En 2018, je suis tombé par hasard sur cette vidéo de “Partager c’est sympa”: Vincent Verzat y suivait des activistes dans une mine de charbon à ciel ouvert. J’étais loin de me douter que ces images allaient changer ma vie.
La vidéo est saisissante : un paysage dévasté, désertique à perte de vue, Mad Max IRL. Étant artiste numérique et m’intéressant depuis des années au paysage, mon réflexe a donc été d’aller voir ce lieu de mes propres yeux.
Et là, sidération: la mine de Hambach, la plus grande source d’émissions CO2 d’Europe. 100 millions de tonnes chaque année, soit un quart des émissions françaises.Ce site minier n’est pas à des milliers de kilomètres, loin en l’Europe de l’Est comme je l’imaginais, mais à seulement 1h30 de Bruxelles, près de Cologne, en Allemagne (voir sur google maps).
En arrivant dans la région du NWR, les ravages de l’industrie du charbon se font vite sentir : les cheminées des nombreuses centrales à charbon remplissent l’horizon, l’air est lourd et devient plus difficilement respirable, un paysage industriel apocalyptique sans fin.
Quand on arrive enfin à destination, à quelques kilomètres de la ville de Cologne, au bord de la mine de Hambach, on est d’abord saisi par le gigantisme du lieu : un trou béant de 8 km de long par 5 km de large, et on devine au loin la couche noire de charbon, à plus de 400 m de profondeur. C’est du lignite, le charbon le plus sale et le moins efficient du monde.
Bienvenue dans le Mordor
Cette première visite de la mine, en 2019, m’a profondément bouleversé : j’étais incapable de comprendre comment un tel non-sens était encore possible, au 21e siècle. J’ai donc multiplié mes visites sur place, pour réaliser des images, et mieux comprendre les lieux et les enjeux.
Une fois cette sidération esthétique digérée, j’ai découvert les impacts annexes de l’industrie du charbon : populations expropriées et déplacées, villages détruits, églises rasées, forêt millénaire abattue.. La région de Hambach est dévastée par les violences capitalistes et l’idéologie extractiviste, qui place le profit au- dessus de tout le reste.
22 villages rasés
Les photos “Avant/Après” de plusieurs villages détruits sont saisissantes. En voici quelques exemples :
Immerath, village détruit à partir de 2018
La dernière messe, église de Manheim en 2020… puis le même angle de vue, un an plus tard en 2021 :
Immerath en 2020, puis en 2021
Un moment en particulier m’a bouleversé, en entendant les pleurs d’un couple de personnes âgées sortant de la dernière messe de l’église de Manheim: l’église dans laquelle ils se sont mariés est sur le point d’être rasée, pour extraire et brûler le charbon qui se trouve 400m sous le village.
22 villages ont déjà été rasés. Lorsque l’on cherche les responsables qui soutiennent et encouragent ces destructions, on tombe toujours sur le même type de profil. En France, par exemple, BNP Paribas reste le dernier grand financeur français de RWE, l’entreprise d’extraction du charbon.
Un autre acteur majeur est Andrew Anagnost, CEO d’Autodesk, l’entreprise qui fournit logiciels et expertise nécessaires à la maintenance des machines. Les alertes se sont ainsi multipliées sur les entreprises qui continuent de maintenir l’exploitation de la mine de charbon, malgré les preuves évidentes de sa non compatibilité avec l’Accord de Paris.
De l’action vient l’espoir
“De l’action vient l’espoir.” Ces mots de Greta Thunberg sont parfaitement illustrés par les vagues de désobéissance civile que nous voyons émerger depuis quelques années: Extinction Rebellion, Dernière Rénovation, Just Stop Oil.
En Allemagne, c’est Ende Gelaende (“la fin du chemin”, en référence à la fin des industries fossiles) qui multiplie les actions directes pour bloquer les machines et s’opposer à la “mafia du charbon” qui contrôle la région.
Depuis 3 ans, je suis et documente leurs actions, et les actions de désobéissance civile non-violente semblent être le mode de protestation politique le plus adapté, là où la politique classique, dominée par les intérêts financiers et industriels fossiles, ne permet plus de progrès social et environnemental.
Actions de blocage de la mine de Garzweiller II, 2019
Cette mine condamne l’avenir d’une partie de l’humanité, et comme le rappelle le GIEC dans son dernier rapport, “sans fermeture anticipée d’une partie des exploitations de charbon, gaz et pétrole, nous dépasserons un réchauffement mondial de +1.5°C”
Dix milles personnes, dont Greta Thunberg et Luisa Neubauer, sont attendues les 14 et 17 janvier 2023 pour protéger la ZAD. L’année 2023 doit être l’année où l’activisme multiplie les victoires, sous peine de refermer les opportunités de pouvoir garder un avenir souhaitable.
Pour aller plus loin
- La combustion de charbon est de très loin ce qui émet le plus de CO2. Pour comprendre les ordres de grandeur, lire ce court article sur les 10 notions à connaître sur le climat
Source : rapport RTE Futurs énergétiques 2050, page 662