Les banques françaises ont fourni plus de 743 millions d’euros à des géants de l’agroalimentaire responsables de la déforestation au Brésil au cours des dix dernières années. En tête de ces établissements : la BNP Paribas.
La déforestation de l’Amazonie ne cesse de s’étendre. En 2022, près de 9 500 kilomètres carrés de végétation ont encore été rasés au profit de l’agriculture intensive et de l’extension des surfaces destinées à la culture du soja, de l’huile de palme et l’élevage de bœuf. Une catastrophe environnementale financée à coup de centaines de millions d’euros par quatre banques françaises depuis près de dix ans : la BNP Paribas, le groupe Banque populaire et Caisse d’épargne (BPCE), la Société Générale, et le Crédit Agricole.
Selon l’enquête de Disclose et de Repórter Brasil – en partenariat avec Sherpa, Harvest et le Center Climate Crime Analysis – ces banques ont financé des entreprises agroalimentaires liées à la déforestation au Brésil pour plus de 743 millions d’euros entre 2013 et 2022.
D’après notre analyse de milliers de transactions financières – prêts aux entreprises, emprunts obligataires, participation au capital et émissions d’actions – répertoriées par la plateforme Forest and Finance, un établissement se détache du lot : la BNP Paribas.
La BNP Paribas, première banque de la déforestation
Le numéro un du secteur bancaire français a déboursé plus de 456 millions d’euros en investissant dans le soja, le bœuf et l’huile de palme ces dix dernières années. Un montant qui fait de l’établissement le premier soutien financier français du secteur et le quatrième en Europe.
Rien qu’entre janvier 2021 et septembre 2022, ce sont près de 117 millions d’euros que la BNP Paribas a investi dans les activités de plusieurs géants de l’agroalimentaire impliqués dans la déforestation de l’Amazonie et du Cerrado.
Les principales entreprises ayant bénéficié de ses financements sont toutes impliquées dans la déforestation. Il s’agit de Bunge, Minerva, Marfrig ou encore JBS, le premier producteur mondial de viande bovine, dont Disclose et Repórter Brasil avaient révélé en juillet 2020 le recours à un système de « blanchiment de bovins ». Dit autrement, JBS blanchissait du bétail provenant d’exploitations sous embargo à cause de la déforestation, avant d’expédier illégalement la marchandise vers l’Union européenne. Nos révélations avaient entraîné la sortie du capital de la société de Nord Asset Management, un important fonds d’investissement des pays d’Europe du Nord.
En février 2021, la BNP Paribas a annoncé qu’elle « ne financera pas les entreprises produisant ou achetant du boeuf ou du soja issus de terres défrichées ou converties après 2008 en Amazonie ». Pourtant, en 2022, la BNP Paribas a acheté pour plus de 4,6 millions d’euros d’actions de JBS aux côtés du groupe BPCE et le Crédit Agricole.
Interrogé par Disclose sur le non-respect de ses engagements, l’établissement bancaire se justifie en expliquant qu’il ne fournira ses « services financiers qu’aux entreprises ayant une stratégie zéro déforestation dans leurs chaînes de production et d’approvisionnement d’ici 2025 au plus tard. »
Les banques françaises au chevet du soja brésilien
Outre l’industrie du bœuf brésilien, les banques françaises ont massivement soutenu la culture du soja, l’un des aliments de base des animaux d’élevage. Le quatuor a ainsi soutenu les géants du soja brésilien à hauteur de plus de 564 millions d’euros au cours de la décennie.
Or, pour répondre à la demande exponentielle en soja des éleveurs européens et chinois, ces multinationales défrichent des pans entiers des forêts millénaires au Brésil. C’est particulièrement vrai dans la région du Cerrado, qui abrite 5% de la biodiversité mondiale, mais où la production de céréales a détruit près de la moitié de la forêt de savane. A titre d’exemple, les exploitations agricoles qui fournissent la société chinoise Cofco, l’un des principaux bénéficiaires, seraient responsables du défrichement de plus de 20 000 hectares de forêts depuis 2017, selon l’ONG Mighty Earth.
Quant aux sociétés Bunge et Cargill, deux entreprises américaines spécialisées dans le négoce et l’exportation du soja brésilien, elles ont bénéficié de plus de 120 millions d’euros d’apports liés aux quatre banques françaises. Il y a tout juste deux ans, Disclose révélait que Cargill et Bunge s’étaient rendus complices de milliers d’incendies volontaires déclenchés par leurs fournisseurs dans la forêt primaire du Cerrado.
Vue aérienne de la déforestation dans la région du Cerrado en septembre 2022. Cette forêt de savane couvre 20% du territoire du Brésil, et renferme 5% de la biodiversité mondiale. ©Greenpeace
D’après notre analyse, la Société Générale, qui s’est engagée en mars dernier à appliquer des « nouvelles restrictions (…) afin de préserver les écosystèmes forestiers », a soutenu le groupe Cargill pour plus de 14 millions d’euros entre 2019 et 2022. Contactée par Disclose, la Société Générale n’a pas répondu à nos questions. Pas plus que le groupe BPCE. Quant au Crédit Agricole, il ne souhaite pas « commenter les chiffres donnés par les ONG », renvoyant à la lectrure d’un rapport sur sa politique de responsabilité sociale et environnementale. A aucun moment, ce document de trente-sept pages ne mentionne la déforestation au Brésil.
Devoir de vigilance
Cette politique d’investissements massifs pourrait se retourner contre les banques incriminées. Depuis février 2017, la loi sur le devoir de vigilance ouvre la possibilité à ce que les entreprises puissent être tenues responsables pour des faits de violations des droits humains et des atteintes à l’environnement liées à leurs chaînes d’approvisionnement. Des règles qui s’appliquent également au secteur financier. En octobre 2022, BNP Paribas a reçu une mise en demeure de l’association Notre affaire à tous et la Commission pastorale de la terre afin qu’elle améliore son plan de vigilance. Celui-ci révèlerait « des carences et des faiblesses significatives » dans la lutte contre « les graves atteintes liées à l’industrie du boeuf au Brésil. » A l’image de la BNP Paribas, le groupe Banque populaire et Caisse d’épargne, la Société Générale, et le Crédit Agricole pourraient se voir reprocher leur soutien financier continu ces dix dernières années à des entreprises liées à la déforestation. Et devoir s’en expliquer devant la justice.
Rémi Labed et Geoffrey Livolsi
Lire le rapport sur le rôle du secteur financier dans la déforestation au Brésil, publié par Repórter Brasil, Disclose, Sherpa, Harvest et le Center Climate Crime Analysis.