Le projet phare de Shell de captage du carbone a rapporté plus de 200 millions de dollars canadiens en vendant des crédits d'émission pour des réductions qui n'ont jamais eu lieu. @Jiri Rezac / Greenpeace
2 pour 1. C’est la logique développée par Shell dans la vente de crédits carbone liés à un projet de captage et stockage de CO2 (CCS). Pour une tonne de CO2 capturée et séquestrée, les acheteurs, des producteurs de sables bitumineux, pouvaient compenser le double. De quoi les encourager à ne surtout rien changer.
Des crédits fantôme : c’est la nouvelle polémique qui vient d’éclater autour de la compensation carbone. Selon un rapport de Greenpeace Canada, relayé par le Financial Times, Shell a vendu des millions de crédits fantôme à des entreprises pétrolières via son projet phare de captage et stockage de CO2 (CCS) Quest, situé dans la province de l’Alberta, spécialisé dans l’exploitation des sables bitumineux.
Shell a ainsi engrangé – en toute légalité – 200 millions de dollars canadiens (136 millions d’euros) grâce à la vente de crédits carbone équivalant à deux fois le volume de CO2 réellement capté et stocké. Ce sont les principaux producteurs de sables bitumineux de la région qui en ont bénéficié à l’instar de Chevron, Suncor Energy ConocoPhillips, Imperial Oil et certaines filiales de Shell.
Un projet majoritairement financé par de l’argent public
Les documents obtenus par Greenpeace montrent que Shell a fait pression et obtenu un accord de 2 pour 1 lors des négociations de 2008 avec le gouvernement de l’Alberta. Dans le cadre de cet accord, Shell a pu vendre des millions de crédits entre 2015 et 2021 permettant à chacun des acheteurs de compenser deux tonnes de CO2 pour seulement une tonne de CO2 réellement capturée et stockée.
“Les crédits fantômes mettent à mal le principe du pollueur-payeur parce qu’ils permettent aux exploitants de sables bitumineux d’éviter de payer le prix du carbone, et de pomper davantage de pétrole à partir de leurs sables bitumineux nocifs pour l’environnement”, note le rapport. “Tout cela était légal, mais cela ne veut pas dire que c’est juste”, commente Keith Stewart, de Greenpeace Canada et auteur du rapport Selling Hot Air.
En outre, aux 200 millions de dollars gagnés par Shell s’ajoutent également 777 millions de dollars de subventions directes accordées à Shell par les gouvernements provincial et fédéral – finalement supprimées en 2022. Si bien que, selon les calculs de Greenpeace, les contribuables canadiens ont couvert 93% des coûts du projet Quest CCS de Shell. Un projet dont l’efficacité est loin d’être prouvée.
Une goutte d’eau
Alors que les pétroliers vantent les mérites du CCS comme solution au changement climatique, le projet Quest n’a permis de capter et stocker que moins d’un million de tonnes de CO2 chaque année. Une goutte d’eau si on compare ces chiffres aux émissions de gaz à effet de serre provenant des sables bitumineux. Celles-ci on en effet augmenté de 50 millions de tonnes depuis que Shell a commencé les travaux de conception du projet en 2005 et de 16 millions de tonnes depuis sa première année complète d’exploitation en 2016.
Le sujet ne manquera pas d’être débattu lors de la prochaine assemblée générale de la major anglo-néerlandaise, organisée le 21 mai prochain, qui devrait cette année encore être mouvementée. Pour maintenir la pression, plusieurs grands investisseurs, dont Amundi et Axa Investment Managers, sous la houlette de Follow this, ont exhorté leurs pairs à voter en faveur de la résolution climatique qu’ils avaient déposé en janvier. Celle-ci demande à Shell de s’aligner sur l’Accord de Paris. “Le vote de cette année est particulièrement important dans la mesure où Shell a récemment fait marche arrière sur ses objectifs climatiques, redoublant sa détermination à poursuivre l’extraction de pétrole et de gaz”, indique la lettre envoyée le 2 mai dernier.
Contacté par Novethic, Shell explique que “réaliser le potentiel du CCS nécessite de créer dès maintenant des incitations commerciales pour capter le carbone et construire l’infrastructure collective nécessaire pour l’utiliser ou le stocker de manière sûre, permanente et respectueuse de l’environnement”. La major précise qu’en 2023, ses dépenses dans les opportunités de CCS se sont élevées à environ 340 millions de dollars, en hausse de 55 % par rapport à 2022.
Mise à jour le 7 mai 2024 à 14h.
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