La start-up Quaise Energy veut faire passer un cap à la géothermie en la rendant accessible à tous. L’ambition est de progressivement remplacer le combustible fossile des centrales électriques avec cette énergie verte, réduisant à zéro nos émissions nettes d’ici 2050. Cette énergie est renouvelable, inépuisable et disponible partout, à condition de creuser suffisamment profondément. Le gyrotron de Quaise et ses micro-ondes à haute fréquence seraient bien plus efficaces que le forage traditionnel.
Tirant son énergie du noyau terrestre, l’énergie géothermique est générée lorsque l’eau chaude est pompée à la surface, convertie en vapeur et utilisée pour faire tourner une turbine hors sol. Le mouvement de la turbine crée de l’énergie mécanique, ensuite convertie en électricité à l’aide d’un générateur. L’énergie géothermique peut également être récoltée directement à partir de la vapeur souterraine ou à l’aide de pompes à chaleur géothermiques, permettant de chauffer et refroidir les maisons. Elle nécessite moins d’espace que le solaire ou l’éolien et peut produire en permanence, puisqu’elle ne dépend pas des conditions météorologiques comme le vent ou l’ensoleillement.
Cependant, la géothermie nécessite d’atteindre des températures très élevées pour que l’eau soit sous forme de vapeur avec une pression suffisante afin de faire tourner une turbine. Cela n’est possible que dans des zones précises et limitées, comme dans les régions volcaniques ou près des bords des plaques tectoniques. Là, des fissures existent dans la croûte terrestre, permettant à la vapeur de se former près de la surface comme en Islande ou les geysers en Californie. Malheureusement, jusqu’à présent en dehors de ces lieux, creuser assez profond demandait un investissement financier bien trop important pour faire de cette technologie une solution viable pour la transition écologique.
Mais Quaise Energy, une startup issue (en 2018) du Massachusetts Institute of Technology (MIT) Plasma Science and Fusion Center, applique une nouvelle technologie de forage pour l’obtention d’énergie géothermique, quel que soit l’endroit du globe.
Prouesses technologiques : énergie directe et gyrotron
Les autres sociétés géothermiques n’innovent pas dans le processus de forage. Elles utilisent des méthodes de forage conventionnelles et essaient de faire preuve de créativité pour exploiter l’énergie géothermique. Mais pour faire de la géothermie une source d’énergie à l’échelle du térawatt, pouvant rivaliser avec les énergies fossiles, il faut forer plus profondément. En effet, plus on s’enfonce dans le sol, plus les températures augmentent, ce qui est une obligation en géothermie pour que l’eau soit sous forme de vapeur, à haute pression. Actuellement, rien ne nous permet de le faire sans détériorer le matériel.
Par exemple, l’Allemagne a dépensé l’équivalent de plus d’un quart de milliard d’euros, à la fin des années 80, dans un programme de forage en profondeur continental, ou forage KTB. Il n’a atteint qu’à peine plus de 9 kilomètres. La température a augmenté bien plus tôt que prévu, usant davantage le foret et contrecarrant le processus de forage.
De nouvelles technologies sont donc nécessaires pour forer profondément en supprimant ces inconvénients. L’utilisation des faisceaux d’énergie dirigée permet de chauffer, faire fondre, fracturer et même vaporiser la roche du sous-sol dans un processus appelé spallation, avant même que la tête de forage ne la touche. Mais la technologie laser manque d’énergie, d’efficacité et est trop chère.
Sur la base d’une recherche sur la fusion et de pratiques de forage bien établies, Quaise Energy a développé une nouvelle approche radicale du forage ultra-profond ou supercritique. Au lieu de forets qui s’usent ou même fondent, ils forent avec des micro-ondes. Tout d’abord, ils utilisent le forage rotatif conventionnel pour accéder au sous-sol rocheux. Ensuite, ils se servent des ondes millimétriques de forte puissance pour atteindre de grandes profondeurs. Ces ondes sont alimentées par un gyrotron (de façon simple, un tube électronique générant des ondes), purgé sous pression avec du gaz argon. Le faisceau de micro-ondes est suffisamment chaud pour évaporer la roche. Cette roche vaporisée est pompée vers la surface. Pendant ce temps, la chaleur vitrifie le côté du trou, le transformant essentiellement en un tuyau de verre. À ces profondeurs, Quaise s’attend à trouver des températures d’environ 500 degrés Celsius, bien au-delà du point où l’énergie géothermique fait un bond en avant en matière d’efficacité.
Géothermie supercritique : avenir de l’énergie verte ?
La géothermie supercritique génère environ 10 fois l’énergie de celle de la géothermie ordinaire. En effet, aux profondeurs visées par Quaise, la température sera de 500 degrés Celsius. Or, l’eau devient un fluide supercritique à des pressions supérieures à 22 MPa et à des températures supérieures à 374 degrés Celsius. « Supercritique » est un terme technique désignant la phase supercritique de l’eau lorsqu’elle contient simultanément les propriétés du liquide et du gaz, ce qui facilite grandement le transport de l’énergie.
Par rapport aux autres énergies renouvelables, la géothermie est avantagée du point de vue de l’occupation du sol, des matériaux, des métaux, des minéraux et de la main-d’œuvre. Elle ne nécessite aucun combustible et ne produit aucun déchet. Une fois au point, elle sera rapide à mettre en place, n’importe où sur le globe, par le fait des profondeurs facilement accessibles. Selon Paul Woskov, ingénieur senior en recherche sur la fusion au MIT, exploiter seulement 0,1% de la chaleur interne du globe, via la géothermie, pourrait répondre aux besoins énergétiques du monde entier pendant plus de 20 millions d’années.
C’est ainsi que Quaise prévoit de tirer parti des infrastructures existantes telles que les centrales électriques au charbon. Ces installations disposent déjà d’énormes capacités pour convertir la vapeur en électricité, ainsi que d’opérateurs commerciaux établis et de main-d’œuvre expérimentée.
De plus, elles sont connectées au réseau électrique. Quaise remplacera simplement les sources de chaleur fossiles actuelles par suffisamment d’énergie géothermique supercritique, pour faire tourner les turbines indéfiniment sans jamais avoir besoin d’un morceau de charbon. La géothermie peut donc décarboniser pour les applications industrielles, agricoles et résidentielles. Il y a plus de 8500 centrales électriques au charbon dans le monde, totalisant plus de 2000 gigawatts de capacité, et elles devront toutes évoluer d’ici 2050. L’opportunité est clairement titanesque.
L’éolien et le solaire joueront eux aussi indéniablement un rôle important dans les années 2020 et même au milieu des années 2030, mais les projections en matière de demande énergétique d’ici 2050 ne pourront pas être couvertes uniquement par ces deux types d’énergies. Arunas Chesonis, associé directeur de Safar Partners (l’un des récents investisseurs de Quaise Energy) déclare que « la transition rapide vers une énergie propre est l’un des plus grands défis auxquels l’humanité est confrontée. La solution de Quaise nous rend optimistes pour un futur où l’énergie propre et renouvelable assurera l’avenir de notre planète ».
Un financement robuste et des perspectives claires
La société a levé près de 63 millions de dollars à ce jour, dont 40 millions de dollars dans le cadre d’un cycle de financement de série A, permettant d’optimiser et d’accélérer le développement des produits. Ainsi, la société construira des machines de forage déployables sur le terrain pour démontrer les capacités de cette nouvelle technologie de forage d’ici 2024. Elle élargira également ses équipes multidisciplinaires basées à Boston, Houston et Cambridge, au Royaume-Uni, doublant son nombre d’ingénieurs. Elle prévoit de mettre son premier « système géothermique amélioré super chaud » (évalué à 100 mégawatts) en service d’ici 2026. Pour 2028, l’objectif est la première centrale électrique à combustible fossile alimentée en vapeur géothermique propre.
Les perspectives se situent dans un avenir proche, car Quaise s’attend à ce que son processus amélioré par gyrotron ne prenne que 100 jours pour 20 kilomètres. À titre de comparaison, l’équipe de Kola (trou le plus profond du monde, situé en Russie) a mis près de 20 ans pour atteindre sa limite d’un peu plus de 12 kilomètres.
Par ailleurs, un grand nombre des centrales électriques qui seront utilisées se trouvent sur des terres privées, et non sur des terres fédérales, contrairement au forage géothermique typique. L’autorisation est beaucoup plus simple à obtenir. Toutes ces caractéristiques permettront un déploiement rapide de la géothermie supercritique.
Carlos Araque, PDG et cofondateur de Quaise Energy, souligne dans un communiqué : « Notre technologie nous permet d’accéder à l’énergie partout dans le monde, à une échelle bien supérieure à l’éolien et au solaire, permettant aux générations futures de prospérer dans un monde alimenté par une énergie propre abondante ».
Cependant, il faut savoir raison garder, car l’impact de la géothermie profonde sur le risque sismique et la déstabilisation des terrains n’est pas abordé par Quaise. En 2020, une centrale géothermique proche de Strasbourg a été mise à l’arrêt après plusieurs séismes, dont un de magnitude 4,3. À ce sujet, la start-up précise qu’elle comprend les risques, et prend des mesures pour les gérer, sans plus de précisions. Malgré cela, la géothermie profonde ou supercritique tend à être au cœur d’un monde énergétiquement indépendant.
Cela pourrait être un changement massif pour l’énergie propre et le processus de décarbonisation. Cette énergie précipitera également un changement géopolitique mondial, puisque chaque pays aura un accès égal à sa propre source d’énergie, pratiquement inépuisable. Elle ne pourra plus servir de moyen de pression en des temps troubles comme nous en connaissons actuellement.