Reportage Estelle Spoto
"Les low-tech sont des inventions, des techniques ou des savoir-faire qui répondent à des besoins de base comme l'accès à l'eau, à l'énergie, à l'alimentation, à l'habitat, et qui sont aussi accessibles à toutes et à tous, simples à répliquer, à bas coût et durables, c'est-à-dire respectueuses de l'environnement, de la planète et du vivant. Et j'ajouterais même qu'elles génèrent beaucoup de convivialité et beaucoup d'entraide entre les êtres humains."
Cette définition, plutôt précise et exhaustive, est livrée par Caroline Pultz. Et celle-ci sait de quoi elle parle. Cette ancienne architecte d'intérieur liégeoise fait partie depuis trois ans de l'équipe du Low-Tech Lab, un programme de recherche et de documentation fondé par l'ingénieur français Corentin de Chatelperron, ancré à Concarneau (Bretagne), qui collecte, expérimente et diffuse les solutions et les projets low-tech en France et dans le monde.
©GUILLAUME JC
Avec le Low-Tech Lab, Caroline Pultz a notamment participé à l’expédition du Nomade des Mers, un catamaran qui a voyagé pendant six ans (2016-2022) pour éprouver et récolter une cinquantaine de dispositifs faisant appel au low-tech. Le frigo du désert au Maroc, les mouches soldats noires en Malaisie, le compost Bokashi au Japon, le filtre à eau biosable au Nicaragua, le chauffe-eau solaire aux États-Unis, le rocket stove (aussi appelé “poêle dragon”) en Inde, la culture de la spiruline à Madagascar ou encore le déshydrateur solaire au Mexique… Autant de solutions simples et efficaces qui ont été inventoriées, documentées et livrées en open source, avec toutes les explications nécessaires et les plans de montage, sur le site lowtechlab.org.
“Tout est récupérable, tout peut servir”
Le 2 septembre dernier, faisant escale sur sa terre natale au milieu de la préparation d’une nouvelle exploration low-tech avec Corentin de Chatelperron – le projet “Biosphère, capsule en milieu aride”, soit quatre mois pour tester les low-tech en autonomie dans le désert, au Mexique, pendant l’hiver 2022-2023 –, Caroline Pultz était à Herstal, en bord de Meuse, sur le chantier de réparation de bateaux La Bouée, pour le lancement de l’asbl low-tech Liège.
"Depuis 2018, je rêve qu'un low-tech lab voie le jour en Belgique", explique-t-elle, pleine d'enthousiasme. C'est sur les réseaux sociaux que l'appel a été lancé. "J'ai répondu que j'étais partant pour mettre ça en place sur Liège", retrace de son côté Kim Maréchal. Lui est au départ artiste plasticien. Il y a une vingtaine d'années, un projet l'a emmené à Madagascar, où il est finalement resté pendant deux ans et demi. "Sur place, j'ai notamment réalisé l'ampleur des dégâts au niveau de la déforestation. Il existe quelques zones protégées par l'Unesco, mais le reste, c'est de la terre rouge aride. Là-bas, 70 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Ils sont tous dans la débrouille, ils font avec les matériaux qu'ils ont. C'était un choc de se rendre compte que tout est récupérable, tout peut servir, du simple fil qui traîne au sachet en plastique. C'était dur, mais c'était une belle leçon."
De retour en Belgique, Kim Maréchal a d’abord œuvré dans la culture, puis dans la production de plantes, arbres et arbustes mellifères locaux afin de favoriser les insectes pollinisateurs en péril (Les Reines de Liège, Jungle Project). Dans sa réflexion pour agir à la source, sur l’impact environnemental des êtres humains, il a découvert les low-tech et le Low-Tech Lab de Concarneau, qui sont immédiatement entrés en résonance avec son expérience du do-it-yourself à Madagascar.
"II y a des outils low-tech qui existent, qui fonctionnent, qui sont efficaces et qui peuvent servir dans la vie de tous les jours, dit-il. Certains sont plus appropriés pour certaines régions, mais trouver la manière d'adapter les low-tech aux différentes situations, les améliorer en fonction de la géographie, des lieux, des besoins, c'est ça qui est intéressant, et même jubilatoire."
Une université du low-tech
Kim Maréchal avait déjà amorcé un projet de “tour des métiers” – voir comment apporter des solutions low-tech à certaines problématiques des céramistes, architectes, designers, menuisiers, etc. – quand il a répondu à l’appel de Caroline Pultz. Au sein de Low-Tech Liège, cette initiative va fusionner avec celle de Julie Mormont, qui pendant un an va restaurer là, à Herstal, un ketch (voilier à deux mâts) et l’équiper avec des outils low-tech, en partenariat avec un collectif féminin.
Le Low-Tech Liège englobe aussi un projet mené par Olivier Defêche. Ce jeune designer industriel qui a travaillé comme dessinateur dans l’automobile de pointe s’est retrouvé confronté à un vide de sens dans ce secteur très polluant et énergivore.
“Il y a 6000 ans, certaines cités du désert étaient bâties en intégrant des principes aéro et thermodynamiques pour bénéficier d’une climatisation naturelle. Nous, au jour d’aujourd’hui, nous sommes en train de surchauffer des villes entières et de saturer les réseaux en électricité produite au charbon, juste par le fait d’installer air conditionné sur air conditionné”, a-t-il relevé à l’occasion du discours qu’il a prononcé lors de la soirée de lancement du 2 septembre.
Désireux de mettre ses connaissances au service du bien commun via les low-tech, Olivier Defêche ambitionne une sorte d'université du low-tech, un centre où suivre des formations, des conférences, des ateliers, avec aussi un repair café, une "matériauthèque"… "Le projet se développe en collaboration avec la caserne de Saive, à Blégny, où j'ai déjà un bureau et où l'on pourrait utiliser certains de ces anciens bâtiments militaires. Le projet est en phase de concrétisation, on devrait commencer à organiser des formations en octobre."
Une certaine fébrilité et une bonne dose de joie étaient palpables chez les participants à cette soirée de lancement liégeoise. L’âge des low-tech (1) a peut-être bien commencé.
Marmite, frigo… Le low tech en trois exemples basiques
La marmite norvégienne. Le principe de la marmite norvégienne est de poursuivre une cuisson après avoir coupé la source d'énergie de départ (gaz, électricité), en plaçant la cocotte dans un caisson isotherme qui va réduire au maximum la déperdition de chaleur. Même plus besoin de surveiller le plat, ça ne brûlera pas.
Le frigo du désert (Zeer Pot). Un réfrigérateur qui fonctionne sans électricité, idéal pour conserver les légumes. Il s'agit de deux pots en terre cuite ou argile, de tailles différentes, qui sont imbriqués l'un dans l'autre et séparés par plusieurs centimètres de sable humidifié. La chaleur du pot intérieur fournit l'énergie nécessaire à l'évaporation de l'eau contenue dans le sable et le pot intérieur est ainsi rafraîchi, avec une différence de (jusqu'à) 10 degrés par rapport à la température extérieure.
Rocket stove. Ce foyer à bois en forme de L peut être utilisé pour la cuisson des aliments ou pour se chauffer, avec une combustion quasiment complète et peu de fumée. Il est réalisé à partir de boîtes de conserve de différents formats. Son foyer entouré d'isolant (cendre ou vermiculite) réduit la déperdition de chaleur.
Envie de vous y mettre ? L'"accélérateur de sobriété" Hellow organise un camp low tech "Ma cuisine raisonnée" les 1er et 2 octobre à Overijse. Info via la page Facebook de Hellow.
Quatre mois de vie low tech sur une plate-forme flottante en Thaïlande
De mars à juin 2018, Corentin de Chatelperron, fondateur du Low Tech Lab en France, a vécu seul sur une plateforme flottante ancrée dans une baie au large de Phuket, en Thaïlande. Le but de l’expérience ? Voir s’il pouvait se débrouiller avec les trente low tech embarqués Le projet a donné lieu à un livre (chez Arthaud), mais aussi au documentaire “Quatre mois sur ma biosphère”, produit par Arte et disponible sur YouTube. Ce journal de bord à suspens (tiendra-t-il le coup jusqu’au bout ? parviendra-t-il à surmonter tous les problèmes ?) constitue une belle introduction à la démarche.
(1) Un ouvrage de référence écrit par l’ingénieur français Philippe Bihouix.