Il s’appellent Unimate, Shakey, Wabot, Kismet, Sojourner, BigDog ou encore Ameca. Chacun à sa manière a marqué l’histoire de la robotique. Quand la réalité dépasse la science-fiction.
Le terme « robot » a été utilisé pour la première fois en 1920 : l’écrivain Karel Čapek l’a fait entrer dans l’histoire en le plaçant dans une de ses pièces de théâtre de science-fiction. « R. U. R. » (Rossumovi univerzální roboti), évoque les « robots universels de Rossum ». C’est en réalité son frère Josef qui a imaginé ce terme en le faisant dériver du mot tchèque robota, qui signifie « travail » ou « serf ». La pièce de théâtre raconte l’histoire d’une usine dans laquelle des milliers d’humanoïdes synthétiques ont remplacé les ouvriers. Ils travaillent si bon marché et sans relâche qu’ils ont réduit de 80 % les coûts de production de la fabrication de tissus.
À peine apparu, le mot charriait déjà son lot de peurs existentielles – fondées ou non –, comme celle du robot qui remplacera un jour l’être humain. Cent ans plus tard, quels robots sont entrés dans l’histoire ? Retour sur ces machines iconiques qui ont marqué les esprits ou la science… à défaut de prendre le pouvoir.
Unimate, le premier robot industriel
Une fois l’imaginaire du robot posé par R.U.R., il faut attendre les années 1950 pour voir apparaître une première machine mécanique véritablement opérationnelle. Prénommé Unimate (pour « Universal Automation », automatisation universelle), il s’agissait d’un bras robotique à visée industrielle. Un bras mécanique articulé de 1,5 tonne imaginé par l’Américain George Devol et Joseph Engelberger. Ce dernier, ingénieur et fan de l’écrivain de science-fiction Isaac Asimov, est considéré comme le père de la robotique moderne.
Grâce à lui, Unimate passe du statut de prototype à celui de premier robot industriel en 1961. Après un premier test sur une ligne de production de la General Motors, 66 robots sont commandés et utilisés par le fabricant automobile. Leur job ? Attraper des pièces métalliques à très haute température et les déplacer vers des bains de refroidissement. D’autres constructeurs – comme Chrysler, Ford Motor, BMW, Volvo, Mercedes Benz, Fiat et même Renault – adopteront eux aussi le robot de la firme Unimation.
Cette création devient tellement populaire que le robot est régulièrement invité à la télévision. Joseph Engelberger s’est assuré qu’il faisait le show pour le grand public. C’est ainsi qu’on a vu l’Unimate frapper dans une balle de golf pour la faire tomber dans une tasse ou encore se muer en chef d’orchestre du Tonight Show Band. L’aura de l’Unimate dépasse même les frontières, au point que la licence est accordée en 1966 au Finlandais Nokia pour la Scandinavie et l’Europe de l’Est puis, en 1969, au Japonais Kawasaki. Celui-ci finira par détrôner Unimation avec ses propres créations robotiques dans les années 1980.
Décédé en 2015, Joseph Engelberger n’aimait pas qu’on dise que les robots allaient voler tous les emplois. Au contraire : « Les robots enlèvent des emplois inhumains que nous attribuons aux gens », rétorquait-il.
©Université de Limerick
Shakey, le premier robot autonome
En 1972, le Centre d’intelligence artificielle du Stanford Research Institute (SRI) en Californie imagine le premier robot véritablement autonome. Nommé Shakey – car il oscillait quand il se déplaçait –, il était capable de décomposer des commandes simples en une séquence spécifique d’actions nécessaires pour atteindre un objectif en faisant preuve d’une certaine logique. Ce qui a fait de Shakey un robot vraiment unique qui a marqué les esprits est qu’il était capable de concevoir un plan pour atteindre son objectif. Il pouvait analyser son environnement, puis définir les différentes étapes : se déplacer tout droit, puis à droite. Puis monter sur la rampe. Puis avancer jusqu’au mur et appuyer sur l’interrupteur pour éteindre la lumière, par exemple.
Jusqu’à présent, les robots effectuaient chaque tâche l’une après l’autre et sur instruction. Cette capacité de planification a changé la donne pour les futurs robots. Et, malgré ses fonctions encore limitées, Shakey a été qualifié de « première personne électronique ». Aujourd’hui, on se souvient surtout de lui comme la première machine à allier robotique et intelligence artificielle.
©Marshall Astor
WABOT, le premier robot anthropomorphe
Après les États-Unis, direction le Japon. Conçu en 1973 par l’université de Waseda (Tokyo), WABOT-1 est le tout premier robot anthropomorphe à marche bipède. Son nom est la contraction de Waseda (Wa) et Robot (Bot). Il était capable de contrôler ses membres, possédait un système de vision et était capable de communiquer. Parlant le japonais, il était aussi doté d’une capacité à mesurer une distance et à situer des objets à l’aide de capteurs externes. Avec ses capteurs tactiles, il pouvait se saisir d’un objet et se déplacer en actionnant ses membres inférieurs. On a estimé que le WABOT-1 avait la faculté mentale d’un enfant d’un an et demi.
Son successeur, le WABOT-2, a vu le jour en 1980. Les ingénieurs s’étaient lancé le défi de créer un robot artiste, capable de jouer d’un instrument de musique, en l’occurrence un piano. Il pouvait converser avec une personne, lire une partition musicale (grâce à sa caméra en guise de tête) et jouer des airs de difficulté moyenne sur un orgue électronique grâce à sa dextérité. Mais ce robot musicien était aussi doté d’une certaine intelligence, puisqu’il était capable d’accompagner une personne tout en l’écoutant chanter. Le WABOT-2 est considéré comme le tout premier « robot personnel » au monde.
©Université de Waseda
Sojourner, le premier robot sur Mars
Dans la foulée d’ABE – robot submersible capable d’explorer en totale autonomie les océans – en 1995, le Sojourner a marqué les esprits en 1997. Le 4 juillet de cette année-là, les roues du rover de 10,6 kilos seulement touchaient le sol de la planète Mars, après un long voyage à bord de la sonde spatiale Pathfinder de la Nasa. Il s’agissait alors du tout premier engin à se déplacer sur le sol martien. Ici, le but n’était pas de créer un androïde – un robot ressemblant à un humain – mais d’avoir une machine robuste taillée pour l’inconnu. Sojourner pouvait prendre ses propres décisions face à des situations imprévisibles (un gros rocher sur son chemin, par exemple).
Au cours de son « petit périple », sur une surface d’environ 250 mètres carrés, car son rayon d’action était limité, Sojourner a pris quelque 550 photos de Mars, analysé les données chimiques de 16 échantillons de roches et réalisé des mesures atmosphériques. Il s’est passé 83 jours avant que les équipes de la Nasa ne perdent le contact avec le rover, alors même que les scientifiques estimaient qu’il ne fonctionnerait qu’une semaine. Il a ainsi tracé la voie pour ses successeurs, Spirit, Opportunity et Curiosity.
Sojourner (devant) avec un rover-test (à gauche) et Curiosity (à droite).©NASA
Kismet, le premier robot sociable
En 2000, cette tête a beaucoup fait parler d’elle. Un robot qui n’est qu’une tête alors même que les robots humanoïdes se multiplient depuis plusieurs années, cela peut surprendre. Mais c’est avant tout pour sa fonction sociable que Kismet a marqué les esprits. Ce prototype imaginé par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) était en effet capable de voir et d’entendre ce que faisait son interlocuteur, d’interpréter ces informations puis de réagir de manière adéquate.
Sa voix synthétique, dont la tonalité pouvait se moduler pour exprimer joie, tristesse ou encore surprise, était complétée par des expressions faciales corrélées (gaité, colère, intérêt, ennui…). Une multitude de capteurs, une analyse des données en temps réel et une capacité à apprendre pour ne pas réitérer une erreur (faute de langage, par exemple) permettaient d’animer Kismet. En outre, le robot était doté de 21 moteurs qui contrôlaient une paire expressive de sourcils jaunes, des lèvres rouges, des oreilles roses et de grands yeux bleus. « L’objectif est de construire une machine socialement intelligente qui apprend des choses comme nous le faisons, à travers des interactions sociales », expliquait à l’époque Cynthia Breazeal, cheffe du projet Kismet au laboratoire d’intelligence artificielle du MIT. On estime que Kismet avait les capacités psychologiques d’un jeune enfant.
©MIT
De BigDog à Atlas, les robots tout-terrain de Boston Dynamics
Boston Dynamics a commencé par nous amuser avec ses robots quadrupèdes capables de courir et de sauter. Puis le sourire s’est effacé pour laisser place à une sorte de malaise, voire de peur. Aujourd’hui, la start-up américaine fournit notamment le Pentagone en robots militaires. Pourtant, à ses débuts en 2004, BigDog a fait le bonheur de YouTube. On voyait ce robot à quatre pattes sans tête courir dans les sous-bois feuillus, grimper des collines abruptes sans difficulté, avancer dans une épaisse couche de neige ou encore sauter parmi des piles de briques. Un véritable robot tout-terrain, capable de se rétablir en un clin d’œil si quelqu’un le poussait violemment pour le faire tomber.
BigDog a ensuite été suivi de Cheetah, WildCat puis Atlas. Ce dernier, dévoilé en 2013, est un robot humanoïde autonome capable de faire du Parkour. C’est-à-dire de sauter, courir, s’incliner, faire des sauts périlleux en évoluant sur des surfaces diverses et parmi des obstacles variés. Cet androïde peut aussi danser avec des mouvements très proches de ceux d’un être humain. Accessoirement, il peut aussi porter des paquets, ouvrir des portes, conduire un véhicule, etc.
Selon les déclarations du ministère de la Défense des États-Unis, Atlas n’a pas pour vocation à être utilisé pour la guerre, mais plutôt comme aide aux services d’urgence pour rechercher et sauver des êtres humains dans des environnements dangereux. On peut imaginer un immeuble qui menace de s’effondrer, un incident nucléaire comme à Tchernobyl ou Fukushima, etc.
Ameca, le robot le plus « humain » à ce jour
En 2022 au CES de Las Vegas, la start-up britannique Engineered Arts a surpris tout le monde avec son robot humanoïde Ameca. Il faut dire que l’éventail et la précision des expressions de son visage sont pour le moins troublants de par leur réalisme poussé à l’extrême. Mais Ameca n’est pas qu’un visage. Le robot possède également un corps totalement motorisé, des mains parfaitement imitées et peut tenir une véritable conversation avec un être humain. Début septembre, Engineered Arts a dévoilé une vidéo dans laquelle un de ses ingénieurs discute avec le robot.
Ce dernier intègre désormais le moteur de conversation doté d’intelligence artificielle GPT-3, développé par la société OpenAI. Dans la vidéo ci-dessous, les conversations n’étaient pas pré-écrites ou répétées. On peut voir par moments Ameca faire de courtes pauses (à 5 minutes dans la vidéo, quand la personne lui demande ce qui fait qu’il est ce qu’il est). C’est le temps pour le robot de comprendre la question posée, préparer sa réponse puis adapter les expressions de son visage en fonction. Vertigineux.