Des 100 000 équations à résoudre, il n’en reste plus que 4 ! Cette prouesse informatique a été réalisée grâce à l’intelligence artificielle et rend désormais plus accessible la résolution d’un célèbre problème de physique quantique décrivant le comportement d’électrons se déplaçant dans un réseau. Cette avancée pourrait aider à concevoir des matériaux dotés de propriétés recherchées, telles que la supraconductivité.
Le modèle de Hubbard est un modèle étudié en théorie de la matière condensée, décrivant le mouvement des électrons dans un réseau d’atomes. Il est utilisé pour déterminer comment le comportement des électrons donne lieu à des phases recherchées de la matière, telles que la supraconductivité. Mais lorsque les électrons se trouvent sur un même site, ils interagissent et peuvent s’enchevêtrer ; dès lors, simuler le comportement d’un électron signifie suivre simultanément l’éventail des possibilités de tous les électrons du système, leur état quantique dépendant les uns des autres.
Ainsi, même en considérant un petit nombre d’électrons, le problème nécessite une immense puissance de calcul, car les physiciens doivent traiter tous les électrons à la fois. Avec un nombre plus conséquent d’électrons, le taux d’enchevêtrements est encore plus élevé et le calcul devient exponentiellement plus difficile. Pour étudier ce type de système quantique, les scientifiques utilisent un groupe de renormalisation — une approche mathématique qui permet d’observer le comportement d’un système lorsque l’on en modifie certaines propriétés (telles que la température). Ceci requiert toutefois de résoudre des centaines de milliers, voire des millions d’équations individuelles.
Une machine « capable de découvrir des modèles cachés »
Pour offrir la capture la plus précise possible du système, un groupe de renormalisation doit en effet prendre en compte tous les couplages possibles entre les électrons. En outre, les équations sont particulièrement complexes, car chacune représente une paire d’électrons en interaction. Des chercheurs du Flatiron Institute, à New York, ont donc entrepris d’utiliser un outil d’apprentissage automatique, un réseau neuronal artificiel, pour simplifier la tâche sans pour autant sacrifier la précision du calcul.
« Nous partons de cet énorme objet constitué de toutes ces équations différentielles couplées entre elles, puis nous utilisons l’apprentissage automatique pour le transformer en quelque chose de si petit que vous pouvez le compter sur vos doigts », explique Domenico Di Sante, chercheur invité au Center for Computational Quantum Physics du Flatiron Institute et co-auteur de l’étude décrivant cette approche.
Concrètement, le programme d’apprentissage automatique crée des connexions au sein du groupe de renormalisation de taille normale. Le réseau neuronal ajuste ensuite la force de ces connexions jusqu’à ce qu’il trouve un petit ensemble d’équations qui génère la même solution que le groupe de renormalisation original. Pour Di Sante, il s’agit essentiellement d’une machine « capable de découvrir des modèles cachés ».
Le résultat du programme a dépassé toutes les espérances de l’équipe : la physique du modèle de Hubbard a été réduite à seulement quatre équations. Cela signifie qu’une visualisation du problème (comme illustré en en-tête de cet article) ne nécessiterait plus que quatre pixels. En d’autres termes, l’étude des propriétés émergentes des matériaux quantiques complexes est désormais beaucoup plus gérable.
De potentielles applications en cosmologie et en neurosciences
Pour rappel, la supraconductivité est un phénomène caractérisé par l’absence totale de résistance électrique au sein de certains matériaux ; ces derniers conduisent l’électricité sans perte d’énergie et leurs applications potentielles sont donc cruciales pour le secteur énergétique. Mais obtenir cette supraconductivité nécessite généralement des températures extrêmement basses, proches du zéro absolu.
Exploiter la supraconductivité à des températures plus raisonnables pourrait conduire au développement de réseaux et d’appareils électriques beaucoup plus efficaces. C’est pourquoi les physiciens tentent de prédire, à l’aide de divers modèles — y compris le modèle de Hubbard —, comment les électrons pourraient se comporter dans diverses circonstances.
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Comme tout algorithme d’apprentissage automatique, celui qui a été utilisé dans cette étude a dû être formé au préalable sur un ensemble de données ; la formation a pris plusieurs semaines. Les simulations ne permettent de capturer qu’un nombre relativement restreint de variables dans le réseau en grille, mais maintenant que le programme est entraîné, il peut être adapté pour travailler sur d’autres problèmes de physique de la matière condensée, estiment les chercheurs. Selon Di Sante, cette technique pourrait avantageusement être utilisée dans d’autres domaines qui traitent des groupes de renormalisation, comme la cosmologie et les neurosciences.
Le véritable test, souligne l’équipe, sera de vérifier si cette nouvelle approche fonctionne bien sur des systèmes quantiques plus complexes, tels que les matériaux dans lesquels les électrons interagissent à de longues distances. Di Sante et ses collaborateurs cherchent également à savoir ce que leur algorithme « apprend » réellement sur le système, ce qui pourrait fournir des informations supplémentaires, autrement difficiles à déchiffrer pour les physiciens.
En attendant, ces travaux démontrent la possibilité d’utiliser l’intelligence artificielle pour extraire des représentations compactes d’électrons corrélés, « un objectif de la plus haute importance pour le succès des méthodes de pointe de la théorie quantique des champs pour aborder le problème des nombreux électrons », conclut l’équipe dans son article.