Rouen (Seine-Maritime) est le premier port céréalier d’Europe de l’ouest. Au cours de l’année 2021, le fret maritime a vu ses coûts multipliés par cinq.
Rouen (Seine-Maritime) est le premier port céréalier d’Europe de l’ouest. Au cours de l’année 2021, le fret maritime a vu ses coûts multipliés par cinq. | DR
« Jamais le prix du blé ne s’est négocié aussi haut. » Arthur Portier, analyste chez Agritel, société spécialisée dans la gestion des risques des marchés agricoles, parle d’un « record historique » pour la place boursière Euronext. Le jeudi 25 novembre 2021, le blé a crevé un nouveau plafond à 307 € la tonne. Une hausse de près de 50 % en un an !
Un cocktail explosif pour certains pays
Explications ? Des stocks mondiaux de blés meuniers au plus bas, des récoltes décevantes et une demande, sur fond d’essor démographique, au plus haut. S’y ajoute l’explosion du coût des engrais et du fret maritime. Le cocktail devient explosif pour des pays dépendants comme la Turquie, l’Égypte, l’Algérie ou le Nigeria qui importent respectivement 50 %, 62 %, 66 % et 100 % de leur blé.
La concurrence à l’achat est forte. La Chine stocke massivement pour alimenter son cheptel porcin en cours de reconstitution. Les pays du Moyen-Orient multiplient les achats de précaution. Ils en ont les moyens avec la remontée des cours du pétrole. Ce n’est pas le cas de pays comme la Tunisie, le Maroc ou le Liban. En Afghanistan ou au Yémen, les populations connaissent déjà des pénuries.
Le souvenir des printemps arabes
L’épisode de 2008 est encore dans toutes les têtes. Les cours élevés du blé, dopés par la spéculation financière, avaient contribué à des émeutes du pain, aux printemps arabes et à des vagues d’émigration. Mais, « entre mars et décembre 2008, le prix du blé avait chuté de 290 € à 120 € par tonne, grâce à une hausse des surfaces cultivées de 15 %, des rendements de 8 % et à la… récession, rappelle Arthur Portier. On n’est plus dans le même scénario. »
Avant un reflux, hier, des cotations, suite à un nouveau risque Covid et à l’annonce d’une belle récolte en Australie, les experts des marchés agricoles tablaient sur des cours durablement hauts. Les excédents de liquidités alimentent l’inflation des matières premières et des coûts de production.
Des quotas à l’exportation envisagés
Les surfaces cultivables ne sont pas extensibles (+ 1 % pour 2022) d’autant qu’avec un pétrole fort, les biocarburants issus des céréales concurrencent l’alimentation humaine. Deux cents pays importent du blé quand une dizaine en exporte (200 millions de tonnes sur 800 millions). Le moindre aléa (sécheresse, conflits) déstabilise le marché.
Les clignotants sont à l’orange. La Russie, premier exportateur mondial (35 à 40 millions de tonnes), envisage des quotas à l’exportation pour contenir l’inflation de ses prix alimentaires. Engagée à réduire engrais et pesticides (« Farm to Fork »), l’Union européenne, deuxième exportateur mondial (25 à 35 millions de tonnes), limite son potentiel productif. « Le blé à 200 €, c’est du passé. La norme, ce sera le cours à 300 €. »