Désinfection devant un centre commercial de Xi’an, le 11 janvier 2022 Photo Stringer/AFP
Le 22 décembre, 13 millions de personnes ont été confinées dans la métropole chinoise. Appliquée sans préavis et de façon stricte, la mesure, qui avait pour objectif de revenir au “zéro Covid”, a bouleversé la vie des habitants. Une journaliste a décidé de témoigner. Son récit, publié sur les réseaux sociaux chinois, a vite disparu, mais il avait été sauvegardé ailleurs sur Internet. Voici, traduit en français, ce document exceptionnel.
Carte de Xi’an – Chine
Les haut-parleurs de la résidence retentissent à nouveau, ils appellent en boucle les habitants à descendre des immeubles pour venir passer des tests PCR. La file d’attente est déjà longue.
Nous sommes le 31 décembre 2021, le dernier jour de l’année, à la nuit tombante. Des terrasses, on aperçoit les rues désertées. Le trafic d’habitude soutenu dans la ville a laissé place ce jour-là à un calme complètement anormal et quelque peu terrifiant.
1. L’annonce du confinement
Le 22 décembre, dans l’après-midi, je tentais de me concentrer sur la rédaction d’un article chez moi, dans la banlieue sud de la ville, et j’avais la vague intuition que l’épidémie était en train de prendre une mauvaise tournure. Quelques jours auparavant, des scellés en papier avaient été apposés sur certains restaurants près de mon immeuble pour en interdire l’accès, et le magasin de proximité à l’entrée de ma résidence avait annoncé l’avant-veille qu’il n’effectuait plus de livraison. La vie commençait à se compliquer !
Suivant les conseils d’une amie sur WeChat, je me rends au supermarché où je constate que les gens ont déjà rempli au maximum leurs chariots, même si la conférence de presse attendue par tous n’a pas encore eu lieu. Je décide d’acheter moi aussi des denrées en quantités plus importantes.
Finalement, vers 17 heures, les autorités annoncent le confinement total de la ville de Xi’an. Je sors faire un tour dans la soirée. À l’entrée du “village en ville” de Shajing [le vieux quartier, entouré de remparts], j’aperçois une foule de gens. Des panneaux de clôture verts ont déjà été installés le long de la rue sur deux ou trois cents mètres pour isoler le quartier. Des centaines de résidents se pressent épaule contre épaule pour rentrer chez eux, avec des masques pour tout équipement de protection. Sur le côté de la rue est garée une voiture de police, gyrophare allumé.
Une jeune femme qui vient de faire ses courses a posé ses sacs en plastique par terre, le temps de passer, accroupie, un appel vidéo à sa famille. Un homme d’un certain âge, appuyé contre son vélo, observe la foule, l’air très agacé. Il me confie que le matin même, lorsqu’il est parti travailler, tout allait très bien, mais que quand il est rentré, à 20 heures, il a trouvé sa cité placée à l’isolement, avec impossibilité d’y pénétrer.
C’est également le cas de deux agents de nettoyage, qui tiennent des sacs en plastique à la main et qui ne passent pas inaperçus dans la foule à cause de leur tenue jaune. Ils ont pu sortir de la cité sans problème vers 16-17 heures pour partir au travail, mais voilà que ce soir, ils ne peuvent plus regagner leur logement à bon marché.
Cette nuit-là, on n’imagine pas encore que ce confinement sera si brutal, ni que la mise à l’isolement de certains quartiers aura des conséquences désastreuses pour tous ces gens empêchés de rentrer chez eux, se ruant sur les marchandises dans les supermarchés, pour les femmes enceintes, les malades, les étudiants devant passer des examens, les travailleurs du bâtiment, les SDF, les touristes de passage…
Ceux qui ont appuyé sur la touche “pause” pour la ville, et toutes ces personnes détentrices de l’autorité, ont-ils bien mesuré toutes les conséquences de leur décision sur la vie des 13 millions d’habitants ? Pouvait-on faire pire ?
2. Un marché qui subsiste tant bien que mal
Au début, même si les gens ont cessé de se déplacer, les services de base fonctionnent encore, bien que plus lentement. Dans ma résidence, des tests PCR sont organisés dans la cour tous les deux jours. Il n’est plus possible d’entrer et de sortir librement par l’entrée principale, mais le bureau de gérance a mis en place un système d’“autorisation de sortie” écrit sur un simple bout de papier. Selon les directives en matière de confinement :
Une seule personne par foyer est autorisée à sortir faire des courses alimentaires tous les deux jours.”
Le 25 décembre, Xi’an est sous la neige. Un vendeur de légumes a arrêté sa camionnette à l’extérieur des grilles. Il propose des légumes frais, et même de la viande. Les résidents vont tout de suite faire la queue pour acheter ses produits. Personne ne peut prévoir à ce moment-là que la recherche de nourriture va devenir un véritable casse-tête pour l’ensemble de la population de la ville.
Le 26 décembre, on en est au quatrième jour de confinement. Je décide de sortir faire un tour sous prétexte d’aller acheter de quoi manger.
Munie de mon “bon de sortie”, je parviens à quitter la résidence. Après avoir pris un vélo en libre-service, je me promène dans les rues encore enneigées, jouissant d’un sentiment rare de liberté. Les bus roulent encore, mais sans aucun passager à bord. Sur le banc d’un arrêt de bus est allongé un SDF. Sur les avenues, on aperçoit de temps à autre la silhouette furtive d’un livreur ou d’un porteur de repas. En quelques minutes, je croise quatre ou cinq véhicules de police.
Le 28 décembre 2022, dans Xi’an désert, un agent d’entretien de la ville poursuit son travail. Photo Stringer/AFP
L’accès aux magasins à l’entrée du village de Ganjiazhai, où je vais habituellement faire mes courses, est barré par des panneaux mobiles. Dessus sont collées des affichettes sur lesquelles on peut lire les caractères “assaisonnement”, “piment”, “tofu de Yulin” et “viande de porc local” tracés d’une écriture malhabile, ainsi que des numéros de téléphone pour acheter ces produits. Deux hommes se tiennent là, séparés par la barrière : l’un tend la marchandise à l’autre, qui le règle avec son smartphone [les applications de paiement sont généralisées].
C’est un gigantesque quartier populaire, très connu alentour pour son marché. Le soir venu, la cité s’illumine et s’anime de toutes parts. Malgré le confinement, de nombreux petits restaurants sont encore ouverts. À l’extérieur du mur d’enceinte entourant le quartier s’étire une longue file de livreurs de repas. De temps à autre, les patrons de ces petits restos arrivent en se hâtant et leur passent des plats à travers la grille.
Un des livreurs est en train de jouer sur son smartphone, assis sur son scooter. J’entame la conversation. Le jeune homme de 29 ans me raconte que, quand il a appris la nouvelle du confinement, il a voulu rentrer dans sa famille, à Baoji [dans le sud-ouest de la province du Shaanxi], mais il s’est renseigné : il aurait dû se placer en quarantaine à son arrivée là-bas et tous les frais (210 yuans [29 euros] par jour) auraient été à sa charge. Il a donc décidé de rester, mais il habite à Shajing, et comme le village est confiné, il ne peut plus rentrer chez lui. Faute d’autre solution, il dort à l’hôtel, ce qui lui permet de sortir comme il veut et de continuer à effectuer des livraisons.
Quelques jours plus tard, je lis dans la presse l’histoire d’un homme qui a voulu rentrer dans sa famille à l’annonce du confinement. Il a pris un vélo en libre-service, avec lequel il a parcouru près de 90 kilomètres, pédalant de 8 heures du matin à 18 heures, par – 6 °C ou – 7 °C dans la plaine de Guanzhong. Finalement, alors qu’il approchait de son village natal, dans le district de Chunhua, il a été “attrapé” par des agents chargés de la lutte contre l’épidémie, qui lui ont infligé une amende de 200 yuans [27,50 euros].
3. Le renforcement des restrictions
Le 27 décembre, il n’est brusquement question dans tout Xi’an que de cela. Le vigile de ma résidence m’explique que dorénavant plus personne n’a le droit d’entrer ni de sortir d’ici.
Le 28 décembre, tous les internautes font état de difficultés pour acheter à manger. L’entrée de notre résidence est complètement verrouillée, et les gardiens n’autorisent plus quiconque à stationner devant le portail pour la prise ou la livraison de commandes à travers la grille. En rejoignant le groupe WeChat de l’épicerie de notre entrée, je me rends compte que cela risque de devenir le seul canal pour assurer ma subsistance, mais c’est le bazar, avec déjà plus de 400 personnes inscrites.
En lisant les échanges du groupe, je tombe sur le message d’un jeune de ma résidence qui demande de l’aide :
Qui pourrait me vendre un bol et des baguettes ? Je ne parviens pas à en acheter.”
Je lui laisse un message en lui fixant rendez-vous en bas de l’immeuble dix minutes plus tard pour lui donner quelques ustensiles. Il m’explique que sa famille habite dans les environs et que son bureau est de ce côté, mais que depuis qu’il a été embauché il n’a jamais eu à faire la cuisine lui-même. Il n’a donc rien du tout chez lui, à part une casserole. Pour me remercier, il m’offre un paquet de saucisses de poulet sous vide, un petit sac de Snickers et une brique de lait.
Le lendemain, la situation empire encore. Dans le groupe, deux jeunes gens se plaignent d’avoir la bouche tout abîmée à force de manger des nouilles instantanées depuis une semaine. D’autres avouent être “à court de munitions”. Moi-même, je commence à surveiller mes réserves. Après avoir appris que ma voisine faisait des nouilles sautées tous les jours pour économiser sur les légumes, je décide de lui offrir quatre champignons shiitaké, deux tomates et une courgette, plus un petit fût de bière acheté avant le confinement. J’accroche le paquet à sa porte. Toute heureuse, elle me donne en retour quelques pommes sucrées et croquantes. J’ai de la chance !
D’après ce que l’on peut lire sur Internet, le troc entre voisins se multiplie : des nouilles instantanées contre des cigarettes, de l’ail contre des pommes de terre…
4. La débrouillardise
Entre le 28 et le 31 décembre, la plupart des habitants de Xi’an n’ont pu compter que sur eux-mêmes. Les livraisons étant suspendues depuis le 21 décembre, les gens ne peuvent plus rien acheter sur Internet. Et lors de la conférence de presse du gouvernement du 29 décembre, l’espace de commentaires ouvert en direct a été submergé de messages sur la difficulté de trouver à manger. Il a finalement été fermé.
J’échange avec d’autres internautes sur un groupe de bénévoles. Ils ont tous déjà participé à des opérations d’aide après des catastrophes, et étaient prêts, mais ils disent que cette fois-ci il est difficile de faire quelque chose. Le gouvernement a bouclé toutes les résidences, et c’est la croix et la bannière pour obtenir un permis de circuler. Les bénévoles ne peuvent donc pas sortir de chez eux pour aller servir en première ligne. Ils n’ont jamais vu cela.
Cependant, les habitants de complexes résidentiels comme le mien peuvent s’estimer heureux, car en général, les familles ont des stocks de nourriture. Les plus à plaindre sont les occupants des vieux immeubles, des “villages en ville”, ou encore ceux qui logent sur les chantiers, tous ceux dont personne ne s’occupe. Les jeunes qui passent leur temps au bureau font également partie de ceux qui ont le plus de mal à se nourrir pendant le confinement. Ils n’ont pas l’habitude de se faire à manger, ils n’ont rien, et certains logent même au bureau.
Dans une résidence de la ville de Xi’an, devant un stand temporaire d’approvisionnement, le 6 janvier 2022. Photo Stringer/AFP
Le 30 décembre, dans la soirée, le thermomètre affiche des températures négatives. Dans un groupe WeChat, quelqu’un raconte qu’il vient de rentrer chez lui après avoir distribué 185 repas chauds à des sans-abri avec son organisation de bénévoles. Lui dispose d’un passe qui lui permet de se déplacer sans encombre.
Pour avoir moi-même participé à ce genre d’activités avant le confinement, en distribuant des vêtements chauds aux SDF, je sais qu’en temps normal, ils se réfugient surtout dans les banques, près des distributeurs de billets, pour échapper au froid et passer la nuit. Mais, avec le confinement, ils sont pourchassés, et ne peuvent plus mendier dans la rue car il n’y a plus aucun passant. Un hiver extrêmement rude pour eux.
Le jour de l’an, j’ai l’occasion d’échanger à ce propos avec madame Zhang, qui œuvre dans des associations d’intérêt général depuis plus dix ans. Selon elle, depuis l’entrée en confinement, l’aide entre voisins a pris une dimension très importante, car certaines personnes n’ont plus de quoi manger, ou ont des besoins particuliers comme les personnes âgées vivant seules ou les familles avec enfants. Sans les associations de quartier, les gens se sentiraient aussi isolés que sur une île déserte, mais les autorités se refusent souvent encore à le reconnaître.
5. Nos recommandations
Le 31 décembre au matin, je parviens enfin à acheter ma première cagette de légumes depuis le début de la flambée épidémique. Dans le groupe WeChat de notre résidence, je vois la publicité d’un vendeur dont les prix sont corrects. Je me dépêche de passer commande et suis livrée dès le lendemain, les légumes sont très frais.
À ce propos, j’ai pu lire sur Internet des petites nouvelles assez étonnantes : certaines résidences auraient bénéficié de la livraison gratuite de denrées, mais après vérification auprès d’autres internautes, il s’agirait de logements liés à l’administration. Par ailleurs, des habitants du nouveau quartier résidentiel de Qujiang ont commencé à recevoir des “légumes du cœur” [subventionnés]. Mais cela ne viendra pas jusqu’à nous, je le sens bien, pour une raison toute simple : c’est l’ensemble du marché et de la logistique d’une agglomération de 13 millions d’habitants qui est à l’arrêt. Les fonctionnaires de quartier ou les bénévoles peuvent-ils tout assumer ?
Clairement, le problème est fabriqué par l’homme. Xi’an ne manque pas de denrées, mais l’on est incapable de les acheminer jusqu’à ceux qui en ont le plus besoin. Un internaute du nom de Shou Ye écrit :
Nous disposons de réseaux de distribution très puissants, comme Tmall ou JD.com. Pourquoi le gouvernement ne les utilise-t-il pas ? Il se croit suffisamment intelligent pour s’occuper de la livraison lui-même ?”
La lecture des messages postés sur WeChat m’apporte chaque jour son lot de mauvaises nouvelles : une femme à la grossesse à risque n’a pas pu se rendre à l’hôpital [enceinte de huit mois, elle a attendu pendant plusieurs heures d’être admise, car la validité de son test Covid-19 était dépassée, et a perdu le bébé]. Un patient greffé du rein ne trouve pas à acheter les médicaments dont il a absolument besoin, des paysans travaillant comme ouvriers du bâtiment n’ont plus rien à manger avec la fermeture des chantiers de construction, des élèves venus passer des examens d’entrée traînent dans les rues, le ventre vide, etc. Les conséquences néfastes du confinement pourraient mener à des catastrophes humanitaires.
Des résidents font la queue à Xi’an, le 14 janvier 2022, pour des tests PCR Photo Stringer/AFP
Le 31 décembre, je décide de publier quelques “recommandations d’une simple habitante de la ville pour résoudre les difficultés d’approvisionnement alimentaire”. J’y conseille, entre autres, de rétablir absolument l’organisation du marché, à commencer par le système logistique en permettant aux vendeurs d’avoir accès aux complexes résidentiels pour approvisionner les occupants, notamment en médicaments vitaux, et en encourageant l’aide d’intervenants du monde associatif, ainsi que l’entraide.
Pour finir, je décide de ne pas signer mon message, pour ne pas être “étiquetée”, souhaitant juste faire entendre la voix des citadins. Mais n’est-ce pas aussi parce que j’éprouve au fond une certaine crainte ? Une plateforme dont je consulte souvent les articles n’a-t-elle pas commencé à supprimer toutes les contenus “négatifs” relatifs à l’épidémie à Xi’an ?
6. “Xi’an ne peut que sortir victorieux”
Voici arrivé le premier jour de l’année 2022. De grand matin, je tire mes rideaux, laissant entrer la faible lumière de l’aube. Les rues sont toujours aussi désertes.
Je prends mon téléphone, pensant décrire un peu mon état d’esprit en ce jour de nouvel an. Mais je suis d’abord attirée par une vidéo filmée dans un quartier non loin de chez moi : on y voit un type, qui rentrait chez lui après être allé acheter des petits pains à la vapeur [mantou], se faire passer à tabac par un groupe d’agents chargés de la lutte contre l’épidémie, juste à l’entrée de sa résidence.
À la vue des petits pains blancs éparpillés par terre, j’ai l’impression d’entendre mon cœur se briser. Comment ces gens peuvent-ils porter la main sur l’un de leurs congénères, parti acheter un peu de nourriture sous ce vent glacial ? Le fait de disposer d’un pouvoir, aussi petit soit-il, suffirait-il donc à métamorphoser les individus ?
Le calme et le silence apparents de la ville ne peuvent dissimuler son chaos. Depuis le 27 décembre, il ne se passe quasiment pas de jour sans catastrophe individuelle. Au début, c’était la nourriture, puis ce sont surtout les appels à l’aide pour trouver des médicaments ou consulter un médecin qui se sont multipliés. Le journal pour lequel j’ai travaillé a d’ailleurs créé une rubrique “aide des journalistes”, proposant d’acheter et de livrer des médicaments aux habitants dans le besoin [grâce à leur permis de circuler]. Chaque jour, ils reçoivent des milliers de demandes d’aide.
C’est la nouvelle année, et sur toutes les portes de ma résidence ont été apposées des annonces d’éviction en papier. Comme il y a deux cas confirmés dans un autre bâtiment, il paraît qu’en vertu de la politique “vie en société zéro Covid” [le nouveau stade de la politique “zéro Covid”, lire encadré ci-dessous], au moindre nouveau cas, tous les résidents de notre résidence seront emmenés dans un lieu de quarantaine .
Je peux pratiquement ressentir le frisson de peur qui parcourt les membres du groupe WeChat de notre immeuble. La résidence de Miejiaqiao, dont les occupants ont été emmenés en pleine nuit, le 31 décembre, dans un centre d’isolement, se trouve tout près de chez moi. Et j’ai vu que les habitants de la résidence Mingde Bayingli, qui ont été placés en quarantaine dans des logements sociaux, lancent déjà des appels de détresse. Au moins, nous, nous sommes encore bien au chaud chez nous ! Désormais, les mises en garde des gérants de la résidence sont inutiles : on s’encourage les uns les autres à cesser tout achat, à ne plus descendre en bas de l’immeuble et à bien respecter les consignes sanitaires, sous peine de devoir quitter nos logements pour un centre de quarantaine…
Le 3 janvier, une nouvelle journée vient de s’écouler. Dans notre groupe, quelqu’un écrit :
Nous avons encore tenu un jour !”
C’est ainsi que notre vie se passe sous cette “belle ère de prospérité” !
En milieu de journée, je lis sur la plateforme Red le message d’une jeune fille dont le père a été victime d’une crise cardiaque. Elle raconte qu’après avoir bien bataillé, ils ont réussi à obtenir la permission de sortir de la résidence pour se rendre à l’hôpital, mais qu’il leur a fallu attendre plusieurs heures avant qu’il soit admis car son père venait d’une résidence “à risque (Covid) moyen”. Il allait enfin être opéré, mais il n’a finalement pas pu être sauvé… Le soir, j’essaie de la contacter, mais son message a disparu.
Ce 3 janvier, un nouveau crépuscule tombe sur ce dixième jour de confinement de la ville. Je lis le post de quelqu’un que j’ai bien connu. Tout un paragraphe pour, en gros, applaudir la “politique de la vie en société zéro Covid”. Le message se termine ainsi : “Xi’an ne peut que sortir victorieuse ! Il n’y a pas d’autre solution. On ne peut pas faire machine arrière !”
J’en suis médusée ! Sans ajouter de commentaires, je lui envoie une capture d’écran du message de la jeune fille racontant comment elle a perdu tragiquement son père. En fait, je n’ai pas envie de polémiquer. Mais finalement, je ne résiste pas à l’envie d’ajouter ces quelques mots. “‘Xi’an ne peut que sortir victorieuse !’ Voilà une belle formule, mais c’est aussi une phrase toute faite, vide de sens. Dans le même ordre d’idées, on pourrait ajouter : ‘Nous n’épargnerons rien, quoi qu’il nous en coûte !’ Très bien, mais ramenons cela au niveau du citoyen ordinaire, et examinons cette phrase : le ‘nous’ est-il ici le sujet, ou bien ce ‘coût’ que nous sommes forcés d’assumer ? Si après coup, l’on ne revient pas sur ces événements pour en tirer les cruelles leçons, trop occupés que l’on sera à décerner des prix de bonne conduite et à chanter les louanges des uns ou des autres, alors toutes ces souffrances auront été endurées pour rien.”
Je n’ai pas l’intention de revoir cet homme. Mais je veux qu’il sache que, dans cette ville, peu m’importe le récit grandiose qui sera fait en fin de compte de ces moments d’épreuve, seules comptent pour moi ce soir cette fille qui a perdu son père, cette jeune mère qui a dû, en larmes, aller supplier un inconnu chargé du contrôle de l’épidémie de lui fournir des serviettes hygiéniques, ou encore toutes ces personnes humiliées, blessées ou oubliées, qui n’auraient pas dû subir toutes ces souffrances.
Je veux aussi lui dire qu’en ce monde personne ne vit seul, isolé sur son île, chaque mort est la mort de tous. Ce n’est pas la vie que le virus a emportée de cette ville, mais autre chose, c’est bien possible.
La vie en société zéro-covid, qu'est-ce que ça veut dire ?
L’expression fait aussitôt le buzz sur les réseaux sociaux. Le 5 janvier, Xu Ming, adjoint au maire de Xi’an, déclare : “La vie en société de Xi’an est zéro Covid.” Elle marque un durcissement de la politique du zéro Covid, alors qu’il se révèle impossible d’endiguer la propagation du virus. Jusqu’à présent, outre des campagnes de tests à grande échelle, la lutte contre l’épidémie reposait sur la mise en quarantaine, chez eux, d’individus ou de groupes d’individus à risque. Désormais, il s’agirait de mettre à l’écart de la société les cas positifs et tous leurs voisins, quel que soit leur nombre, en les isolant dans des bâtiments réservés à cet effet. La vie en société devient “zéro Covid” car elle se déroule sans ces personnes potentiellement contaminées.
Weixin est le moyen de communication le plus populaire en Chine. Le groupe Tencent auquel l’application de messagerie par texte, son ou image appartient fait état de plus d’un milliard de comptes. Mais Weixin est aussi une plateforme de blogs qui donne un espace de relative liberté aux Chinois, dans un environnement médiatique très contrôlé. On y trouve parfois des reportages, des témoignages, des opinions, qui sont signalés par les internautes, faisant de cette plateforme un média vivant, qui n’échappe cependant plus à la censure.Weixin offre par ailleurs tant de services différents dans le domaine du commerce électronique que c’est aussi devenu un moyen de paiement des plus courants en Chine. L’application a aussi été lancée à l’étranger sous le nom de WeChat et offre des services en plusieurs langues étrangères, dont le français et l’anglais.