Faut-il privilégier son intérêt financier personnel ou l’avenir de la planète ? Au royaume de la finance verte, le consommateur n’a pas à choisir : il peut soutenir la lutte contre le réchauffement climatique tout en maximisant le « retour sur investissement ». C’est en tout cas la promesse de la multinationale américaine BlackRock, dont le placement « énergies durables » est censé financer prioritairement les énergies « propres » et « renouvelables », tout en excluant strictement les entreprises du charbon, du pétrole et du gaz, premiers responsables des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Vérification faite, l’engagement n’est pas tenu : les trois plus gros actifs de ce fonds à 6 milliards d’euros sont des poids lourds du secteur des énergies fossiles. L’énergéticien allemand RWE AG, l’américain Nextera Energy et l’italien Enel SPA représentent à eux seuls 16 % de ses encours, alors qu’ils produisent autour de la moitié de leur électricité à partir de charbon, de gaz et de pétrole.
L’exemple de BlackRock n’est pas isolé. En enquêtant en collaboration avec une dizaine de médias européens, dont Investico et Follow the Money, Le Monde a découvert que la plupart des acteurs financiers qui promettent à leurs investisseurs de mettre leur épargne au service du climat financent en réalité toujours des entreprises polluantes. Les labels et les normes n’y changent rien : même les fonds « super verts » sont souvent fautifs. A l’échelle européenne, près de la moitié (46,3 %) de ceux que nous avons étudiés investissent dans des actifs liés au fossile ou à l’aviation (voir notre méthodologie).
Près de la moitié des fonds « super verts » investissent dans les énergies fossiles ou l'aviation
Part des fonds « article 9 » qui comportent au moins un investissement dans différents types d'actifs parmi les 838 fonds européens étudiés par Le Monde et ses partenaires.
De quels « fonds d'investissements » parle-t-on ?
Ce terme regroupe de nombreux types de placements (SICAV, OPCVM, FCP, SOFICA, etc.), dans lesquels un particulier peut avoir investi par exemple via un contrat d'assurance-vie ou d'épargne salariale. Chacun possède des caractéristiques différentes, avec une logique commune : l'investisseur confie une somme d'argent à un gestionnaire, qui se charge de l'investir dans différents types d'actifs (par exemple, des actions d'entreprises) et rémunère ses clients en fonction de la performance du fonds. Leur fonctionnement est différent de celui des livrets, comme le livret développement durable et solidaire (LDD) ou le livret A, qui ne sont pas abordés dans le cadre de cette enquête.
Des fonds verts qui carburent aux énergies fossiles
Plus de la moitié des placements gérés en France se rangent aujourd’hui derrière ces étiquettes aussi attrayantes que floues : investissements « responsables », « durables », « verts »…. Mais notre enquête jette une ombre sur une catégorie des fonds européens, dits « article 9 » ou « super verts », censée distinguer les meilleurs élèves dans la jungle du « greenwashing » (ou écoblanchiment, donnant au public une image écologique trompeuse). Alors que la réglementation européenne qui les définit (le fameux « article 9 ») leur impose de financer uniquement des actifs durables, nous avons identifié dans leurs portefeuilles dix des vingt entreprises tenues responsables de plus d’un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre par le Climate Accountability Institute.
D’Axa à BNP Paribas, en passant par Amundi et Mirova, aucun des grands gestionnaires de fonds « super verts » n’échappe à la contradiction : tous proposent au moins un placement qui ne cadre pas avec l’objectif climatique qu’ils proclament.
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