.
De 2015 à 2022, l’élu qui a longtemps siégé à la Commission de l’environnement du conseil national – la chambre basse du parlement -, était à la tête de l’association Swissoil, qui défend les intérêts des négociants en combustibles. Une fonction étrangement absente de sa fiche de présentation officielle sur le site officiel de la Confédération suisse et de son site personnel. Il était aussi président depuis juin 2022 d’Auto-Suisse, lobby des importateurs de voitures qui s’est fendu d’un communiqué afin de remercier Albert Rösti « pour son engagement en faveur du secteur automobile ». Ingénieur agronome de formation, l’homme a quitté en 2020 la présidence de l’UDC (Union démocratique du centre), un parti nationaliste et conservateur qui a longtemps flirté avec le climatoscepticisme (Heidi.news – abonnés).
Albert Rösti, nouveau chef du Detec © admin.ch
Jusqu’à récemment, Rösti parlait jusqu’à récemment plus volontiers d’« immigration démesurée » que de climat, et fustigeait en 2019 « l’arnaque écolo-socialiste contre la classe moyenne », raconte Le Temps. « Regardez-moi ce beau temps ! On entend partout qu’il fait chaud, mais c’est normal ! Profitons ! », lançait-il devant l’assemblée des délégués de l’UDC. Pétrole, automobile, nucléaire, constructeurs de barrages : proche de nombreuses industries, il cumulait 16 mandats d’associations, dont 13 rémunérés, avant sa nomination.
S’il a dû quitter toutes ses fonctions en raison de son élection, « de tels mandats ne se déposent pas comme des valises avant d’arriver au Conseil fédéral », pointaient les signataires de la tribune, parmi lesquels le prix Nobel de chimie Jacques Dubochet, l’humoriste Thomas Wiesel et le philosophe Dominique Bourg, qui considère Albert Rösti comme un « climatosceptique notoire ». Dans leur pétition, les signataires redoutaient que le nouveau Conseiller fédéral mette en œuvre une politique « en contradiction complète avec les engagements climatiques de la Suisse, notamment l’accord de Paris » sur le climat.
À la tête d’un ministère d’envergure, le quinquagénaire est élu pour quatre ans. Il est censé « rompre les liens antérieurs pour épouser la cause de la collectivité et de l’intérêt public, confirme auprès de Vert le chercheur en sciences politiques Pascal Sciarini. Bien sûr, on ne peut pas exclure que l’idéologie et les intérêts à défendre vont rester. Mais il est élu par une base bien plus large que son propre parti et doit changer de casquette », analyse le politologue. Le gouvernement suisse étant collégial, « une fois qu’une décision est prise, il va devoir défendre la position du collège à l’extérieur ».
Par exemple : Albert Rösti devra promouvoir un projet de loi « pour les glaciers », qui prévoit d’atteindre la neutralité carbone – soit l’équilibre entre nos émissions de CO2 et que la planète peut absorber – d’ici à 2050. Il aura face à lui son propre parti, l’UDC, qui a obtenu un référendum contre ce texte qualifié de « poison » qui favoriserait la « dictature écologiste » (ATS).
« Surréaliste »
« En France, c’est peut-être un peu surréaliste. Mais en Suisse, le fait de confier les rênes d’un département à un parti a priori très réticent peut se faire, justement pour rendre le parti coresponsable et le mettre face à la réalité du pouvoir », poursuit le professeur de l’Université de Genève. Le nouveau conseiller fédéral a opportunément déclaré juste avant son élection qu’il partageait « absolument le but de sortir des énergies fossiles ». Pascal Sciarini précise : « Il est clair qu’avec lui à la tête du Detec, on va avoir une politique climatique probablement pas aussi offensive et progressiste qu’avec un socialiste ou un écologiste. Mais il ne peut pas faire n’importe quoi, il dépend de la majorité parlementaire et va se soucier que ses projets aient l’aval du gouvernement et ne soient pas contestés par référendum ».
Heidi.news souligne néanmoins que le nouveau Conseiller fédéral « devient maître du temps, de l’agenda et du tempo de l’administration » et que des démissions ne sont pas à exclure dans l’administration.