« La plus grande tendance qui impacte le fret aérien à l’heure actuelle n’est pas la mer Rouge, mais les sociétés chinoises de commerce électronique comme Shein ou Temu« , affirme Basile Ricard, le directeur des opérations pour la Chine chez Bolloré Logistics.
Déjà critiquées pour leur modèle* basé sur la surconsommation, leurs impacts sociaux et la toxicité de certains de leurs produits, ces deux marques chinoises de « l’ultra-fast fashion » sont maintenant pointées du doigt pour leur recours exponentiel au fret aérien afin de livrer rapidement une clientèle de plus en plus exigeante. Selon une récente étude de l’agence Reuters, Shein par exemple (environ un cinquième du marché mondial de la fast-fashion) aurait expédié par avion 5.000 tonnes d’articles de mode par jour dans le monde entier rien que l’année dernière. L’équivalent de 108 Boeing 777, un avion gros porteur qui peut contenir 400 personnes. Quant à Temu, elle en aurait livré environ 4.000. A titre de comparaison, Apple n’expédierait «que» 1 000 tonnes de produits par jour en avion. L’année dernière, le Congrès américain rapportait que les deux marques chinoises envoyaient 600 000 colis made in China par jour aux États-Unis. Le phénomène est tel que la fast-fashion, pour livrer vite et assurer les tendances éphémères auprès de sa clientèle, affréterait aujourd’hui un tiers des avions-cargos longue distance mondiaux.
Entre la Chine, où sont produits les articles dans un temps record, et le reste du monde, les géants de l’e-commerce font passer l’expédition des colis à quelques jours par les airs, contre cinq à six semaines en bateau. Temu et Shein, pour ne citer qu’eux, investissent donc désormais de manière massive le transport aérien. Une tendance dont les effets économiques et écologiques commencent à peine à être évalués.
Pour rappel, le secteur aérien est responsable d’environ 5% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial et représente le mode de transport le plus polluant. Au-delà de l’impact environnemental, cette forte demande en transport par avion fait grimper les prix du fret, notamment depuis l’été dernier. Les entreprises mondiales s’étaient déjà démenées pour trouver d’autres options au transport maritime à cause des perturbations en mer Rouge, ce qui avait fait grimper la demande en flèche. Aujourd’hui la force de frappe des acteurs de la fast fashion est telle qu’ils bouleversent tout le secteur raflant les derniers espaces disponibles. La croissance de la demande en aérien de Shein et Temu réduit l’espace disponible pour d’autres industries et à long terme, cela pourrait évincer les clients traditionnels, qui se disputent une capacité aérienne limitée. Le commerce en ligne utilisait déjà énormément l’avion comme moyen de transport, mais avec l’ultra fast fashion qui s’y ajoute, cela met les transporteurs en difficulté. D’autant que les livraisons provoquent un certain déséquilibre commercial “avec de grandes quantités de marchandises quittant la Chine mais avec des volumes de marchandises étant beaucoup plus faibles au retou. Les groupes chinois Shein et Temu mettent le modèle sous pression. Elles passent directement par les compagnies aériennes pour obtenir plus de capacité de vols et semblent dicter leurs règles non seulement dans l’industrie de la mode, mais aussi désormais dans le transport par avion.
- Mi-mars en France, l’Assemblée nationale a voté une série de mesures pour limiter les impacts délétères (contribution au réchauffement climatique, production de déchets) de la fast fashion dans l’Hexagone. La proposition de loi doit prochainement être examinée par le Sénat.