Et si l'on modifiait le climat pour sauver les calottes glaciaires ? Les cinq concepts de "géo-ingénierie polaire" les plus médiatisés seraient en réalité très peu susceptibles de fonctionner. Au contraire, ils pourraient même nuire aux écosystèmes et aux communautés humaines, selon une nouvelle expertise.
"Le déploiement de l'un de ces cinq projets risque de nuire aux régions polaires et à la planète", avertit le professeur Martin Siegert dans un communiqué de l'université d'Exeter.
Avec une quarantaine de collègues issus d'instituts de recherche européens, américains, australiens, argentins, néo-zélandais et canadiens, le glaciologue britannique s'est penché sur les principales techniques de "géoingénierie" (modification du climat de la Terre) envisagées pour protéger l'Arctique et/ou l'Antarctique des effets du réchauffement.
L'équipe internationale a publié ses conclusions le 9 septembre dans la revue Frontiers in Science (M. Siegert et al. 2025).
Les 5 idées les plus populaires pour "sauver les pôles"
Parce qu'elles suscitent à la fois l'espoir et la curiosité, ces cinq perspectives apparaissent régulièrement dans les médias :
- L'injection d'aérosols stratosphériques : des particules réfléchissant la lumière solaire (aérosols sulfatés) seraient libérées dans l'atmosphère,
- Les rideaux marins : des structures souples et flottantes ancrées au fond marin empêcheraient l'eau chaude de faire fondre les plateformes de glace,
- La gestion de la banquise : de l'eau de mer serait pompée sur la banquise pour l'épaissir (autre possibilité : des microbilles de verre dispersées pour accroître la réflectivité de la glace),
- L'élimination de l'eau basale : pompage de l'eau sous-glaciaire pour ralentir l'écoulement de la calotte glaciaire et réduire la perte de glace,
- La fertilisation de l'océan : des nutriments tels que du fer seraient déversés pour stimuler la prolifération du phytoplancton – des organismes marins microscopiques qui, après leur mort, piègent dans les profondeurs océaniques le carbone absorbé pendant leur vie.
Les experts ont évalué chaque proposition en fonction de son champ d'application, de son efficacité, de sa faisabilité et de ses conséquences négatives potentielles, mais également de son coût, des cadres de gouvernance existants et de leur attrait potentiel pour ceux qui souhaiteraient éviter d'avoir à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.
Selon l'étude, aucune des idées évaluées ne bénéficie de tests "concrets et rigoureux". Ainsi, aucun essai de terrain n'a été identifié pour les rideaux marins, par exemple. L'injection d'aérosols stratosphériques, elle, n'a été testée que par modélisation informatique, tandis que les expériences de fertilisation de l'océan n'ont pas été concluantes.
Plus grave encore, chacune des cinq idées s'est avérée présenter un "risque intrinsèque" de dommages environnementaux. Si le danger principal relève de la pollution (billes de verre, hydrocarbures pour faire tourner les pompes, etc.), l'injection d'aérosols stratosphériques pourrait quant à elle appauvrir la couche d'ozone, tandis que les rideaux marins perturberaient les habitats, les aires d'alimentation et les voies de migration d'animaux tels que les baleines, les phoques et les oiseaux marins.
Un rideau de 80 kilomètres à… 80 milliards de dollars
Les auteurs estiment que chaque proposition coûterait au moins 10 milliards de dollars (8,5 milliards d'euros) à mettre en place et à entretenir. Parmi les plus onéreuses figurent les rideaux marins, estimés à 80 milliards de dollars (68 milliards d'euros) sur 10 ans pour une structure de 80 kilomètres.
Par ailleurs, aucune de ces idées ne pourrait être déployée à une vitesse et à une échelle suffisantes pour faire face à la crise climatique actuelle – d'autant que chacune nécessiterait de "longues négociations politiques" et la création de nouvelles structures de gouvernance.
Enfin, les auteurs constatent que toutes les propositions offrent un prétexte pour remettre à plus tard les changements nécessaires. Or, "notre temps, notre argent et notre expertise sont partagés entre d'un côté, des efforts de neutralité carbone fondés sur des données probantes, et de l'autre, des projets de géo-ingénierie spéculatifs", souligne le professeur Siegert. En revanche :
Si nous combinons nos ressources limitées pour traiter la cause plutôt que les symptômes, nous avons de bonnes chances d'atteindre la neutralité carbone et de restaurer la santé de notre climat.
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