Par Anthony Roberfroid
On les croyait vouées à disparaître dans les prochaines années mais les centrales au charbon sont toujours bien présentes en Europe, et elles sont en passe d’être davantage utilisées dans les prochains mois.
Avec la guerre en Ukraine et les tensions sur l’approvisionnement de gaz russe (embargo et baisse des livraisons), de nombreux pays européens ont cherché des alternatives pour garantir leur sécurité d’approvisionnement en électricité.
Face à la forte hausse des prix des énergies fossiles importées, plusieurs membres des Vingt Sept se sont tournés vers le charbon.
À la mi-juin, l’Allemagne a confirmé qu’elle allait utiliser davantage ses centrales à charbon afin de réduire sa consommation de gaz et assurer sa sécurité d’approvisionnement énergétique. Conséquence sur le terrain : les investissements réalisés dans les mines de charbon ont augmenté. Non loin de la Belgique, c’est notamment la mine de Garzweiler qui a vu son activité s’étendre.
Energie : retour controversé du charbon en Allemagne
D’autres pays ont également pris un chemin similaire ces dernières semaines.
En France, le ministère de la Transition énergétique a annoncé hier garder la possibilité de relancer durant l’hiver la centrale à charbon de Saint-Avold (Moselle), alors que celle-ci avait fermé ses portes le 31 mars dernier.
En Italie, en Pologne, aux Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Autriche ou encore en Bulgarie, on songe également à relancer la production d’électricité via le charbon dans les prochains mois.
Pourquoi revenir au charbon ?
Le charbon se présente comme une alternative particulièrement économique pour les pays qui ont accès à cette matière première sur leur territoire et qui ont déjà des centrales permettant de la brûler pour produire de l’électricité.
"Les centrales à charbon sont très faciles à redémarrer si elles ont été mises sous cocon, on parle d’une histoire de quelques semaines. Ce sont des installations très robustes et qui peuvent être rapidement réutilisées si elles ont été bien entretenues", explique Damien Ernst, professeur à l’ULiège et spécialiste en énergie.
Cette source d’énergie est donc facilement mobilisable et coûte bien moins cher que le gaz actuellement, même si le charbon a connu une hausse des prix ces derniers mois : "Si on regarde les cours du charbon, l’équivalent d’un mégawattheure se vend environ 45€ - ce qui n’est pas donné – contre 130 € pour le gaz. L’électricité produite avec du charbon est moins chère, il peut se trouver sur le sol européen et nous n'en sommes pas autant dépendant de la Russie que pour le gaz", ajoute Damien Ernst.
L’électricité produite avec le charbon, bien que chère par rapport aux années précédentes, est donc meilleur marché que le gaz dans ce cas présent.
Vers un manque d’énergie en Europe cet hiver
Néanmoins, malgré la production d’électricité par les centrales à charbon, l’Europe ne devrait pas réussir à compenser la perte de production que les centrales à gaz permettent selon Francesco Contino, professeur à l’Ecole polytechnique de l’UCLouvain et expert en matière d’énergie : "Cela ne sera pas suffisant. Différents acteurs du secteur préviennent qu’il faut limiter nos consommations.", détaille le professeur.
Pour le professeur de l’UCLouvain, le manque de capacité énergétique et le rationnement vont principalement faire souffrir les industries européennes, et indirectement les consommateurs : "L’industrie lourde va être ralentie et cela est un mauvais signal, c’est une grosse crainte pour pas mal de travailleurs."
Un avis partagé par Damien Ernst : "Il va falloir baisser de manière significative notre consommation en Europe dès maintenant", indique l’expert. "Il faut que l’Europe réalise des réserves de gaz avant l’hiver. Le charbon permettra d’éviter la casse mais il ne permettra pas de remplacer à lui seul l’électricité que le gaz russe permettait de réaliser. Il faut que la demande en énergie diminue pour atteindre l’offre que l’Europe peut se permettre".
Une énergie deux fois plus polluante
Reste que le charbon, bien qu’utile pour soutenir la demande européenne en énergie, est aussi deux fois plus polluant que le gaz. Un mauvais signal pour l’environnement et les accords de Paris, qui visaient une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’aumoins 55% d’ici 2030 par rapport à 1990.
"Du côté européen, on ne réfléchit plus d’un point de vue climatique en ce temps de guerre", révèle Damien Ernst. "L’Europe veut à tout prix sauver son économie. Les priorités sont ailleurs et on ne va plus se préoccuper du climat.", ajoute-t-il.
"Les États veulent sauver le confort de leur population à court terme en soutenant l’économie mais l’impact climatique sera là, avec une production de CO² deux fois plus élevée et d’autres pollutions, comme l’oxyde d’azote qui pourrait être issu d’une mauvaise combustion du charbon", détaille Francesco Contino.
Les deux experts sont d’ailleurs pessimistes quant au futur environnemental européen, qui a été mis au second plan selon eux : "Tout va dépendre du temps que durera cette situation. Le prochain hiver sera révélateur. Si on se dirige vers le renouvelable, il y a moyen que l’on s’en sorte mais cela mettra du temps. Si on se réfugie dans le fossile, il y a un grand risque que ce soit catastrophique." conclut le professeur de l’UCLouvain.
Et en Belgique ?
Le cabinet de la ministre Van Der Straeten nous confirme qu’il n’y a aucun plan de réouverture d’une centrale à charbon dans notre pays. La Belgique ne craint pas particulièrement une pénurie de gaz puisqu’elle ne dépend pas de la Russie pour ses importations, qui proviennent principalement de la Norvège et des Pays-Bas. De plus, notre pays est l’un des hubs d’entrée de Gaz Naturel Liquéfié (LNG) en Europe, ce qui fait de lui une plateforme qui pourrait facilement obtenir du gaz venant hors de l’Europe.