Le mot qui annonçait la « prochaine révolution du Web » en 2021 serait déjà ringardisé après avoir été répété ad nauseam. Plus personne n'ose le prononcer.
Il y a quelques semaines, le responsable communication d’un grand incubateur de startups parisien me signalait que, parmi ces pairs, personne n’osait plus prononcer le mot « métavers ». « C’est un peu notre Voldemort », me disait-il, en référence au méchant de la saga Harry Potter dont il ne faut pas prononcer le nom.
La comparaison est plutôt bien trouvée. Les expériences s’apparentant au métavers sont encore partout, le CES (salon des nouvelles technologies de Las Vegas) devrait encore lui faire la part belle cette année. Mais le mot a, il est vrai, perdu de sa superbe.
J’ai pu le constater dans ma boîte mail, où les communiqués de presse reprenant « métavers » dans leur objet se font plus rares. Exemple parlant : Mira, un espace en ligne lancé mi-novembre imaginé par l’architecte Gaspard Giroud se présente comme un « monde virtuel hyperréaliste » qui « héberge des expériences d'extension du réel ». Le mot métavers – qui aurait pu pourtant correspondre à cette reproduction de Paris et New-York accessible en réalité virtuelle que marques, créateurs et autres musées sont invités à investir – n’est pas cité une seule fois.
La baisse d’intérêt se constate aussi sur Google Trend. La courbe de la recherche « metaverse » décroît lentement mais sûrement depuis janvier 2022 – date à laquelle le nombre de requêtes pour le mot atteignait son pic.
Doublé par les gobelins
Le coup de grâce est survenu le 3 décembre : « metaverse », qui aurait pu être désigné « mot de l’année 2022 » par l’Oxford English Dictionnary, s’est fait coiffer au poteau par « goblin mode ». Cette expression popularisée très récemment désigne le fait d’assumer pleinement sa paresse, sa mauvaise hygiène de vie et son rejet des normes sociales. Des gobelins plutôt que des métavers : ce sont les internautes qui en votant en ont décidé ainsi après un débat animé. Le média PC Gamer a carrément appelé ses lecteurs à voter en masse pour « goblin mode » contre « metaverse ». « Doit-on vous le rappeler ? Le metaverse c’est du bullshit. (...) Nous vous en supplions. Le métavers que les PDG veulent vous vendre est affreux, la pire version d'Internet qui ne peut que s'effondrer comme tous les systèmes de ponzi absurdes sur lesquels il est basé », peut-on lire sur le site du média.
Katherine Connor Martin, directrice produit d’Oxford Languages interrogée par le New York Times, penchait plutôt pour le mot métavers. Le terme, né dans un roman de science-fiction dans les années 1990 puis devenu réalité, n’est en effet pas sans intérêt. Mais elle reconnaît que son évolution n’est pas claire. « Est-ce que cela deviendra une chose réelle ? Ou sera-t-il un terme de marketing ringard que personne n'utilise ? », se demande-t-elle.
Encore un coup de Zucky
Alors à qui la faute ? Comme pour beaucoup des maux de la tech, le coupable idéal n’est autre que… Mark Zuckerberg. Le patron le plus détesté de la Silicon Valley a eu la riche idée de rebaptiser fin 2021 son entreprise Meta pour incarner le tournant vers le métavers qu’il souhaite prendre. Le mot prend alors tout de suite une dimension corporate et donc forcément moins désirable que les univers que l’on rêvait d'imaginer lorsque tout cela n’était que fiction. Surtout que les premières images d’Horizon World, le métavers de Meta, ne font pas vraiment rêver.
Pour Vincent Lorphelin, cocréateur du think-tank européen du métavers interrogé par Le Soir, cette décision aurait permis à des entreprises de se positionner sur ce nouveau marché. « Le meilleur parallèle, c’est le multimédia des années 2000. Ce terme s’est ringardisé, mais au moment où il a commencé à exister, sa force évocatrice a permis de prendre des décisions fortes, parfois en plusieurs dizaines de milliards, comme le rachat de Time Warner par AOL (originellement America Online, NDLR). Le choix des mots a une portée stratégique majeure. Quand Facebook se rebaptise Meta, c’est une manière pour lui de faire un putsch sur ce terme. Il force aussi les autres acteurs à se positionner. »
Mais il serait assez facile de tout faire reposer sur les épaules de ce cher Zucky. D’autres expérimentations maladroites ont contribué à rapidement ringardiser le terme. En mai 2022, Carrefour devient la risée de Twitter pendant quelques heures après avoir présenté son « métavers » dédié au recrutement de futurs candidats. La chose s'apparente à une sorte de chatroom virtuelle peuplée d’avatars au design proche des personnages Wii des années 2000. À force d’utiliser « métavers » pour désigner toutes sortes d’espaces sur le web, Carrefour, comme d’autres, a contribué à galvauder le terme.
« Déprimant et gênant »
Dernier exemple en date : le métavers européen Global Gateway, lancé en novembre 2022. L’UE aurait dépensé la coquette somme de 387 000 euros pour cette plateforme en ligne, dont l’objectif serait de promouvoir les actions de la Commission européenne à l’étranger auprès des 18-35 ans. On y incarne un avatar en forme de trombone anthropomorphe gonflable. Le monde à explorer se résume grosso modo à une plage, un café et deux cinémas virtuels. Et les interactions avec les autres avatars (qui étaient moins de dix lors de notre visite malgré une file d’attente virtuelle à l’entrée) y sont extrêmement limitées. Les commentaires des internautes suite à la présentation de ce « lieu » sur les réseaux sociaux sont assez équivoques. « Déprimant et gênant » pour l’un, « une ordure digne des fonds d’écran Windows 94 », pour un autre. La soirée de gala organisée le 29 novembre pour lancer l'interface n’aurait réuni que 5 personnes, selon Vince Chadwick, journaliste du média Devex. L’incarnation en somme de l’innovation coûteuse mais parfaitement inutile.
Doit-on enterrer le métavers pour de bon ? Sans doute pas. Il est probable que le mot (et la tendance) continuent leurs vies un peu plus discrètement, comme les mots « réalité virtuelle » et « blockchain », il fut un temps, nous évitant ainsi un certain nombre d’expérimentations fumeuses.