Des travaux novateurs suggèrent que les systèmes complexes, dont font partie les systèmes naturels, sont plus résilients aux perturbations qu’on ne le pensait jusqu’à présent. Ces résultats ont des implications fortes dans le contexte du changement climatique et des nombreuses tensions environnementales qui l’accompagnent.
Divers travaux portant sur la stabilité des composantes du système climatique (océans, calottes polaires, massifs forestiers, etc.) suggèrent qu’avec le réchauffement en cours, certaines finiront par atteindre un point de bascule. Autrement dit, il s’agit d’un moment à partir duquel les changements s’accéléreront brutalement et de façon irréversible aux échelles de temps qui nous concernent.
Citons à titre d’exemple le cas de la forêt amazonienne qui pourrait mourir massivement et basculer d’une configuration de forêt tropicale à celle de savane. Cette évolution aurait alors des conséquences majeures pour l’environnement et les sociétés humaines. D’autres points de bascule existent pour les calottes polaires, la circulation océanique ou les pergélisols.
S’échapper des points de bascule grâce aux schémas de Turing
Cependant, caractériser et évaluer de façon précise la distance qui nous sépare de ces horizons critiques reste une tâche difficile. Pour ce faire, les scientifiques ont notamment défini des métriques visant à identifier des signaux d’alertes précoces, des sortes d’indicateurs de la proximité ou non d’un seuil. Or, selon une étude récente, le concept de point de bascule lui-même souffrirait actuellement d’une vision trop simple du fonctionnement de la nature.
« Oui, nous devons faire tout ce que nous pouvons pour arrêter le changement climatique », insistent les auteurs du papier publié dans la revue Science le 8 octobre dernier. « Cependant, la Terre est beaucoup plus résistante qu’on ne le pensait auparavant ».
A. Vision classique de la dynamique des points de bascule. B. Vision prenant en compte la multi-stabilité. C. Vision prenant en compte la multi-stabilité et la coexistence. Notez l’évasion du seuil critique dans les deux derniers cas. Crédits :
En recoupant modèles mathématiques et cas réels, les chercheurs ont montré comment les schémas spatiaux, précédemment interprétés comme des signaux d’alertes précoces, peuvent en réalité permettre aux systèmes d’éviter de franchir un point de bascule. Ces résultats sont donc en opposition forte avec le paradigme qui prévalait jusqu’à présent.
L’apparition spontanée de schémas nouveaux comme une organisation différente des végétaux dans une forêt ou celle des rayures des zèbres sont appelées schémas de Turing par les mathématiciens qui parlent également d’auto-organisation spatiale. « En science écologique, les modèles de Turing sont souvent expliqués comme des signaux d’alerte précoce, car ils indiquent une perturbation », explique Arjen Doelman, un des coauteurs du papier. « Néanmoins, le fait qu’un schéma se forme quelque part ne signifie pas nécessairement qu’un équilibre est rompu au-delà d’un point de bascule ».
Systèmes naturels : une résilience revue à la hausse
Un des écosystèmes naturels qui permet d’illustrer ce concept se trouve en périphérie des grands déserts chauds du globe où des changements multiples et variés prennent place. « Vous pouvez y observer toutes sortes de schémas spatiaux complexes. C’est une réorganisation spatiale, mais pas nécessairement un point de basculement. Au contraire, ces schémas de Turing sont en fait un signe de résilience ».
Aussi, les maîtres mots des résultats obtenus par l’équipe de scientifiques sont la multi-stabilité et la coexistence, autrement dit, la présence simultanée de plusieurs états stables pour des conditions environnementales données. « Cela permet aux états des systèmes complexes de persister au-delà des points de basculement grâce à l’auto-organisation spatiale », détaillent les auteurs dans leur papier. Elle permet également, dans le cas où le système tendrait effectivement à franchir un seuil, de ne basculer que dans un domaine limité et non dans son ensemble.
En résumé, lorsque l’on prend en compte ces deux propriétés, il apparaît que les systèmes naturels sont plus résilients aux perturbations extérieures qu’on ne pouvait le penser jusqu’à présent.