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Deux sous-traitants d’OpenAI ont accepté de parler de leur travail de « formateurs en intelligence artificielle », qui consiste à étiqueter les images et à corriger les réponses de ChatGPT.
Formateur en intelligence artificielle ou instructeur d’IA : sous ces appellations un peu pompeuses se cache le métier le plus secret du moment, celui qui vise à entraîner une IA générative. Le site américain NBC News a pu, le 6 mai dernier, en approcher deux qui travaillent sur ChatGPT, le chat conversationnel qui a séduit près de 200 millions d’utilisateurs dans le monde.
Car derrière l’interface qui semble – à tort – fonctionner toute seule, ce sont des milliers de travailleurs de l’ombre qui s’activent pour que l’IA fonctionne bien, et qu’elle hallucine moins – qu’elle fasse moins d’erreurs. Derrière l’impression de magie, il y a une « main d’œuvre humaine importante », rappelle Sonam Jindal, de l’ONG Partnership on AI, une association américaine qui promeut la recherche et l’éducation autour de l’intelligence artificielle.
Des témoignages moins inquiétants que les Kényans
En janvier dernier, une enquête du Time montrait que des travailleurs kényans étaient payés quelques centimes pour quelques microtâches d’étiquetage – une étape indispensable dans le machine learning. Il s’agit d’assigner des étiquettes aux données, ce qui permet à l’IA d’apprendre à les reconnaître et à les distinguer. Or, contrairement à ces récits qui décrivaient un travail précaire et parcellisé, engendré par l’IA, les deux témoignages recueillis par nos confrères américains sont moins inquiétants.
Les deux travailleurs concernés sont d’abord mieux payés – autour de 15 dollars par heure – soit un peu plus que le minimum salarial dans certains États américains. Et peu de choses négatives en découlent – ni la pénibilité du métier, ni la précarité de leurs contrats ne sont évoqués directement par ces deux « formateurs d’IA ». Alexej Savraux, un trentenaire de Kansas City, explique ainsi que travailler en tant que sous-traitants d’OpenAI et d’autres sociétés de la Silicon Valley concurrentes lui a apporté une certaine stabilité. Celui qui a été éboueur et vendeur de sandwich passe désormais ses journées à étiqueter des photos pour que l’IA reconnaisse par exemple l’image d’une voiture dès qu’elle en voit une.
« Sans nous, il n’y aurait pas d’IA »
Il fait également des prédictions sur le texte que les applications devraient générer ensuite. « Nous sommes des travailleurs de base, mais sans nous, il n’y aurait pas de systèmes linguistiques d’IA. Vous pouvez concevoir tous les réseaux neuronaux que vous voulez, vous pouvez impliquer tous les chercheurs que vous voulez, mais sans étiqueteurs, vous n’avez pas de ChatGPT », rapporte-t-il à nos confrères.
Autre travailleur de l’ombre : Jatin Kumar, un jeune homme de 22 ans vivant à Austin, au Texas, qui, lui, a un diplôme d’informatique. « Formateur en conversation » depuis un an, il est chargé de générer des messages-guides, et de corriger ou affiner les réponses du chatbot.
La tech a depuis le début employé des personnes pour des tâches peu reluisantes, à l’image du travail de modération sur les réseaux sociaux. Les employés de l’IA destinés à entraîner les modèles sont, là aussi, des travailleurs de l’ombre – leur travail reste anonyme, puisque tout le mérite revient aux cadres ou aux chercheurs. Et même s’ils ne l’évoquent pas directement, ils restent des salariés précaires employés pour des durées courtes, directement ou indirectement via des prestataires ou des sous-traitants. Ils n’ont pas droit aux avantages sociaux. Leurs frais médicaux, parfois pris en charge par les employeurs outre-Atlantique, doivent par exemple être payés de leur poche.
On sait encore peu de choses sur ces travailleurs de l’ombre
Pour améliorer leur situation, l’ONG « Partnership on AI » a mis en place des lignes directrices à suivre pour que les entreprises du secteur paient a minima une « rémunération équitable ». Selon eux, seule Deepmind, filiale de Google spécialisée dans l’IA, se serait engagée publiquement à les suivre. Or, « les personnes qui effectuent ce travail doivent être respectés et appréciés pour leur contribution à ce progrès » que constitue l’IA, plaide l’une des responsables de cette association.
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Les salariés américains ne sont pas les seuls concernés par ce besoin de reconnaissance et de revalorisation salariale. Au Kenya, plus de 150 personnes ayant travaillé sur l’IA pour Facebook, TikTok et ChatGPT ont voté en faveur de la création d’un syndicat. La raison : des salaires trop bas et le poids mental du travail, rapporte le Time.
On sait encore peu de choses sur ces travailleurs de l’ombre. Selon le média en ligne Semafor, OpenAI, l’entreprise américaine à l’origine de ChatGPT, aurait embauché près d’un millier de contractants à distance dans des pays comme l’Europe de l’Est et l’Amérique latine pour étiqueter et former l’IA. Mais ce chiffre, qui n’a pas été confirmé officiellement, date de janvier dernier. Contactés par nos confrères, ni OpenAI, ni Facebook et TikTok n’ont souhaité répondre à leurs demandes de commentaires.
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Source : NBC News
Stéphanie Bascou
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