Pour la première fois, une équipe de médecins a traité une enfant atteinte de la maladie de Pompe en intervenant avant sa naissance. Deux sœurs de l’enfant, aujourd’hui décédées, étaient elles aussi atteintes de cette maladie génétique rare, qui avait conduit à une grave cardiomyopathie. Âgée de 16 mois, la petite fille se porte bien et présente pour le moment un développement normal.
La maladie de Pompe (ou glycogénose de type 2), est une maladie génétique entraînant un déficit en alpha-glucosidase acide (GAA) ou maltase acide — une enzyme qui permet la dégradation et le recyclage du glycogène, forme sous laquelle les cellules stockent les sucres. Cette maladie provoque différents symptômes (faiblesse musculaire progressive, difficultés respiratoires, etc.) variables selon l’âge du malade à son apparition. La forme infantile, qui se manifeste généralement avant l’âge d’un an, s’accompagne de troubles cardiaques sévères ; elle est donc particulièrement grave.
En l’absence de traitement, le manque en alpha-glucosidase acide — qui est quasi total dans la forme infantile de la maladie — entraîne l’accumulation de glycogène dans les lysosomes, puis dans le cytoplasme des cellules de différents tissus (les muscles, le cœur ou encore le foie). S’ensuivent des problèmes cardiaques et/ou respiratoires engageant le pronostic vital. Réalisée suffisamment tôt, une enzymothérapie substitutive permet de limiter les dépôts de glycogène dans les différents organes, mais son efficacité reste variable, notamment chez les enfants. Une équipe a tenté d’intervenir encore plus tôt : en traitant l’enfant in utero.
Une condition immunitaire qui entrave le traitement
L’enzymothérapie substitutive est une approche utilisée dans le cas de plusieurs maladies génétiques, qui consiste à administrer une enzyme fabriquée artificiellement pour remplacer l’enzyme manquante. Plus ce traitement est instauré tôt, meilleurs sont ses résultats. Les enfants atteints de la maladie de Pompe sont souvent traités peu après la naissance avec des enzymes de remplacement pour ralentir les effets dévastateurs de la maladie.
Cependant, les nourrissons les plus gravement atteints présentent une condition immunitaire dans laquelle leur corps bloque les enzymes perfusées, ce qui finit par empêcher la thérapie de fonctionner.
Zahid Bashir et Sobia Qureshi sont tous deux porteurs d’un gène récessif de la maladie de Pompe, ce qui signifie qu’il y a une chance sur quatre pour que leur bébé hérite de cette maladie. Le couple a un fils, Hamza, 13 ans, et une fille, Maha, 5 ans, qui ne sont pas atteints ; ils ont en revanche déjà perdu deux filles, Zara, à l’âge de 2 ans et demi, et Sara, à l’âge de 8 mois, à cause de la maladie. Fin 2020, Zahid et Sobia apprennent qu’ils attendent une autre enfant, mais les tests prénataux montrent qu’elle est atteinte de la maladie de Pompe.
Pour mettre toutes les chances de son côté, la petite Ayla Bashir a bénéficié d’une intervention inédite : l’enzymothérapie substitutive a été réalisée alors qu’elle était encore dans le ventre de sa mère. Elle est ainsi le premier enfant à être traitée in utero pour la maladie de Pompe. À l’aide d’une aiguille insérée dans l’abdomen de la mère et guidée dans une veine du cordon ombilical, Ayla a reçu six perfusions d’enzymes toutes les deux semaines, à partir de la 24e semaine de gestation.
Une issue prometteuse, mais encore incertaine
Ayla est née à Ottawa, en Ontario. Elle a suivi une thérapie postnatale standard. Elle présente une fonction cardiaque normale et une fonction motrice adaptée à son âge après la naissance, a franchi les différentes étapes de son développement, affichait des niveaux de biomarqueurs normaux et se nourrissait et grandissait bien à l’âge de 13 mois, rapportent les chercheurs. « C’est une lueur d’espoir de pouvoir les traiter in utero au lieu d’attendre que les dommages soient déjà bien établis », a déclaré la Dr Karen Fung-Kee-Fung, spécialiste en médecine materno-fœtale à l’hôpital d’Ottawa et co-auteure de l’article décrivant l’intervention.
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Cela fait trente ans que les médecins traitent les fœtus avant leur naissance, notamment via des interventions chirurgicales destinées à réparer des malformations congénitales telles que le spina bifida. Des transfusions sanguines à des fœtus, par le biais du cordon ombilical, ont également déjà été réalisées. Mais jamais encore un traitement médicamenteux n’avait été administré de la sorte à un fœtus. « L’innovation ici n’était pas le médicament ni l’accès à la circulation fœtale. L’innovation a été de traiter plus tôt et de traiter alors qu’elle était encore in utero », a souligné le Dr Pranesh Chakraborty, généticien métabolique au Childrens Hospital de l’est de l’Ontario, qui s’occupe de la famille d’Ayla depuis des années.
S’il est encore trop tôt pour valider définitivement ce protocole et confirmer qu’il entraîne de meilleurs résultats, ce cas élargit le champ des thérapies fœtales potentielles. Pour le Dr Brendan Lanpher, généticien médical, qui n’a pas participé à la recherche, ce traitement ultra précoce pourrait vraiment changer la donne : « Il s’agit d’une maladie progressive qui se développe avec le temps, de sorte que chaque jour où un fœtus ou un bébé en est atteint, il accumule davantage de matériel affectant les cellules musculaires », a-t-il déclaré.
Les perspectives d’Ayla sont prometteuses, mais restent incertaines. L’équipe espère que ce traitement précoce permettra de réduire la gravité de la réaction immunitaire qui bloque l’action des enzymes. Pour le moment, la petite fille est sous traitement immunosuppresseur et reçoit des perfusions hebdomadaires d’enzymes qui durent cinq à six heures. À moins qu’un nouveau traitement n’apparaisse, elle peut s’attendre à suivre ce traitement toute sa vie.