illustration En finir avec les idées reçues sur le plastique
Le plastique est partout autour de nous : dans notre réfrigérateur, nos placards, nos meubles, nos vêtements, dans l’air que nous respirons et même dans notre corps… Extrêmement malléable, peu coûteux, ce dérivé du pétrole offre de nombreux avantages aux industriels qui le commercialisent. Troisième matériau le plus fabriqué au monde, sa production ne cesse de croître depuis les années 1950. Si rien ne change, elle pourrait tripler d’ici 2060 d’après les estimations de l’OCDE.
Or, la matière plastique est problématique car elle ne réintègre aucun des grands cycles biogéochimiques qui garantissent la stabilité de notre environnement sur Terre. Ces cycles, comme le cycle du carbone ou celui de l’eau, permettent aux éléments de passer d’un milieu à l’autre, puis de retourner dans leur milieu d’origine, par des phénomènes qui se reproduisent à l’infini. Le plastique, à l’inverse, s’accumule, se fragmente très lentement en micro- puis nanoparticules et déséquilibre l’environnement, faisant peser des risques sur la santé humaine, animale et les écosystèmes. Où commence et jusqu’où s’infiltre la pollution plastique ? Comment la mesurer ? Le recyclage est-il à la hauteur du défi ? Voici 5 idées reçues pour y voir plus clair.
Idée reçue n° 1 : La pollution plastique, c'est le déchet que l'on voit
Le CO2 généré par l’incinération et la production de plastique alimente l'empreinte carbone, tandis que la pollution issue des micro- et nanoplastiques renforce l’empreinte plastique.
Les déchets plastiques visibles, qui flottent en mer ou polluent les différentes régions du monde, ne représentent qu’une partie de la pollution causée par le plastique.
- Environ 34 % des déchets plastiques issus des emballages sont incinérés et servent à produire de l’énergie, cependant leur combustion génère des émissions toxiques et libère du CO2.
- 16 % sont enfouis dans les sols, à l’intérieur de grandes bâches elles-mêmes composées de plastique, qui vont se décomposer et contaminer les sols.
En vieillissant, les plastiques se fragmentent en une pollution invisible à l’œil nu : les microplastiques (> 5 mm) et nanoplastiques (entre 1 nanomètre et 1 micromètre), capables d’absorber des polluants sur leur chemin, et de passer les barrières physiques et biologiques. Très persistants et presqu’impossibles à éliminer, ces fragments de plastiques se diffusent partout : dans l’air, les eaux, les sols… et jusqu’aux endroits les plus reculés du monde. On retrouve ainsi des microplastiques au sommet de l’Everest [1] ou dans les neiges de l’Arctique [2]. Les organismes vivants, comme les animaux ou les hommes, n’échappent pas non plus aux micro- et nanoplastiques : des études ont par exemple découvert des microplastiques dans le placenta humain [3], les poumons [4], le sang [5]ou encore les selles humaines [6].
Pour aller plus loin Quels peuvent être leurs effets sur la santé humaine ? (nouvelle fenêtre)
L’intérêt de la recherche pour ces micro- et nanoplastiques est récent, et les risques sanitaires associés encore méconnus. Pour mieux comprendre comment les microplastiques qui se retrouvent dans notre alimentation peuvent jouer sur notre santé, des scientifiques d’INRAE, en collaboration avec l’université Clermont-Auvergne, ont mené des travaux pionniers sur le microbiote intestinal.
Idée reçue n° 2 : Le plastique ne pollue que lorsqu'il est jeté
Une partie de la pollution plastique provient de l’usure de nos objets en cours d’utilisation. À cause de sa nature, le plastique est capable de se dégrader en microparticules dès que l’on commence à l’utiliser. C’est le cas par exemple des vêtements en fibres synthétiques, qui représentent près des 2/3 des produits fabriqués par l’industrie textile.
Robes, pulls, t-shirts confectionnés à bas coût à partir de dérivés du pétrole, comme le polyester, rejettent des microfibres dès leur premier lavage. Si ces données demeurent complexes à chiffrer avec exactitude, une étude estime que 500 000 tonnes de microfibres seraient rejetées chaque année dans les océans par le lavage des textiles synthétiques [7]. Autre exemple régulièrement cité, l’érosion des pneus libérerait quant à elle près de 6 millions de tonnes de particules plastiques par an dans le monde, d’après un rapport de l’OPECST [8]. Il en est de même de l’usure des nombreux plastiques utilisés dans le bâtiment [9], y compris les constructions bas carbone.
Idée reçue n° 3 : Le recyclage permet de réduire la pollution plastique
Face à ces tonnes de déchets, pourquoi ne pas tout recycler ? Le véritable recyclage est en réalité plus limité qu’on ne le pense. Recycler un objet consiste à le reproduire à l’identique, à partir de la matière déjà existante. Cela permet d’économiser des ressources, tout en fabriquant un objet de qualité égale pour un usage similaire. Or la dégradation du plastique constitue un obstacle au recyclage : seules les bouteilles en PET (polyéthylène téréphtalate), soit 1 à 2 % des plastiques, sont réellement recyclés estime la spécialiste Nathalie Gontard, directrice de recherche au centre INRAE Occitanie-Montpellier. Comme il se dégrade, le plastique est la plupart du temps réemployé pour la fabrication d’un objet de moindre qualité : il est « décyclé » et, à terme, jeté. Des emballages usagés ou des bouteilles sont ainsi « décyclés » en pulls, meubles, ou encore en pot de fleurs qui vont continuer à se dégrader en micro- et nanoplastiques.
« Si on regarde les taux de recyclage de certains pays, comme l’Allemagne ou l’Autriche qui revendiquent recycler près de 50 % de leurs déchets plastiques, on s’aperçoit que leur consommation de plastique vierge, loin d’avoir été divisée par 2, n’a même pas commencé à diminuer. Cela revient à entretenir notre dépendance au plastique, tout en portant préjudice aux filières concurrentes de matières naturelles. » Nathalie Gontard
Idée reçue n° 4 : Il est possible de mesurer la pollution plastique avec l’empreinte carbone
Il n’est désormais pas rare de voir des industriels vanter le bilan carbone de leurs produits composés de plastique, ou d’avoir recours aux ACV pour les évaluer (analyse du cycle de vie, méthodologie de référence pour quantifier les impacts environnementaux d’un produit, d’un service ou d’un procédé). Cependant, ces méthodes ne prennent pas en compte les effets de la fragmentation plastique et sa persistance dans l’environnement, une fragmentation accélérée pour les objets en plastique « décyclés » qui ont été dégradés.
« Lorsqu’on soutient que le décyclage est aussi efficace que le recyclage, c’est parce qu’on réfléchit en terme de bilan carbone. Le danger des objets en plastique recyclés, c’est l’accélération de leur transformation en micro- et nanoplastiques. » Nathalie Gontard
Pour mieux intégrer ces risques, des scientifiques tels que Nathalie Gontard plaident pour l’utilisation du concept d’empreinte plastique [10]. Ce concept d’empreinte plastique figure dans la liste de préconisations rédigées par le Conseil économique et social (CESE), dans le cadre des négociations sur le traité mondial contre la pollution plastique [11].
Pour aller plus loin Le plastique au cœur d’une expertise collective (nouvelle fenêtre)
Cette expertise collective, menée par INRAE et le CNRS, a pour objectif de restituer l’état des connaissances scientifiques sur les usages des plastiques en agriculture et pour l’alimentation, leurs propriétés et impacts tout au long de leur cycle de vie, ainsi que leurs interrelations, dans une démarche d’écoconception. Les résultats de cette expertise sont attendus pour 2024.
Idée reçue n° 5 : Pour réduire la pollution plastique, nous devons trouver des matériaux alternatifs
Chaque année, environ 4,8 millions de tonnes de plastique sont consommées en France, dont près de 46% pour des emballages [12]. À l’échelle mondiale, 460 millions de tonnes de plastique ont été produites pour la seule année 2019, soit 2 fois plus que lors de l’année 2000 d’après les chiffres de l’OCDE. Face à un tel rythme de production, la priorité doit être la réduction à la source : le meilleur déchet, c’est le déchet que l’on ne produit pas. Il s’agit du premier pilier de la stratégie nationale dite des 3R : réduction, réemploi et recyclage, qui vise l’arrêt des emballages plastique à usage unique en France d’ici 2040. Pour éviter le recours aux emballages inutiles, et limiter leur usage au strict nécessaire, des chercheurs de l’unité IATE de Montpellier développent depuis plusieurs années un outil d’aide à la décision à destination des industriels.
En complément, scientifiques et industriels explorent des alternatives, comme des emballages issus de ressources renouvelables non alimentaires, réutilisables, recyclables et biodégradables en conditions naturelles. Ces matériaux, identifiés sous le label OK compost home, sont conçus de sorte à pouvoir se dégrader naturellement, et réintégrer le cycle naturel du carbone. Toutefois, ces alternatives doivent être considérées avec précaution, insiste Nathalie Gontard, qui a coordonné les projets européens ECOBIOCAP, NoAW et coordonne le projet AgriLoop, à l’origine de la création d’une barquette alimentaire issue de résidus des industries agricoles et agroalimentaires : « Ces solutions ne peuvent être que complémentaires. Nous devons en priorité réduire notre consommation qui est devenue plus qu’excessive, et, dans un second temps seulement, envisager ces alternatives pour remplacer uniquement les plastiques dont on ne peut pas se passer. »