Et si les antivax complotistes[1] avaient trouvé un nouveau moyen d’exister ? Depuis un an, nous assistons à une intensification des messages climatosceptiques en ligne, et plus particulièrement en France depuis juillet 2022. Si être antivax ne paye plus politiquement, il faut alors trouver une nouvelle posture antisystème : être climatosceptique.
Des antivax complotistes aux figures de l’alt-right, David Chavalarias et son équipe démontrent grâce à l’analyse de plus de 200 000 tweets comment la désinformation sur le climat s’est intensifiée. L’important ? Etre antisystème. Faire croire à un complot. Ce n’est plus Big Pharma, ni l’Ukraine, ni la crise en Guadeloupe, mais “une attaque de vos libertés”, le “nouvel ordre mondial” qui impose “la théorie fumeuse du réchauffement climatique”.
Cet article n’a pas à vocation de réfuter les propos des climatosceptiques. La science est très claire, et il n’y a aucun doute sur le réchauffement climatique d’origine humaine. Il examine en revanche une partie des modes d’action des “nouveaux climatosceptiques” et les dangers qui y sont liés, dans les mois et années à venir.
Regain climatosceptique depuis l’été 2022
Dire que les climatosceptiques ont disparu de la circulation est malheureusement faux. A l’échelle mondiale comme en France, 30% des personnes qui parlent du réchauffement climatique sur Twitter sont climatosceptiques. Ces comptes profitent d’évènements saisonniers (feux de forêt, canicules, sécheresse etc.), d’évènements internationaux comme les COP ou même des vagues de froid pour multiplier les messages climatosceptiques.
La pandémie de COVID-19 a détourné l’opinion publique des questions relatives au changement climatique pendant plusieurs mois. En revanche, puisque le COVID-19 ne fait plus l’actualité, la défiance antisystème a trouvé un nouveau terrain : le changement climatique.
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Notons également que le rachat de Twitter par Elon Musk n’a pas aidé. Au nom du “Free speech”, de la liberté d’expression, ce dernier a réhabilité des milliers de comptes, dont certains climatosceptiques très connus comme celui de Jordan Peterson.
Quelles sont les caractéristiques de ces nouveaux climatosceptiques ?
Fake news, sujets de prédilection, cherry-picking… ces nouveaux climatosceptiques ont certaines caractéristiques communes et une façon particulière de communiquer. Voici les principales, mises en lumière par l’étude :
- Les sujets sont souvent les mêmes : l’influence du soleil, la variabilité naturelle du climat et ses cycles, le fait que le CO2 serait bénéfique pour les plantes ou l’idée selon laquelle le réchauffement climatique serait tout simplement “une bonne chose”.
- Alors que les experts climat interviennent très souvent sur le même sujet, les climatosceptiques interviennent sur de nombreux sujets, ce qui amène deux hypothèses : soit leur sujet n’est pas technique, soit ils ne sont pas vraiment experts du sujet…
- Un groupe restreint de comptes au sein de la communauté dénialiste concentrent l’expertise présumée et fabriquent la majorité des narratifs qui y circulent.
- L’astroturfing [2] est une stratégie très prisée. Cette stratégie connaît un regain d’intérêt avec l’arrivée des IA conversationnelles de type ChatGPT, qui réduisent les coûts de ce genre d’opération tout en augmentant l’efficacité.
- C’est un groupe de 1 000 à 2 000 personnes, déjà très actives sur le Covid, la guerre en Ukraine etc. qui tweetent aujourd’hui sur le climat et certaines thèses complotistes.
Pro-climat, climatosceptiques et technosolutionnistes
Depuis l’été 2022, plusieurs milliers de comptes relayant des contenus denialistes ont été créés (en bas à droite de la figure 9).
Figure 9 : Twittosphère climatique française à l’automne 2022
On distingue très nettement les comptes pro climat (autrices et auteurs du GIEC, vulgarisateurs, associations, ONG et militants politiques), les climatosceptiques (dénialistes), une petite communauté formée de partisans de Reconquête ! et les technosolutionnistes.
A l’instar de personnes comme Mac Lesggy ou Emmanuelle Ducros, cette dernière communauté ne nie pas l’origine anthropique du changement climatique, mais pense par exemple que le nucléaire est une solution miracle et unique en oubliant le reste des leviers pour la transition écologique, comme la justice sociale.
Figure 10 – Nombre quotidien de comptes Twitter actifs appartenant aux communautés “GIEC”, “dénialistes”, “technosolutionistes”, “pro-climat” (moyenne mobile sur un mois)
Même procédé rhétorique et argumentatif
Les personnes qui criaient au complot lors du Covid-19 et de la guerre en Ukraine utilisent les mêmes procédés rhétoriques concernant le “pseudo réchauffement climatique”.
Tout d’abord, dans une logique de conte, il existe toujours un grand méchant. Big Pharma était l’ennemi désigné pour la Covid-19, bien aidé par les gouvernements corrompus qui sont forcément de mèche. Le grand méchant est ici le GIEC, ce ‘lobby politique’, évidemment corrompu et avec un financement obscur (c’est faux, et expliqué ici).
Deuxièmement, l’agressivité apparaît très clairement comme une méthode employée pour renforcer la viralité. C’est ce qu’ont mis en évidence les chercheurs à partir d’outils d’analyse du langage. Il n’est en effet pas rare d’être insulté et traité d’idiot(e) lorsque vous partagez les travaux du GIEC. Idiot car “vous suivez un certain ordre mondial qui essaye de contrôler vos libertés”.
Argument phare opposé par les dénialistes, la liberté serait également en danger. D’abord par le pass vaccinal lors de la Covid-19, et désormais avec le pass climatique, ou le quota carbone individuel. Ces mots-clefs sont très fréquents et sont inlassablement répétés comme preuve irréfutable que tout ceci est un complot.
Plus généralement, c’est la posture antisystème qui importe le plus. Ne pas être un “mouton” qui suit “la doxa”. Notons également que ces personnes suivent la science quand elle va à l’encontre du gouvernement, mais la discréditent lorsque le gouvernement est en accord avec le consensus scientifique. Ce fut le cas pour les vaccins, et également pour le climat puisque le gouvernement français partage les conclusions des travaux de synthèse du GIEC.
Le climatoscepticisme comme agenda politique ?
Le regain de popularité du dénialisme est-il réellement porté par la population ou est-il le résultat d’une mise à l’agenda inauthentique par certains acteurs ?
Nous savons depuis des années que pour qu’un ou une climatosceptique change d’opinion, les faits scientifiques ne suffisent pas. Mais le comportement des “nouveaux” climatosceptiques est différent. Ils se moquent de savoir si le réchauffement climatique d’origine humaine existe ou pas. L’intérêt, c’est d’exister politiquement et dans les médias.
Exemples de comptes Twitter français climatosceptiques qui ont majoritairement tweeté sur la Covid les deux dernières années
La communauté dénialiste n’est en revanche à priori pas composée de militants politiques relevant des partis traditionnels (LFI, PS, EELV, Renaissance, LR ou RN). Comme le montre la figure 18, la grande majorité des comptes qui la composent et relaient par ailleurs des informations politiques proviennent de la communauté qui s’était constituée autour de Florian Philippot et François Asselineau pendant la pandémie de Covid-19.
Figure 18 – Comptes communs entre la twittosphère politique française (Politoscope, à gauche) et la twittosphère climatique française (Climatoscope, à droite) [18 060 comptes en communs]. La largeur des bandes indique le nombre de comptes qui sont partagés par les différentes catégories.
Un phénomène importé ?
Quand le pire existe ailleurs, il ne faut généralement pas beaucoup de temps pour le retrouver en France. C’est ainsi qu’à travers l’analyse des comptes les plus actifs de cette “nouvelle communauté”, on retrouve les mêmes procédés qu’aux Etats-Unis sur certains comptes Twitter qui servent de passerelle. Le compte Elpis_R, qui a multiplié la désinformation depuis l’été 2022, en est un parfait exemple.
Pour défendre son point de vue, le compte Elpis_R développe une rhétorique dite des “5D” particulièrement appréciée des opérations de subversion :
- Discrédit : “si vous n’aimez pas ce que vos critiques disent, insultez-les”;
- Déformation : “si vous n’aimez pas les faits, déformez-les”;
- Distraction : “si vous êtes accusé de quelque chose, accusez quelqu’un d’autre de la même chose”;
- Dissuasion : “si vous n’aimez pas ce que quelqu’un d’autre prépare, essayez de lui faire peur”;
- Division : “si vos adversaires sont trop forts, divisez-les”.
Il la complète par un sixième « D » qui est peut-être le plus important pour favoriser l’inaction climatique : le Doute.
Tweets du compte Elpis_R
Ce compte n’est pas là pour argumenter ou débattre. Il n’a jamais répondu aux remarques des auteurs et autrices du GIEC qui ont réfuté ses propos sur Twitter. Son seul but : désinformer. Une seule solution face à ce genre de personnes : la bloquer.
Les dangers à venir
Parmi les nombreux dangers à venir dans la lutte contre la désinformation climatique, nous pouvons au moins en identifier trois principaux.
Premièrement, le dénialisme politique. Il est très marqué aux Etats-Unis depuis les années Trump et l’importation de ce positionnement politique ‘alt-right’ est d’ores et déjà présent en France.
Deuxièmement, l’influence extérieure. Près de 6 000 comptes dénialistes français ont relayé la propagande du Kremlin autour de la guerre en Ukraine.
Figure-19 : La communauté dénialiste française comporte un noyau dur de plus de 1 400 comptes ayant participé à cinq autres campagnes “antisystème” opportunistes repérées dans le Politoscope et dans le Covidoscope (CNRS/ISC-PIF).
Cela n’a rien de surprenant. Les fermes de trolls russes agissent depuis 10 ans sur les réseaux sociaux (agence IRA) et ont pour stratégie d’amplifier les divisions au sein des démocraties pour les affaiblir (Toxic Data, 2022).
Enfin, nous ne sommes probablement qu’au début des actions coordonnées de bots. La proportion de comptes Twitter aux comportements inauthentiques dans les échanges connaît une forte augmentation depuis 2019 à l’échelle mondiale. En France, la proportion de comptes inauthentiques au sein de la communauté dénialiste française est 2,8 fois supérieure à celle des personnes qui sont en accord avec les conclusions des travaux de synthèse du GIEC.
Le changement climatique devenant un sujet médiatique où les intérêts financiers se confrontent, il ne fait aucun doute que des vagues de désinformation, via l’astroturfing ou d’autres techniques, viendront semer le doute et retarder la prise de conscience.
Le mot de la fin
La désinformation sur le changement climatique connait un regain en France depuis l’été 2022 et nous n’en sommes probablement qu’au début.
Il est indispensable que les Etats changent les lois et considèrent ces vagues de désinformation comme un crime. Le changement climatique a fait plusieurs milliers de morts en France en 2022 et nous n’en sommes plus à dire que cette désinformation pourrait avoir des conséquences. Elle a déjà des conséquences mortelles et il faut aujourd’hui réagir fermement face à ces marchands de doute.
En tant que citoyen et citoyenne, la meilleure des choses à faire est de “report” ces comptes dénialistes et de les bloquer. Partager leurs propos en s’indignant ne fait qu’alimenter le ou les algorithmes et ils n’attendent que cela. L’heure n’est plus au débat avec les climatosceptiques. Il faut avancer avec celles et ceux qui souhaitent lutter contre le réchauffement climatique et ne plus perdre de temps.
Notes et méthodologie
Toute la méthode est disponible dans l’étude sur ce lien. Quelques précisions :
- les climatosceptiques sont tour à tour appelés climatosceptiques, climato-dénialistes ou dénialistes. Ils rejettent les principales conclusions du rapport du GIEC, reflétant l’état des connaissances issues des sciences du climat et du changement climatique.
- l’API Twitter est utilisée pour collecter les messages Twitter contenant des termes liés à la problématique du changement climatique (plusieurs centaines d’expressions identifiées avec GarganText). Cette collecte de données n’est pas exhaustive mais représente un échantillon suffisamment large et divers pour saisir la dynamique sociale qui anime les débats autour de cet enjeu sociétal majeur.