Le 30 décembre 2021, l’équipe de l’Experimental Advanced Superconducting Tokamak, installé à l’Institut de physique des plasmas de Hefei, annonçait avoir réussi à maintenir un plasma pendant plus de 17 minutes à plus de 70 millions de degrés. Les ambitions de la Chine en matière d’énergie de fusion semblent désormais illimitées : elle envisage de construire la plus grande centrale électrique à impulsions du monde. Le pays pourrait disposer de l’énergie de fusion d’ici 2028, selon le scientifique en chef du projet.
La fusion nucléaire est considérée aujourd’hui comme le Saint Graal de l’énergie. Puissante, propre, sûre et inépuisable, l’énergie de fusion constituerait une véritable avancée pour l’humanité. Elle reste cependant insaisissable. Malgré les progrès réalisés ces dix dernières années par des entités publiques ou privées, aucun laboratoire dans aucun pays n’est encore parvenu à construire un réacteur produisant plus d’énergie qu’il n’en faut pour initier la réaction de fusion. Les chercheurs enchaînent pourtant les records : récemment, le tokamak coréen (KSTAR) a maintenu un plasma à 100 millions de degrés pendant 30 secondes.
Contre toute attente, la Chine vient de communiquer des plans particulièrement ambitieux : elle a approuvé la construction de la plus grande centrale électrique à impulsions du monde ; celle-ci sera localisée à Chengdu, dans la province du Sichuan. Le professeur Peng Xianjue, un éminent scientifique de l’Académie chinoise d’ingénierie physique, expert en énergie nucléaire, estime que son pays disposera de l’énergie de fusion d’ici les six prochaines années. « Être le premier au monde à parvenir à libérer de l’énergie de fusion à l’échelle énergétique posera le jalon le plus important sur la voie de l’énergie de fusion pour les êtres humains », a-t-il déclaré le 9 septembre lors d’une réunion organisée par le groupe de réflexion Techxcope, basé à Pékin.
Une centrale qui reposera sur une Z machine
Produire de l’énergie de fusion est un processus particulièrement complexe, qui nécessite des températures extrêmes (de l’ordre de 100 millions de degrés) et des technologies de confinement de plasma très sophistiquées. Selon le professeur Xianjue, « l’allumage par fusion est le joyau de la couronne de la science et de la technologie dans le monde actuel », rapporte le South China Morning Post.
Outre le dernier record du tokamak coréen, la collaboration Joint European Torus s’est elle aussi illustrée fin 2021, en produisant une énergie de 59 mégajoules pendant 5 secondes — un énorme pas en avant pour ce réacteur, qui sert de banc d’essai pour le projet ITER. Ces projets, comme la plupart des réacteurs à fusion expérimentaux existants, reposent sur la fusion par confinement magnétique. Mais c’est sur une tout autre technologie que va s’appuyer la future centrale chinoise : il est en effet prévu de produire une réaction de fusion par confinement inertiel, réalisée par striction axiale (ou Z-pinch).
Cette approche pourrait s’avérer plus efficace et plus économique, car les réacteurs à Z-pinch n’ont pas besoin de réseaux complexes de bobines magnétiques, ni de matériaux de blindage onéreux. Une capsule de combustible (deutérium et tritium) est placée au centre d’un réseau cylindrique composé de fils métalliques (tungstène ou aluminium). Puis, une forte impulsion électrique va vaporiser ce cylindre et le transformer en plasma, tandis que le champ magnétique créé par le courant va comprimer ce plasma. L’augmentation brutale de la pression du plasma génère un fort rayonnement X, qui à son tour, comprime la capsule contenant les atomes à fusionner.
Les Z machines peuvent stocker des quantités massives d’électricité et les libérer en quelques nanosecondes. Elles ont été conçues à l’origine pour produire des armes nucléaires. Cette nouvelle machine à Z-pinch devrait être terminée en 2025 et devrait produire 50 millions d’ampères d’électricité. C’est presque deux fois plus que ce qu’est capable de produire la « Z machine » des laboratoires Sandia, à Albuquerque, au Nouveau-Mexique.
Combiner les énergies de fusion et de fission pour augmenter le rendement
Aucune Z machine existante n’a pour l’instant réussi à générer plus d’énergie que celle nécessaire à la production de l’impulsion électrique. Xianjue a précisé lors de sa présentation que son équipe et lui allaient tenter d’amorcer une réaction de fusion avec une modeste quantité de combustible. Ils ont l’intention de réguler la procédure pour limiter l’énergie pulsée libérée à quelques centaines de millions de joules — soit à peu près la même énergie qu’un sac de TNT de 20 kilogrammes.
Mais contrairement à la plupart des expérimentations en cours, l’énergie de fusion produite par cette installation chinoise ne sera pas utilisée directement pour alimenter le réseau électrique : l’objectif est de créer un flux de particules rapides qui viendra frapper l’uranium, le combustible de la composante « fission » de l’installation. Car c’est une centrale hybride, reposant à la fois sur l’énergie de fusion et de fission, que souhaite construire Pékin.
Concrètement, il s’agira de recouvrir les parois de la chambre d’allumage par fusion avec de l’uranium, qui absorbera les particules créées par la fusion pour former deux éléments plus légers — un processus similaire à celui utilisé dans les centrales nucléaires actuelles. Selon une estimation des scientifiques du projet, cette combinaison de réactions multipliera par 10 à 20 le rendement thermique global de l’installation.
Ceci pourrait évidemment accélérer considérablement l’exploitation et la commercialisation de l’énergie de fusion. En revanche, cette approche s’accompagne des mêmes risques et inconvénients que les centrales nucléaires actuelles — à savoir, des risques d’accident nucléaire et la gestion des déchets radioactifs. En outre, plusieurs défis restent à relever, comme la conception de composants capables de soutenir cette double réaction.
Mais selon The Eurasian Times, les scientifiques affirment utiliser des techniques différentes de celles employées en Occident, arguant que leurs approches sont plus efficaces (elles sont bien sûr élaborées dans le plus grand secret). Et le calendrier de l’équipe est très ambitieux : produire de l’énergie de fusion nucléaire d’ici 2028, et peaufiner la technologie pour une adoption commerciale d’ici 2035.