Vu l'ouragan qui se prépare sur les marchés, « il n'y a plus nulle part où se cacher. » Nicolai Tangen, qui pilote le plus grand fonds de pension au monde, le fonds souverain norvégien (ex-"Norwegian Oil Fund"), a expliqué aux élus du pays les raisons de son profond pessimisme. A titre d'exemple, son portefeuille d'actions russes est devenu totalement invendable (-90%).
Selon le directeur général de Norges Bank Investment Management, Nicolai Tangen, (ici photographié le 17 août 2021 lors d'une conférence organisée à l'église Trinity à Arendal, en Norvège), tout juste remis de la pandémie, les marchés font face à un triptyque fatal : inflation (ou pire, stagflation), guerre en Ukraine et dé-mondialisation...
Nicolai Tangen, le patron du fonds souverain norvégien, le plus gros du monde avec ses quelque 1.200 milliards d'euros d'actifs sous gestion, a expliqué aujourd'hui sa vision de l'avenir proche. Et, vu des fjords, l'horizon est plutôt sombre. Le DG de Norges Bank Investment Management (ex-"Fonds pétrolier de Norvège) s'attend en effet à des conditions de marchés difficiles en raison de l'évolution de la situation géopolitique et de l'inflation:
« La probabilité d'un scénario d'horreur où le fonds chute de 40 % a augmenté », a-t-il déclaré devant l'assemblée législative monocamérale de Norvège, à Oslo.
Auditionné par la commission des finances du Storting (l'assemblée nationale) pour le rapport annuel du gouvernement sur la gestion du "fonds pétrolier", Nicolai Tangen a expliqué aux élus du "Storting" (ou "grande assemblée"), les raisons de son pessimisme, rapporte le quotidien économique norvégien Dagens Næringsliv (en anglais "Today's Business"), troisième du pays par le tirage.
« À peine avions-nous commencé à mettre la pandémie de Covid derrière nous en imaginant que tout redeviendrait "normal", que ça s'est encore rétréci. Après le Covid qui a durement affecté notre fonds, l'invasion de l'Ukraine par la Russie fera de même », a dit Nicolai Tangen.
Les plus grands changements en une génération
Dans sa déclaration préliminaire écrite qu'il avait adressée à la commission des Finances du parlement norvégien en prévision de son audition, Nicolai Tangen déclare :
« Les conséquences géopolitiques de la guerre sont difficiles à prédire mais nous allons sans doute au devant des plus importants changements depuis trente ans. »
Il précisait :
« Il ne fait guère de doute que la montée des tensions entre les superpuissances et la remise en cause de la mondialisation vont affecter les marchés. »
Inflation/stagflation, Ukraine, dé-mondialisation... le triptyque fatal
Pour Nicolai Tangen, la hausse des prix, déjà bien engagée avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, a continué de s'accélérer alors que les taux d'intérêt sont très bas et que les cours des actions restent élevés.
Mais il y a pire que l'inflation : avec une inflation élevée et une faible croissance économique, c'est le risque de "stagflation" qui menace, et il a augmenté au cours des six derniers mois.
« La stagflation est le pire que l'on puisse imaginer », selon lui.
Pour ceux qui échouent aux critères ESG, "il n'y a "nulle part où se cacher"
Le fonds norvégien, qui investit tous ses actifs en actions et obligations étrangères, ainsi que sur les marchés immobiliers et dans des projets d'énergies renouvelables, n'a "nulle part où se cacher" et doit gérer les risques liés à son exposition aux marchés mondiaux, a poursuivi Nicolai Tangen.
"Tout cela mis bout à bout signifie que nous allons au-devant d'une période agitée", a-t-il prédit.
Pour mémoire, en décembre 2021, Nicolai Tangen avait déjà développé cette idée, en insistant sur les impératifs ESG qui vont devenir vitaux, pour la planète c'est sûr, mais aussi pour les marchés: selon le directeur général du plus grand propriétaire d'actions au monde affirme, la vie est sur le point de devenir beaucoup plus difficile pour les entreprises qui échouent aux tests environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) établis par les investisseurs institutionnels.
« Les entreprises qui ne s'adaptent pas aux nouvelles normes ESG verront leur financement se tarir, les compagnies d'assurance partir, leurs employés démissionner, la honte sur les réseaux sociaux va s'intensifier et les clients vont disparaître, a-t-il déclaré dans une interview, rapporte Bloomberg.
Nicolai Tangen, who runs Norges Bank Investment Management, says firms that don't adapt to new ESG standards will see financing dry up and clients and employees walk away https://t.co/t7slT3k8tp
Le fonds norvégien, construit sur le pétrole, futur leader de l'ESG ?
En tant que patron du fonds souverain norvégien, Tangen supervise environ 1.000 milliards de dollars d'actions, ce qui représente environ 72 % du portefeuille total. Le reste est dans les obligations, l'immobilier et les infrastructures d'énergie renouvelable. L'ancien patron de fonds spéculatifs de 55 ans s'occupe de l'épargne collective des Norvégiens depuis fin 2020.
Et il a promis au gouvernement norvégien de transformer le fonds, qui a été construit à partir des richesses en combustibles fossiles du pays, en un leader mondial dans l'investissement responsable (ESG).
90% : son portefeuille d'actions russes devenu totalement invendable
Le fonds souverain norvégien n'est actuellement pas en mesure de vendre son portefeuille d'actions russes car le marché de ces actifs ne fonctionne pas et de nombreuses entreprises figurent sur des listes de sanctions mondiales, a déclaré mardi le PDG du fonds, Nicolai Tangen. .
Le fonds détenait des actions russes d'une valeur de quelque 27 milliards de couronnes norvégiennes (2,86 milliards de dollars) à la fin de 2021, soit 0,2 % de sa valeur totale, mais a depuis déclaré que la valeur de ces actifs avait chuté d'au moins 90%.
Le fonds norvégien a perdu 68 milliards d'euros au 1er trimestre
Pour autant, le rendement du fonds est particulièrement solide du fait de la reprise des marchés boursiers en 2020 et 2021 amenant le fonds bien au-delà des 12.000 milliards de couronnes norvégiennes.
Mais, au premier trimestre 2022, gros trou d'air. Est-ce un signe annonciateur de ces temps difficiles évoqués par Tangen devant le Storting? Toujours est-il que la Banque centrale de Norvège qui a sous tutelle le plus gros fonds souverain de la planète, avait indiqué le 24 avril que celui-ci avait subi une perte de quelque 68 milliards d'euros au premier trimestre du fait des turbulences financières liées notamment à la guerre en Ukraine.
Alimenté par les revenus pétroliers de l'État norvégien, l'énorme bas de laine a chuté de presque 5% (-4,9%), voyant sa valeur tomber à 11.657 milliards de couronnes (1.216 milliards d'euros).
"Le premier trimestre a été caractérisé par des troubles géopolitiques qui ont affecté les marchés", a expliqué le numéro deux du fonds, Trond Grande, cité dans un communiqué.
Dans le détail, les investissements en actions, qui représentent 70,9% du portefeuille, ont perdu 5,2% au cours du trimestre. Et les placements obligataires, qui constituent 26,3% des actifs, ont perdu, eux, 4,8%. En revanche, les investissements dans l'immobilier (2,7% du portefeuille) ont gagné 4,1%.
L'ensemble de ces investissements sont réalisés hors de Norvège, plus gros exportateur d'hydrocarbures d'Europe de l'Ouest, afin de ne pas surchauffer l'économie nationale.
Ce mardi 3 mai, selon le compteur qui tourne en direct (ci-dessous capture d'écran du jour) sur le site de la banque centrale norvégienne, le fonds pesait 11.721 milliards de couronnes norvégiennes (1.178 milliards d'euros), ce qui représente 2,17 millions de couronnes (218.321 euros) pour chacun des 5,4 millions d'habitants du pays scandinave.
Avoir la confiance du peuple - c'est-à-dire, les propriétaires du fonds
Face à la commission des finances, Nicolai Tangen a soutenu qu'au final, ce qui comptait le plus dans cette situation, c'était la solidité du fonds: et fort heureusement, a-t-il assuré, le fonds de pension norvégien dispose de ressources suffisantes pour gérer cette incertitude et ce risque, même s'il est plus difficile de gagner de l'argent en période de fluctuations soudaines.
Enfin, dernier point central, la confiance. Pour le DG du fonds souverain, il faut que la direction du fonds communique bien avec les propriétaires - c'est-à-dire le peuple norvégien - pour maintenir la confiance.
(avec Reuters, AFP, Bloomberg et le Dagens Næringsliv)
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