Médecine, architecture, énergie, électronique, aérospatial… Tous ces secteurs peuvent tirer avantage des innovations bio-inspirées. L’adjectif «bio-inspiré» se réfère à des techniques développées en s’appuyant sur des principes et des structures observés dans le monde vivant, jusqu’à des échelles aussi petites que le nanomètre (un milliardième de mètre, soit 10-9 mètre): animaux, plantes, virus, champignons, micro-organismes… Cette approche exploite les solutions que le monde vivant a affinées au fil de l’évolution dans le but de créer des innovations durables, moins polluantes et plus économes en énergie, et de produire des matériaux recyclables qui sont à la fois de haute qualité et efficaces.
Science et pédagogie
Afin d’inciter le grand public à explorer ce monde riche et incroyablement diversifié du vivant, Mathieu Surin, directeur de recherches FNRS à l’Université de Mons et enseignant en chimie supramoléculaire et chimie bio-inspirée, a rédigé un ouvrage traitant des matériaux bio-inspirés. Intitulé Matières vivantes. Créer des matériaux bio-inspirés et paru aux Éditions Universitaires de l’UMons en avril dernier, ce livre (1) est un savant mélange entre essai scientifique et manuel pédagogique. Il plonge le lecteur à l’échelle des structures moléculaires naturelles des organismes vivants.
Mais qu’entend-on par «vivant» ? Dans son ouvrage, Mathieu Surin corrèle ce concept avec la notion de mouvement telle que définie par Léonard de Vinci au travers de sa célèbre phrase «le mouvement est le principe de toute vie». Qu’il s’agisse des animaux et de leur capacité à se mouvoir de façon autonome ou des plantes et de leur croissance, c’est à l’échelle cellulaire, et même moléculaire, que l’on trouve l’origine de ce mouvement caractéristique des êtres vivants.
Les super-pouvoirs des animaux
Une source évidente d’inspiration et de fascination pour l’être humain est le règne animal. En témoignent les nombreux longs métrages faisant référence aux aptitudes uniques des animaux: Black Panther, où les technologies et les costumes s’inspirent des caractéristiques et capacités défensives des félins; Ant-Man, qui explore la force et l’agilité extraordinaires des fourmis; ou encore The Shape of Water qui s’inspire des capacités adaptatives des créatures aquatiques à des environnements extrêmes à travers le personnage principal qui est amphibie.
Dans son livre, Mathieu Surin met en avant plusieurs spécificités intéressantes de certains animaux et ce qu’ils peuvent inspirer dans le domaine des matériaux:
- la surface des ailes des papillons qui est hydrophobe, c’est-à-dire qui repousse l’eau, et empêche la croissance des bactéries: textiles imperméables antibactériens;
- les pattes du gecko qui sont «collantes» (ce petit coquin grimpe partout où ça le chante, même au plafond) ou la «salive» du caméléon qui possède une très haute viscosité (un liquide à haute viscosité, comme le miel, s’écoule lentement et semble épais, tandis qu’un liquide à faible viscosité, comme l’eau, s’écoule rapidement et facilement): nouvelles matières extrêmement adhésives;
- les épines des oursins qui sont à la fois très poreuses et robustes: matériaux auto-nettoyants, anti-reflets ou anti-corrosion en jouant sur la taille des pores;
- les toiles d’araignées dont la soie est élastique et résistante: nouveaux textiles en tout genre. De plus, cette soie peut absorber une quantité d’énergie supérieure au Kevlar, matériau utilisé pour réaliser des gilets par-balles, avant de rompre. Des recherches se basant sur les protéines composant les fibres de soie d’araignée ont donné naissance à un matériau flexible et résistant qui pourrait être utilisé dans la fabrication de gilets par-balles, de cordages, de sutures chirurgicales ou encore dans le domaine de la construction ou de l’aviation.
Le monde des plantes
Tout comme le monde animal, règne végétal offre des modèles fascinants pour des matériaux bio-inspirés qui pourraient bien changer la donne en termes de production d’énergie renouvelable. En effet, qui dit plantes et lumière du soleil dit photosynthèse. Les pigments des feuilles, tels que la chlorophylle (verte) et les caroténoïdes (tons orange), sont des molécules photosensibles qui jouent un rôle crucial en capturant l’énergie solaire. Grâce à des mécanismes complexes, cette dernière est transformée en énergie chimique utilisée pour fabriquer des glucides, à partir de molécules d’eau et du dioxyde de carbone de l’air. Tout cela est loin d’être évident à reproduire. C’est pourtant une très belle voie à exploiter pour répondre aux 2 grands défis énergétiques de ce siècle, comme le souligne Mathieu Surin dans son ouvrage: l’augmentation des besoins en énergie liés à la croissance démographique et aux nouvelles technologies d’une part, et les changements climatiques dus aux émissions de dioxyde de carbone dans l’atmosphère par la combustion d’énergies fossiles comme le pétrole d’autre part.
Les matériaux bio-inspirés pourraient offrir une solution aux défis majeurs de l’humanité tels que les besoins alimentaires croissants ou la production d’énergie sans génération de déchets toxiques
La photosynthèse, qui convertit donc la lumière en substances organiques, utilise le soleil. Cette source d’énergie est à la fois abondante et renouvelable. Théoriquement, l’ensoleillement de la Terre pendant une heure pourrait couvrir les besoins de la planète entière pendant une année, si toute cette énergie pouvait être captée et utilisée efficacement, autrement dit avec un rendement (rapport entre l’énergie produite utilisable et l’énergie consommée) de 100% (donc 0% de perte). Cela n’est bien entendu pas réaliste même si c’est de bon augure. Toutefois, et comme déjà mentionné dans un précédent numéro d’Athena ( voir Athena n° 362, pp. 12-15) , l’importance d’analyser le cycle de vie entier d’un dispositif, comme un convertisseur d’énergie solaire en électricité, est cruciale pour déterminer sa pertinence écologique. Un paramètre dont il faut notamment tenir compte est le Taux de Retour Énergétique ou TRE, qui mesure le rapport entre l’énergie utilisable produite par le dispositif et l’énergie consommée pour sa fabrication. Il est également essentiel de considérer la disponibilité des matières premières. Comme l’observe Mathieu Surin, un bon exemple est celui des panneaux photovoltaïques. Bien qu’ils offrent un rendement énergétique de 15-20%, leur TRE se situe entre 2 et 3 en moyenne, ce qui signifie qu’il faut plusieurs années pour compenser l’énergie investie dans leur production. De plus, les panneaux, qui ont une durée de vie d’environ 30 ans, sont généralement fabriqués à partir de silicium, une ressource qui se raréfie…
En ce qui concerne la photosynthèse des plantes, le TRE – dans ce cas-ci le rapport entre l’énergie capturée et convertie par photosynthèse et l’énergie dépensée pour leur survie – peut atteindre jusqu’à 30 pour certaines variétés tropicales, bien que le rendement soit seulement de quelques pourcents. Il est intéressant de souligner que ce processus consomme du CO2, gaz à effet de serre s’il en est, offrant ainsi une double utilité – production d’énergie verte et dépollution de l’atmosphère. Bien que les chercheurs aient encore beaucoup de défis à relever, des initiatives émergent dans ce domaine en plein essor. Citons par exemple les recherches sur la spiruline, micro-algue riche en chlorophylle et utilisée pour développer de nouveaux types de cellules photovoltaïques souples, promettant ainsi une plus grande polyvalence que les actuelles. Le rendement n’y est pas encore, mais les perspectives sont encourageantes.
Dépollution, thérapies & Co
Le PET (polyéthylène téréphtalate) est un plastique très utilisé dans le secteur alimentaire, notamment pour conditionner diverses boissons telles que l’eau et le soda. Gros bémol cependant, son recyclage n’atteint pas une qualité suffisante pour remplacer le matériau d’origine… En conséquence, environ 70 millions de tonnes de nouveau PET sont produites chaque année, une grande partie terminant soit en décharge, soit dispersée dans l’environnement. Cependant, la nature offre une lueur d’espoir avec la bactérie Ideonella sakaiensis, qui a évolué pour «manger» ce type de plastique. Elle dégrade les chaînes polymères ( voir Athena n° 361, pp.12-15) du PET, qui sont des macromolécules composées de répétitions d’unités moléculaires identiques appelées monomères, en leurs composants plus simples, rendant ainsi possible un recyclage plus efficace. De quoi donner de belles idées aux chercheurs !
L’inspiration pourrait également venir de certaines plantes, telles que les fougères, capables de métaboliser les métaux toxiques présents dans les sols, contribuant ainsi à leur assainissement. En développant des techniques pour extraire efficacement ces métaux des feuilles, il serait possible de les réutiliser, favorisant ainsi une plus grande circularité dans la gestion des ressources. Cette approche pourrait non seulement réduire l’impact environnemental des déchets industriels mais également ouvrir de nouvelles voies pour le recyclage des métaux.
Même les virus peuvent stimuler la créativité dans la recherche scientifique, comme le souligne Mathieu Surin. Grâce à leur capacité exceptionnelle à traverser les membranes cellulaires, ils offrent une source d’inspiration précieuse pour développer de nouvelles méthodes en pharmacologie. Ces techniques pourraient permettre de concevoir des médicaments capables de cibler spécifiquement certaines cellules, en franchissant leurs membranes, afin d’améliorer significativement leur efficacité.
Et la liste est loin d’être terminée. Il existe de nombreux autres mécanismes naturels que les scientifiques explorent pour créer de nouveaux matériaux bio-inspirés: les sens de l’odorat et du goût pour développer des capteurs capables de détecter des drogues ou des molécules toxiques; les mouvements collectifs des protéines qui gèrent la contraction et la détente des muscles comme modèle pour concevoir des machines moléculaires artificielles utilisées en biomédecine; l’ADN et sa remarquable capacité à stocker des informations sur de longues périodes qui pourrait révolutionner le stockage de données informatiques…
Cet aperçu des matériaux bio-inspirés ne représente qu’une infime partie de l’immense potentiel que recèle ce domaine porteur. Alors que nous continuons de déchiffrer les secrets de la nature, chaque découverte ouvre la voie à des innovations qui pourraient transformer notre manière de construire, de guérir et de vivre. Les futures avancées promettent non seulement d’améliorer les performances et la durabilité des matériaux, mais aussi de contribuer à une approche plus écologique et plus durable de la technologie. À mesure que nous progressons, il devient essentiel que les biologistes, les chimistes, les ingénieurs et les technologues collaborent étroitement pour exploiter pleinement ces inspirations naturelles. En fin de compte, les matériaux bio-inspirés ne sont pas seulement une réponse aux défis techniques et environnementaux. Ils sont aussi un hommage à la sophistication et à l’ingéniosité de Mère Nature elle-même.
«Explorer l’invisible – 3e édition»
Pour ceux qui voudraient pousser plus loin la découverte de l’infiniment petit (et de l’infiniment grand par la même occasion), l’exposition «Explorer l’invisible – 3e édition» se tient au MUMONS, musée de l’Université de Mons dédié aux sciences, aux arts et aux curiosités, jusqu’au 13 avril 2025. Au travers d’images scientifiques obtenues dans les laboratoires de l’UMons et sélectionnées avec soin par l’équipe du musée, des «créatures, parfois monstrueuses, qui mènent une vie insoupçonnée loin des regards indiscrets» (2) sont dévoilées dans toute leur intimité. Un savant mélange de science et d’art contemporain qui surprend de bien des façons.
Références
– Communiqué de presse par les Éditions universitaires de l’UMONS : “Matières vivantes. Créer des matériaux bio-inspirés Mathieu Surin
– Livre “Matières vivantes. Créer des matériaux bio-inspirés”, Mathieu Surin, Éditions Universitaires de l’UMONS
– Sites web :
https://mumons.be/museum/activites/matieres-vivantes-creer-des-materiaux-bio-inspires/
https://mumons.be/museum/activites/explorer-linvisible-3e-edition/
https://www.pourlascience.fr/sd/physique/l-infiniment-petit-en-physique-4194.php
https://www.cairn.info/revue-vraiment-durable-2014-1-page-43.htm
https://www.allocine.fr/film/fichefilm-246009/secrets-tournage/
https://www.futura-sciences.com/sciences/definitions/physique-thermodynamique-3894/
https://www.futura-sciences.com/planete/definitions/botanique-photosynthese-227/#
https://www.laboratoire-lescuyer.com/nos-actifs/spiruline
https://www.futura-sciences.com/planete/dossiers/climatologie-tout-savoir-effet-serre-1954/page/7/
https://asknature.org/fr/strategy/wing-surface-self-cleans/
https://ceebios.com/wp-content/uploads/2020/02/MEP_MBI_200203-web.pdf
https://microbenotes.com/ideonella-sakaiensis-plastic-eating-bacteria/
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