Voilà plus d’un an que l’on nous annonce une révolution dans les bureaux portée par des modèles génératifs capables de prendre en charge tous types de tâches (analyse, synthèse, rédaction, traduction…) pour soulager les cols blancs, mais il n’y a pas que les emails et les fichiers bureautiques dans la vie ! Les chatbots et leurs grands frères, les assistants numériques, relancent la promesse d’agents intelligents capables d’orienter les consommateurs dans leur parcours d’achat. De quoi faire saliver les marques, distributeurs et intégrateurs de flux de produits…
En ce moment est diffusée à la radio une publicité de Citroën pour la nouvelle gamme DS qui intègre ChatGPT : On a testé l’IA au volant ! En fait, ChatGPT n’est pas directement intégré dans le système embarqué de la voiture, c’est plutôt une application qui sera disponible à travers l’interface vocale de la voiture (le système IRIS). Dans l’absolu, n’importe qui peut faire la même chose (il suffit d’installer l’application ChatGPT sur son smartphone et de le poser sur le tableau de bord), mais le fait que Citroën choisisse de mettre en avant cette fonctionnalité dans une publicité nationale illustre bien le raz-de-marée médiatique autour de ChatGPT : tout le monde veut en croquer un bout.
Que de chemin parcouru depuis les premiers chatbots lancés en 2016 avec les assistants vocaux intégrés aux enceintes connectées : Chatbots et assistants personnels façonnent le web de demain. Certes, les assistants de l’époque font pale figure comparés à ceux d’aujourd’hui, mais il est important de rappeler que le succès de ChatGPT repose sur les précédentes tentatives, un peu comme l’iPhone qui a su trouver la bonne formule et vampiriser un créneau en forte croissance.
Personne ne peut nier les énormes progrès réalisés grâce aux larges langages de modèle (les LLMs), mais personne ne peut non plus ignorer le fait que le brouhaha médiatique n’est pas réellement proportionnel à la taille du marché, car nous parlons d’une fraction de la base d’utilisateurs de plateformes sociales ou de services en ligne qui comptent des milliards d’utilisateurs comme Facebook, WhatsApp ou Gmail : OpenAI’s ChatGPT now has 100 million weekly active users.
Ceci étant dit, l’engouement se justifie par le formidable potentiel de croissance des usages reposant sur les modèles génératifs (IDC Forecasts Spending on GenAI Solutions Will Reach $143 Billion in 2027 with a Five-Year Compound Annual Growth Rate of 73.3%). Les différentes évaluations de ce potentiel sont très contestables, mais ce n’est pas l’objet de cet article. Toujours est-il que nous sommes dans une configuration de marché inédite, car rarement le rythme d’innovation n’aura été aussi élevé dans la mesure où chaque semaine nous apporte son lot de nouveautés ou records : OpenAI debuts GPT-4 Turbo and fine-tuning program for GPT-4 et Google Bard can now ‘respond in real time’ instead of waiting. Les géants numériques se livrent ainsi à une véritable surenchère technologique (Google Cloud demonstrates the world’s largest distributed training job for large language models across 50000+ TPU v5e chips) ainsi qu’un important travail de lobbying pour verrouiller le marché : Une régulation souhaitable et nécessaire de l’intelligence artificielle.
Ce à quoi nous assistons depuis 1 an est une authentique course contre la montre pour prendre position sur un créneau à fort potentiel, car les prétendants sont nombreux et le marché très vaste. Dans cette course, les éditeurs sont forcés de faire de choix pour ne pas disperser leurs ressources, le grand concurrent de ChatGPT, Claude, n’est ainsi toujours pas disponible dans l’Union européenne : Anthropic brings Claude AI to more countries, but still no Canada.
Ce qui est certain, c’est que ce grand ramdam médiatique nous a fait accepter l’idée que les chatbots sont nos futurs compagnons de tous les jours, que ce soit pour nous tenir compagnie (Character.AI introduces group chats where people and multiple AIs can talk to each other), pour nous accompagner dans nos loisirs (Microsoft is bringing AI characters to Xbox) ou pour renforcer notre foi (South Korean Christians turn to AI for prayer).
La ruée vers l’Ouest (numérique)
J’imagine que vous n’avez pas besoin de moi pour savoir que des montants colossaux sont injectés dans de nombreuses startups aux États-Unis pour accélérer la mise sur le marché d’offres reposant sur les IA génératives. Une véritable ruée vers l’Ouest, là où la régulation est plus tolérante et où les ressources sont (à priori, mais pas tant que ça) abondante : Generative AI boom sparks investment spree.
N’allez néanmoins pas croire que tous ces investissements ne concernent que des projets ludiques comme Character.ai, car le potentiel des chatbots réside surtout dans leur capacité à automatiser des tâches laborieuses (AI bots can do the grunt work of filling out job applications for you) ou pour proposer un accompagnement dans l’apprentissage ou la formation (NetEase Youdao releases AI-driven digital human English tutor).
Pour éviter de se faire damer le pion, tous les éditeurs se précipitent pour intégrer un chatbot à leur offre existante, notamment les éditeurs de navigateurs : Microsoft’s new Bing AI chatbot arrives in the stable version of its Edge web browser, Opera launches new integrated AI sidebar powered by OpenAI’s ChatGPT et Brave’s Leo AI assistant is now available to desktop users.
Les géants numériques sont bien évidemment sur le coup malgré une certaine inertie, car leurs produits touchent des centaines de millions d’utilisateurs : Samsung unveils ChatGPT alternative Samsung Gauss that can generate text, code and images, Amazon brings conversational AI to kids with launch of ‘Explore with Alexa’ et Google Assistant is getting AI capabilities with Bard.
Si Apple tarde à dévoiler son jeu, tous les regards se tournent logiquement vers Microsoft qui a été le premier à prendre pied sur le marché des modèles génératifs avec un investissement colossal en début d’année (Microsoft Invests $10 Billion in ChatGPT Maker OpenAI) et un déploiement à grande échelle qui semble imminent : Microsoft plans to bring its AI Copilot to 1 billion Windows 10 users. Dans quelques semaines, ce sont les presque 1,5 milliards d’utilisateurs de Windows qui auront accès au chatbot de Microsoft, du moins pour les versions 10 et 11 qui représentent 96,5% de la base installée.
Certains pourraient y voir un nouveau départ pour Microsoft, mais c’est surtout une nouvelle ère qui démarre pour les outils informatiques et numériques en général : This New Breed of AI Assistant Wants to Do Your Boring Office Chores. D’où l’implication très forte de Microsoft pour éviter de se faire coiffer au poteau, car les nouveaux entrants sont très ambitieux et le marché demandeur d’un peu de nouveauté : How to Use ChatGPT as Your Personal Assistant for Work.
Selon cette optique, nous pourrions théoriser qu’il y a eu trois “ères numériques” :
- l’ère des sites web et des portails / moteurs de recherche pour y accéder ;
- l’ère des applications mobiles et des places de marché d’applications pour les installer ;
- l’ère des chatbots et des assistants généralistes pour les exploiter.
Croyez-le ou non, mais nous venons tout juste d’entrer dans cette nouvelle ère avec le lancement des premiers assistants numériques qui combinent une interface textuelle multimodale et une place de marché de chatbots : Quora’s Poe introduces an AI chatbot creator economy et OpenAI is letting anyone create their own version of ChatGPT.
Je pense que tout a déjà été dit au sujet des annonces récentes d’OpenAI. Tout ce que je peux ajouter est qu’effectivement, il est très simple de créer son chatbot grâce à une interface textuelle très intuitive, j’ai ainsi pu créer mon GPT en 5 minutes : MarketStrat Pro. Le résultat est plutôt intéressant, même si pas réellement satisfaisant, car il ne se comporte pas exactement selon les instructions que je lui ai explicitement fournies. Mais bon, j’imagine que ça va s’améliorer au fil des semaines et de l’utilisation.
Malgré ces défauts de jeunesse, le GPT Store d’OpenAI relance officiellement le marché des chatbots.
Chatbots are the new skills
Au début du web, toutes les marques voulaient leur site web. Elles l’ont eu (parmi les 200 M de sites existants).
Au début des médias sociaux, toutes les marques voulaient leur profil. Elles l’ont eu (parmi les 5 milliards de profils existants).
Au début des smartphones, toutes les marques voulaient leur application mobile. Elles l’ont eu (parmi les 2,5 M d’applications existantes).
C’est à chaque fois le même schéma qui se répète, et il n’y a aucune raison pour que ça ne se passe pas de la même façon pour les chatbots : chaque marque et chaque éditeur de contenus ou services en ligne va vouloir créer son propre chatbot pour exister au sein des places de marché et éviter que quelqu’un d’autre n’occupe un créneau à leur place.
Attendez-vous donc à voir fleurir des milliers de chatbots dans les prochaines semaines, des chatbots de marque (ex : Renault, BNP, Orange…) pour répondre aux questions des clients ou pour aider les prospects à faire leur choix ; mais également des chatbots d’éditeurs de contenus comme (ex : Marmiton pour des idées recettes, ou Le Routard pour des idées de séjour touristique). Pour certains éditeurs comme Expedia ou OpenTable qui se sont déjà lancées il y a quelques mois avec les plugins, ça va être simple, pour les autres, il va falloir un peu de travail pour obtenir un résultat satisfaisant, c’est à dire un chatbot avec le bon niveau de langage qui fournit les bonnes réponses.
Encore une fois, nous ne sommes pas ici en territoire inconnu puisque les chatbots sont les successeurs des services vocaux. Les assistants vocaux proposaient peut-être des fonctionnalités limitées (Les assistants personnels ne délivrent leur potentiel que pendant les micro-moments vocaux), mais ils les proposaient quand même ! Aujourd’hui force est de constater que ces assistants numériques nouvelle génération sont beaucoup plus puissants, capables de compléter des tâches plus sophistiquées (meilleure compréhension des besoins et plus grande autonomie).
En théorie, les marques qui proposaient déjà des services vocaux ne devraient pas avoir trop de mal à s’adapter, il leur faudra simplement les adapter via les API proposées par cette toute nouvelle plateforme (OpenAI launches API that lets developers build ‘assistants’ into their apps), parce que oui, c’est bien une nouvelle plateforme : une interface numérique qui facilite la rencontre entre l’offre (les marques et éditeurs) et la demande (les utilisateurs).
Une nouvelle ère pour les services en ligne et surtout pour le commerce en ligne
Je parle d’une nouvelle ère, mais la notion d’assistant d’achat n’est pas neuve, car elle existait sous une autre forme, celle des outils d’aide au choix (lire à ce sujet cet article publié en 2005 : Deux beaux exemples d’assistants d’achat).
Plus récemment, certains ont essayé de proposer des assistants d’achat indépendants (comprenez par là : multi-marques), et notamment Microsoft ambitionnait déjà d’accompagner les utilisateurs dans leur parcours d’achat avec le lancement de Bing il y a presque 15 ans : Le marché de la recherche relancé avec Bing et Wolfram ?
C’était à une autre époque, car les smartphones et plateformes ont changé la donne et surtout les habitudes : les utilisateurs sont maintenant passifs, ils attendent qu’on leur propose des choses intéressantes dans leur flux de publications.
Ce phénomène déjà documenté (Boredom Proneness, Loneliness, and Smartphone Addiction Among Lebanese Young Adults: The Mediating Role of Depression, Anxiety, and Stress) est une formidable opportunité pour les marques et distributeurs qui peuvent s’appuyer sur la paresse des consommateurs pour prendre la main et leur recommander des choses, comme c’est déjà le cas en Chine : Taobao AI Shopping Assistant Introduced for Single’s Day.
C’est une opportunité pour les marques et distributeurs déjà bien installés, mais également pour les nouveaux entrants qui souhaitent séduire les chasseurs de promotions et autres acheteurs avertis, à l’image de Penny.im dont le slogan est “Shopping smarter with AI“.
Comme vous pouvez le constater, le potentiel est énorme, mais il faut le nuancer avec les problèmes inhérents aux modèles de langage : l’impossibilité de modifier de façon explicite les réponses (un LLM est un modèle, pas une base de donnée) et surtout leur tendance à inventer des réponses, c’est le fameux problème d’hallucination (Are AI models doomed to always hallucinate?).
La seule façon viable de contrer ce risque d’hallucination est de combiner la puissance des modèles génératifs avec l’exhaustivité et la précision des bases de données traditionnelles : une approche statistique ET symbolique.
Bientôt des référentiels de produits partagés ?
Comme expliqué plus haut, j’anticipe une ruée des marques vers les plateformes de chatbots, mais la vraie bataille va se jouer au niveau des assistants numériques de premier ordre : ceux qui seront fournis par les géants numériques comme Microsoft, Google, Amazon, Meta Apple, Samsung… puisque nativement intégrés aux terminaux ou plateformes, reproduisant ainsi l’oligopole pré-existant : Les assistants personnels sont les nouveaux navigateurs web, et les GAFAM en sont les maitres absolus.
Dans un contexte d’achat et de recommandations de produits, les assistants les plus pertinents sont ceux qui auront accès à la plus grosse base de données de produits. L’avantage dans un premier temps sera bien évidemment du côté d’Amazon et de Google (avec Google Shopping). Mais nous pouvons tout à fait envisager que des acteurs indépendants se chargent de créer des gigantesques référentiels de produits, les équivalents des jeux de données d’entrainement habituellement utilisés comme Common Crawl, RefinedWeb ou The Pile.
Le nouveau défi pour les marques sera logiquement de faire référencer correctement leurs produits (caractéristiques, descriptions, argumentaires…) dans les référentiels de produits servant à l’entrainement des modèles de langage marchands. Ça sera un peu comme de se faire référencer dans une centrale d’achat, mais de façon automatiser via les outils de PIM (Product Information Management).
Peut-être que les solutions de gestion des flux de produits comme Lengow ou ShoppingFeed peuvent également se positionner sur le créneau… Idem pour des solutions plus pointues comme celles qui uniformisent ou enrichissent les référentiels produits Salsefy (ex Alkemics) ou Akeneo. Je précise que ce ne sont que des suppositions, je laisserais les intéressés exprimer leur point de vue. Car oui, il y a urgence à se positionner sur ce créneau, car le phénomène d’hallucination est bien réel chez les chatbots, n’espérez pas en venir à bout avec deux ou trois master prompts, il va impérativement falloir s’appuyer sur des référentiels produits unifiés afin de garantir la qualité des recommandations et surtout de baisser les coûts d’entrainement pour les modèles marchands.
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Je suis bien incapable de vous dire à quel rythme tout ce ci va se produire, ni ça va se produire d’ailleurs, mais ce qui es certain, c’est que l’adoption des chatbots par le grand public passera nécessairement pas des assistants numériques généralistes ou spécialisés, et que de nombreux secteurs d’activité vont connaitre une nouvelle transformation : médias, transport, services (ex : conseils juridiques, financiers ou patrimoniaux), immobilier…
Suis-je en train de parler du Web4 ? Je ne sais pas trop ce que ce terme désigne, mais je l’aborderai dans un prochain article.