Actuellement à l’étude au Parlement européen, le Media Freedom Act prévoit la possibilité pour les États de surveiller les journalistes afin d’identifier leurs sources. Une mesure fortement encouragée par la France.
Pour Julie Majerczak, responsable belge de Reporters sans frontières, le Media Freedom Act est une « porte ouverte à toutes sortes d’abus, car c’est toujours au nom de la sécurité nationale qu’on viole les libertés ».
Julie Majerczack est représentante de RSF auprès de l’UEÉté 2021 : le monde entier fait connaissance avec Pegasus, un puissant logiciel espion israélien prisé des régimes autoritaires pour infecter les téléphones des empêcheurs de gouverner en rond, qu’ils soient militants politiques, avocats ou journalistes. À la suite du scandale, qui a éclaboussé plusieurs États membres (on pense à la Hongrie ou à la Pologne), l’Union européenne a installé une commission d’enquête pour réfléchir à la régulation de ces outils de cybersurveillance. Celle-ci a rendu ses conclusions début mai. Sans aller jusqu’à proposer un moratoire, réclamé par les associations de défense des libertés publiques, mais en préconisant un encadrement strict.
Mais voilà que l’Europe s’apprête à défaire ce qui a été péniblement tissé. Un cadeau empoisonné s’est glissé dans le Media Freedom Act, un projet de règlement qui vise à lutter contre la concentration des médias dans l’espace communautaire et protéger leur indépendance : la possibilité pour les États, au nom de la sécurité nationale, de surveiller les journalistes afin d’identifier leurs sources. Initialement restrictif dans ses exceptions, le texte a été largement réécrit par la France, qui s’est montrée très insistante auprès du Conseil de l’Union européenne, présidé par la Suède jusqu’à la fin du mois. Présentée ce mercredi 21 juin, la position de négociation doit maintenant être examinée par la Commission des libertés civiles (LIBE) du Parlement, avant les discussions en trilogue qui devraient débuter en septembre. Il reste donc un espoir d’amélioration.
Boîte de Pandore
Dans le texte présenté, les technologies utilisées ne sont plus désignées sous le terme de « logiciels espions » mais de « logiciels de surveillance intrusifs » (plus large), et la liste des crimes et délits justifiant leur déploiement s’est considérablement allongée (sont visés tous ceux punis d’une peine d’au moins trois ans de prison). « Criminalisation du travail journalistique », objecte Chloé Berthélémy, de l’association European Digital Rights (Edri), en pointe sur le sujet. « C’est la porte ouverte à toutes sortes d’abus, car c’est toujours au nom de la sécurité nationale qu’on viole les libertés », renchérit Julie Majerczak, représentante de Reporters sans frontières auprès de l’UE, qui a signé une lettre ouverte adressée par soixante-cinq organisations de la société civile aux représentants des États membres.
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« C’est d’autant plus dangereux que dans sa position, la France revendique la sécurité comme une compétence exclusive des États, à leur discrétion. Les affaires Pegasus ou Predator en Grèce [des dizaines de journalistes et d’opposants politiques ont été mis sur écoute avec un logiciel du même type, ndlr] montrent pourtant que sans garde-fous, on ouvre une boîte de Pandore », ajoute-t-elle. Même son de cloche du côté du journaliste hongrois Szabolcs Panyi, contaminé par Pegasus : « Les dirigeants de l’UE doivent réaliser que tout citoyen européen, qu’il s’agisse d’un journaliste ou d’une source d’un journaliste, peut faire l’objet d’une surveillance illégitime si certains États membres s’en tirent toujours en invoquant la sécurité nationale comme un passe-droit. »
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Ce coup de canif est le dernier d’une longue série : ces dernières semaines, au nom de la lutte contre la pédopornographie, l’Espagne a poussé pour interdire le chiffrement des communications de bout en bout (la technologie utilisée par Signal ou WhatsApp, par exemple) ; quant à la France, elle est de plus en plus tentée de criminaliser ces pratiques numériques, assimilées à du terrorisme dans un dossier judiciaire en cours. Dans le cadre du projet de loi justice, voté par le Sénat et désormais examiné par l’Assemblée nationale, et qui prévoit l’activation à distance des téléphones et ordinateurs par les services de renseignement dans le cadre d’enquêtes, le rapporteur du texte souhaite introduire un amendement pour exclure plusieurs professions protégées, dont les journalistes. Mais face aux inquiétantes dispositions du règlement européen, à quoi cela servirait-il ?
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