Une étude d’une ampleur sans précédent, de 650 pages, que vous révèle France Inter, dévoile le gigantisme tentaculaire et très professionnalisé des réseaux d’influence construits par la Chine partout dans le monde.
C’est une plongée vertigineuse dans la toile d’araignée d’influence que tisse la Chine aux quatre coins de la planète. France Inter et la rédaction internationale de Radio France révèlent ce lundi un rapport de 650 pages, qui a nécessité deux ans de travail, réalisé par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem), un organisme parapublic.
Cette étude, d'une ampleur sans précédent, brosse donc un paysage inquiétant sur les réseaux chinois et apporte aussi un éclairage sur la "crise des sous-marins" qui sévit entre la France, l'Australie et les États-Unis depuis mercredi, face aux ambitions de la République populaire dans la région indo-pacifique.
"C’est un moment machiavélien", écrivent les deux auteurs du rapport, Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, au sens où Pékin semble désormais estimer que, comme l’écrivait Machiavel dans "Le Prince", "il est plus sûr d’être craint que d’être aimé. Ce qui correspond donc à une 'russianisation' des opérations d’influence chinoise".
Agressivité croissante
Les objectifs de la Chine à l’étranger sont de "séduire et subjuguer" mais surtout "d’infiltrer et de contraindre", en modernisant les méthodes russes pour aboutir à ce que les deux auteurs du rapport appellent le "techno-autoritarisme" ou "autoritarisme numérique" chinois. Cette industrialisation des moyens d’influence de Pékin s’est accélérée depuis 2017, avec "une agressivité croissante ces dernières années", constate le rapport de l’Irsem.
Pour ces actions à l’étranger, la Chine utilise plusieurs courroies de transmission : le département de la propagande du Parti communiste chinois, la Ligue de la jeunesse communiste, le bureau 610 en charge de la lutte contre le mouvement Falun Gong, l’armée et ses cybers-soldats de la base 311, les centres culturels Confucius, les diasporas chinoises et une myriade d’associations, etc.
La Chine a aussi recours à des opérations de manipulation de l’information sur les réseaux sociaux :
Les opérations les plus dures ne consistent pas à séduire l’adversaire mais à le faire plier.
"Elles se déploient simultanément dans plusieurs secteurs afin de circonvenir les diasporas, les médias, la diplomatie, l’économie, la politique, l’éducation, les think tanks, la culture, etc.", notent les auteurs du rapport.
Mensonges sur fond de Covid
Pendant la pandémie de Covid-19, née en Chine, Pékin a eu une grande influence sur l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). "Pour plaire à Pékin, l’OMS a ignoré les messages d’alerte envoyés par les centres taïwanais de contrôle des maladies dès le 31 décembre 2019 et a tardé à déclarer une urgence de santé publique de portée internationale car la Chine y était opposée", peut-on lire dans le rapport.
Pour faire croire que le COVID-19 était originaire des États-Unis et non de Chine, Pékin a monté une opération d’enfumage à très grande échelle que les auteurs ont baptisé "Infektion 2.0". La cyber-armée chinoise a inondé la toile de contre-narrations et de fake news. L’opération s’est appuyée sur le site canadien globalresearch.ca et sur les articles de Larry Romanoff, un retraité canadien installé à Shangaï, qui vont diffuser la propagande chinoise.
Dans sa stratégie d’influence, la Chine vise particulièrement l’Europe. Mais pas n’importe quel pays, révèle le rapport de l’Irsem. La porte d’entrée de l’entrisme chinois est la Suède. C’est même une "double porte d’entrée", estiment les auteurs du rapport de Paul Charon et de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, "vers l’Arctique d’une part et vers l’Union européenne d’autre part".
La Suède, cible européenne
Pékin n’a pas choisi sa "proie" suédoise au hasard. Les Chinois s’intéressent particulièrement aux industries qui développent des technologies duales, à double usage, c’est-à-dire civiles mais qui peuvent avoir des applications militaires ou sécuritaires. L’offensive chinoise a démarré avec la nomination d’un nouvel ambassadeur à Stockholm en août 2017, Gui Congyou. Ce "loup guerrier" est un spécialiste de la Russie. Il va "multiplier les attaques et les déclarations menaçantes", notamment à l’encontre des médias.
Pékin va monter en épingle une affaire de touristes chinois prétendument violentés par la police suédoise, qui lui permet d’accuser Stockholm de ne pas respecter les droits de l’homme. Le cas suédois est conçu comme un avertissement aux autres pays européens pour tester leur réaction.
La France ne fait pas partie des cibles prioritaires de Pékin malgré quelques opérations d’influence. Le rapport pointe du doigt des organismes, comme l’IRIS de Pascal Boniface, ou une personnalité comme l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, qui préside la Fondation Prospective et Innovation (FPI), qui "contribuent de facto aux opérations d’influence chinoise en France".
La Nouvelle-Calédonie dans l'équation ?
Le rapport révèle notamment que l’Institut Confucius de Lyon a dû être fermé suite à une ingérence chinoise. Les opérations d’influence de Pékin ne concernent pas seulement l’Hexagone mais aussi l’outre-mer et plus précisément la Nouvelle Calédonie, riche en nickel. La Chine a toute les raisons d’encourager les indépendantistes de ce territoire français. Elle le fait via l’Association d’amitié sino-calédonienne qui a invité l’ambassadeur de Chine en France à passer une semaine sur place en octobre 2017, un an avant le premier référendum.
La Chine fonctionne en noyautant l’économie, en se rapprochant des responsables tribaux et politiques parce que c’est la méthode la plus efficace et la moins visible. Sa stratégie est parfaitement rôdée et elle a fonctionné ailleurs dans le Pacifique.
Mais le problème pour Pékin avec cette posture agressive en matière d’influence, c’est que l’image de la Chine n’a jamais été aussi mauvaise qu’aujourd’hui, concluent les auteurs du rapport de l’Irsem.
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