Pas de doute possible : nous vivons dans un monde éminemment complexe. Comment « apprivoiser » cette complexité ? Comment la rendre claire et intelligible, malgré les nombreuses incertitudes qu’elle recouvre, à soi-même et aux autres ?
Deux points sont fondamentaux : le 1er est celui de la co-construction. La prospective se satisfait mal d’exercices en solitaire. Elle se nourrit de la diversité des points de vue, de la transdisciplinarité, et parfois aussi de l’anticonformisme et de l’étrange. Sortir de sa communauté de pensée lorsque l’on cherche à éclairer les futurs est indispensable.
Le second est celui de la représentation. La pratique de la prospective pourrait reprendre à son compte la célèbre citation de Nicolas Boileau : « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ». En effet, parvenir à partager une vision la plus claire possible de la complexité d’un sujet est un enjeu majeur d’une pratique opérationnelle de la prospective.
Ce billet vise à jeter un pont entre la prospective et l’architecture de systèmes complexes, deux disciplines exigeantes sur le fond et la forme qui doivent en passer par cette représentation partagée de la complexité.
Une intention commune : capter l’environnement global et appréhender la complexité
« Le tout est plus que la somme de ses parties ». Cet adage offre la quintessence de la systémique, à savoir qu’appréhender un sujet en silo, à travers les propriétés intrinsèques de ses composants, ne suffit pas à rendre compte de l’ensemble des variations possibles de ces mêmes composants. Un exemple très simple est la dynamique du corps humain : si vous analysez le fonctionnement biologique uniquement organe par organe, une partie des phénomènes vous échappera. Ceux-ci, comme la circulation sanguine, ne peuvent être compris qu’en considérant le corps humain comme un tout. D’où la nécessité de croiser différentes approches.
La systémique s’attachera ainsi à capter les éléments externes au système ayant une influence sur lui, à décrire son fonctionnement d’ensemble pris comme un tout, avant de considérer ses différents constituants et de décrire l’ensemble des interrelations existant entre les différents composants du système.
Cette approche appliquée à la prospective permet des résultats très intéressants. Si vous cherchez à instruire un sujet prospectif, vous chercherez dans le même temps à ramener dans le champ d’analyse des variables externes (et ce de manière transdisciplinaire), qui n’appartiennent pas au système à proprement parler mais qui pourtant agissent sur lui. Vous vous emploierez également à débusquer ce qui est hors des radars habituels d’analyse et des modes de représentation dominants : signaux faibles, émergences, impensés du sujet. Car c’est bien dans les rencontres inattendues, les hybridations saugrenues que naissent parfois les embryons de futurs.
La base prospective : mode d’emploi
En prospective, et notamment pour la méthode des scénarios, la représentation du système se nomme base prospective. Cette base vise à ranger les différentes variables influant sur le sujet, qu’elles soient internes ou externes, et à qualifier les interactions entre ces différentes variables (de cette représentation naissent des chemins logiques, à la base de scénarios).
La base prospective sert aussi à cartographier différents angles de vue, et donc à faire appréhender aux parties prenantes que leur vision est souvent bornée par des champs de connaissance ou d’action, des croyances et des biais.
Une “bonne” base prospective s’apprécie autour des qualités suivantes :
- elle doit comporter une dimension temporelle (rétrospective et prospective),
- représenter l’ensemble des variables influant sur le système, qu’elles soient internes ou externes, ainsi que leurs interdépendances.
- Elle doit veiller à prendre en compte les tendances lourdes mais aussi les signaux faibles.
- Elle doit également être manipulable par les parties prenantes
- et enfin elle doit aussi être bien designée (importance du beau).
En pratique, elle se nourrit de plusieurs sources, à commencer par la documentation interne de l’organisation réalisant un exercice de prospective, et par l’interview de ses acteurs clés. Elle fait aussi largement appel aux sources externes d’information (experts, veille sectorielle, tendancielle, etc).
La méthode des « box » (ou cadre d’architecture) empruntée à la systémique constitue un outil précieux pour construire une base prospective, et représenter les différents points de vue. Elle s’attache à distinguer et structurer la manière de décrire un système en adoptant des regards distincts suivant le niveau d’appréhension du sujet et la distance que l’on prend vis-à-vis de celui-ci. Par exemple, un regard en “boîte noire” posera ainsi la question du POURQUOI, à travers la cartographie des parties prenantes, des besoins et contraintes de chacune d’elles qui agissent ou peuvent agir sur le système. Il s’agit de croiser les points de vue et de rendre compte de la diversité des approches. Un regard en “boîte blanche” s’attachera à définir le COMMENT, autrement dit de quoi est constitué le système.
Analogie avec la boîte noire concernant la certification d'un système intégrant une intelligence artificielle. Le système capte des signaux au moyen de senseurs (input), à cet input correspond ensuite un output stimulant une action. Une telle architecture permet de comprendre simplement pourquoi une action a eu lieu, mais pas le raisonnement qui se cache derrière. Afin de pouvoir certifier une telle architecture, il faudrait tester l'intégralité des inputs possibles afin de comprendre quels outputs ils occasionnent.
Analogie avec la boîte blanche concernant la certification d'un système intégrant une intelligence artificielle. Le système captant des signaux au moyen de senseurs, une boîte blanche permet de comprendre comment les algorithmes interprètent les données et d'expliquer comment une décision menant à une action a été prise.
En prospective comme en systémique, il s’agit de bâtir des étagères à variables, qui permettront de récolter et d’organiser la matière. Cette méthode permet en outre d’observer de manière itérative quelles « étagères » ne sont pas documentées et si la mise en cohérence globale fonctionne (les variables internes couvrent-elles les problématiques traduites par les variables externes ?).
La représentation permet ainsi intrinsèquement de visualiser les champs de réflexion non encore explorés et les zones d’incertitude. Concrètement, il s’agira d’aller chercher le contrepoint, de solliciter le point de vue de quelqu’un qui pense ‘à rebours’. Cette phase de ratissage de la complexité est souvent la plus longue en prospective, mais aussi la plus prometteuse : c’est ici que se nichent potentiellement l’alternative, la vision décalée, le scénario jusqu’alors inenvisagé… qui peuvent constituer votre meilleur futur.
Alors prêt.e.s à plonger dans vos futurs ?
Contacts et références :
Claire Dellatolas – Skopeon – www.skopeon.com / contact@skopeon.com
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