Alors que l’objectif du 1,5 °C est déjà hors d’atteinte, quelles politiques mettre en place pour atténuer le désastre vers lequel l'humanité court ? Entretien avec Hugo Raguet, chercheur en intelligence artificielle et membre de Scientifiques en Rébellion, pour qui climat et volet social sont indissociables.
Si aucune mesure drastique n’est enclenchée dans la prochaine décennie pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, nous atteindrons 1,5 °C de réchauffement avant 2035, a conclu le Giec dans son dernier rapport de synthèse publié le 20 mars. En réponse, les gouvernements vont-ils prendre des mesures chocs ? Pour le moment, non. En effet, l’urgence climatique est bien connue depuis plusieurs décennies pour les scientifiques, et est présente dans les médias depuis plusieurs années. Malgré cela, la crise environnementale ne prend que très peu de place dans les décisions politiques.
Face à ce constat, de plus en plus de mouvements et de collectifs de désobéissance civile se soulèvent ainsi contre ce qu’ils jugent être des aberrations écologiques ou des mal-adaptations au réchauffement climatique. Rencontre avec Hugo Raguet, membre du collectif Scientifiques en Rébellion, et chercheur en intelligence artificielle. « Nous avons déjà fourni des rapports scientifiques, qui sont méprisés et ignorés depuis des décennies, détaille-t-il. On est tellement désespérés que l’on ne voit pas d’autre manière que sortir dans la rue et perturber le quotidien des gens ».
Quand les scientifiques s'en mêlent pour dénoncer l'inaction climatique
Il fait notamment partie des scientifiques qui ont été arrêtés à Munich à la suite d'une action contre BMW dénonçant l’impact de l’industrie automobile. « On savait que l’on risquait la détention préventive en y allant, mais les conditions dans lesquelles elle a été effectuée ont été déplorables, raconte le chercheur. On m’a par exemple refusé plusieurs fois le contact de mon avocat bien que j’y avais droit ».
Plus récemment, des membres du collectif se sont rendus à Sainte-Soline pour protester contre le projet de réserves de substitution, aussi surnommées « mégabassines ». Désigné comme une mal-adaptation au réchauffement climatique par de nombreux scientifiques, le projet suscite de vives débats, qui ont mené à de violents affrontements le week-end des 25 et 26 mars derniers. « Plusieurs membres du collectif y étaient, positionnés à l’arrière. Un a été grièvement blessé. Un autre a raconté ce qu’il s’est passé comme une véritable scène de guerre, choqué, décrit H. Raguet. C’est très effrayant de voir que, même avec une attitude non violente, on est réprimés avec une telle violence, comme si on posait des bombes ou si on tirait à balles réelles ».
Justice sociale et climatique sont indissociables
Ces actions ont aussi une portée sociale, essentielle selon le scientifique. « Actuellement, la pression du système économique empêche les pays en développement de sortir des énergies fossiles. Nous sommes allés devant le siège européen du fonds d'investissement BlackRock avec d’autres personnes de Scientifiques en Rébellion, pour exiger un moratoire sur la dette du Sud économique », détaille-t-il.
En effet, pour le chercheur, social et climat vont de pair. Un point de vue partagé par de nombreux scientifiques. « Un problème environnemental résolu ne signifie pas que le problème social l’est. L’un ne peut être réglé sans l’autre. J’aimerais que tout le monde le réalise : ce n’est pas une opinion, c’est un fait », déclare H. Raguet.
Car le réchauffement climatique amènera son lot de conséquences sur les populations, en commençant par les plus exposées. Les événements météorologiques extrêmes vont se multiplier et devenir de plus en plus intenses, comme au Pakistan où les inondations ont déplacé des millions d’habitants cet été 2022. D’ici 2030, de nombreux pays situés proches de l’équateur subiront des conditions de température et d’humidité de moins en moins vivables. Où iront leurs habitants ? Ils deviendront des réfugiés climatiques, obligés de quitter leur pays à cause d’événements sur lesquels ils n’ont aucune emprise.
Accompagner le changement de façon rationnelle et démocratique
Difficile d’imaginer une continuité de la croissance économique sans dommages dans ce contexte. « Le terme "croissance économique" suppose une croissance du PIB, qui est d’une part fortement corrélée avec la consommation d’énergies fossiles. D’autre part, ce n’est qu’une mesure parmi d’autres des richesses produites par un pays. Mais cette richesse ne profite qu’à une poignée de personnes. Ce chiffre ne signifie rien pour la population », explique H. Raguet. En effet, d'après un rapport récent d'Oxfam, depuis 2020, les 1 % les plus riches ont capté près de deux fois plus de richesses que le reste de l'humanité.
Finalement, « des changements profonds dans la société nous attendent : reste à savoir comment ils auront lieu et si nous pouvons les accompagner de façon rationnelle et démocratique, conclut le chercheur. Nous devons repenser la distribution des richesses, l’utilisation des biens communs et notre interaction avec l’environnement. Aujourd'hui, la logique de profit perdure, et les gouvernements n’ont pas peur d’utiliser la force pour ça. Si on ne fait rien aujourd’hui, alors c’est une guerre mondiale généralisée qui nous attend dans 50 ans ».