On sait que le télescope spatial James-Webb, en abrégé le JWST, sera en mesure de détecter certaines signatures chimiques dans l'atmosphère de quelques exoplanètes qui pourraient être des biosignatures, mais probablement ambiguës pendant encore des décennies. Il n'en serait pas de même avec des technosignatures comme celle des sphères de Dyson. Le JWST en verrait-il peut-être déjà ?
Les bruits de couloir concernant la possible découverte d'une civilisation extraterrestre de type III sur l'échelle de Kardashev via ses sphères de Dyson étaient bien sûr un poisson d'avril. Il n'existe pas, à la connaissance de l'auteur de l'article, de travail conjoint de Carl Sagan et Iossif Chklovski concernant la technosignature dans l'infrarouge d'une telle civilisation. Mais il existe peut-être.
Ce qui est sûr c'est que des recherches de détection de sphères de Dyson ont bien été menées, le sont encore et le seront. On peut citer à ce sujet tout dernièrement un groupe d'astrophysiciens suédois mené par Erik Zackrisson de l'Université d'Uppsala et qui a lancé le projet Hephaistos.
Zackrisson et ses collègues se sont bel et bien penchés sur la question de la détection des sphères de Dyson d’un civilisation de type II et III avec le télescope James Webb.
Ils ont même travaillé concrètement à le faire, avec les données dans le visible de la mission Gaia de l'Esa, combinées avec les données dans l'infrarouge moyen du programme AllWISE qui s'appuie sur les travaux de la mission Wide-field Infrared Survey Explorer (WISE). Ce qui a donné lieu à une publication dans le célèbre journal MNRAS en accès libre sur arXiv.
Carl Sagan et Iossif Chklovski sont bien d'origine ukrainienne et le contenu de la vidéo de l'astronome Kirill Maslennikov est tout à fait pertinent pour connaitre ce grand nom de la radioastronomie du XXe siècle qu'était Iossif Chklovski ainsi que toutes les autres vidéos de Kirill Maslennikov qui rendent justice aux astronomes de l'époque soviétique à l'Est, peu connus à l'Ouest du grand public en raison de la guerre froide.
Les réglages des instruments du télescope spatial James-Webb sont encore en cours et on devrait attendre l'été avant que de véritables travaux de recherche scientifique commencent vraiment. Toutefois, on a bien vu que la première image publiée par la Nasa, montrant une étoile et des galaxies en arrière-plan une fois le premier réglage de l'ensemble des miroirs hexagonaux effectué, était déjà spectaculaire du point de vue de la résolution.
On s'en convainc rapidement en comparant cette image à celle de la même étoile et région de la voûte céleste observées par le défunt télescope Spitzer à qui l'on doit de nombreuses découvertes dans le domaine de l'infrarouge.
Ce n'est guère étonnant car le JWST a une surface collectrice sept fois plus grande que le HST et on s'attendait à ce qu'il ait une sensitivité 100 fois supérieure à celles atteintes par les précédents télescopes spatiaux voués aux observations dans l'infrarouge (de 1 à 27 microns de longueurs d'onde) comme Iras, ISO et Spitzer.
On ne sera donc pas étonné des bruits qui courent faisant état d'observations déjà intrigantes et potentiellement révolutionnaires qui commenceraient à émerger du traitement d'autres cibles en cours d'observations pour permettre de rendre les instruments du JWST opérationnels, par exemple MIRI (Mid-InfraRed Instrument), une production d'un consortium européen sous l'égide de l'ESA qui opérera dans l'infrarouge moyen (ou thermique, c'est-à-dire dans la fenêtre spectrale 5 - 28 microns) auquel le CEA et le Cnes ont contribué.
Les observations en question auraient une interprétation troublante si l'on se fie à des calculs et des idées proposées à la fin des années 1960 par deux astronomes d'origine ukrainienne et dont la réputation n'est plus à faire pour l'un d'entre eux puisqu'il s'agit de Carl Sagan, le grand exobiologiste pionnier du programme Seti. En effet, le père de Carl Sagan était originaire de l'oblast de Khmelnytskyï, dans l'actuelle Ukraine occidentale.
L'autre astronome est, comme bien des chercheurs brillants de l'époque soviétique, certainement inconnu du grand public européen et pourtant c'est le Sagan soviétique en ce qui concerne là aussi le programme Seti. Il s'agit de Iossif Chklovski né le 1er juillet 1916 à Hloukhiv, dans l'oblast de Soumy en Ukraine, et mort le 3 mars 1985.
Comme l'explique dans la vidéo ci-dessous l'astronome Kirill Maslennikov, Chklovski s'est notamment fait connaître en étant le premier à interpréter correctement l'origine du rayonnement de la nébuleuse du Crabe, à savoir une émission synchrotron produite par des électrons ultra-relativistes se déplaçant le long des lignes du champ magnétique de son pulsar central. Mais, comme on peut le constater dans la même vidéo, ses contributions et ses idées vont bien au-delà, que ce soit avec la fameuse raie à 21 cm ou le modèle unifié des noyaux actifs de galaxies.
Iossif Chklovski était un radioastronome tout comme Frank Drake, à l’origine de sa fameuse équation, et son collègue et collaborateur Nikolaï Kardachev, également fortement impliqué dans l'équivalent du programme Seti en Russie soviétique et à qui l'on doit la fameuse classification des civilisations en matière de consommation d'énergie.
Chklovski et Sagan se connaissaient très bien également puisqu'ils ont coécrit un ouvrage traduit en anglais en 1966 sous le titre « Intelligent Life in the Universe » que l'on peut considérer comme la première exposition sérieuse du sujet. Cela les a conduits notamment à examiner de plus près une technosignature possible d'une civilisation extraterrestre avancée ayant atteint avec de multiples sphères de Dyson le « type III » sur l'échelle de Kardachev, c'est-à-dire ayant à sa disposition toute la puissance émise par la galaxie dans laquelle elle est située.
Reprenons ce que Futura a déjà écrit au sujet du concept de sphère de Dyson. On le doit au célèbre physicien hélas décédé qui, en 1960, avait envoyé une lettre publiée dans le journal Science. Influencé par le livre de science-fiction intitulé Star Maker, de Olaf Stapledon, Freeman Dyson s'était mis à vérifier si les idées évoquées dans l'ouvrage de Stapledon étaient crédibles du point de vue de la physique, sans se soucier des redoutables problèmes technologiques rencontrés pour les concrétiser.
En extrapolant la courbe de croissance de la consommation d'énergie et de matière de l'humanité, fatalement, on aboutit à la conclusion que nous finirons par avoir besoin de toute l'énergie libérée par le Soleil chaque année. Dyson a alors calculé qu'en utilisant une masse de matière équivalente à celle de Jupiter, il est possible d'entourer notre Soleil d'une coque semi-solide, d'une épaisseur de deux à trois mètres, capable de piéger le rayonnement de notre étoile. C'est ce que ferait de son étoile une civilisation de type II, sur la fameuse échelle de Kardachev.
Or, d'après les lois de la thermodynamique, même en utilisant une grande partie de l'énergie ainsi disponible, la coque s'échauffera et réémettra dans l'infrarouge comme un corps noir d'excellente qualité. Le spectre d'une étoile est proche de celui d'un corps noir, mais une observation un peu fine montre rapidement qu'il est en réalité haché par une série de raies d'absorption voire, parfois, de bandes. Ce ne serait pas le cas avec l'objet étudié par Dyson.
La méthode qu'il proposait pour découvrir des civilisations extraterrestres est donc de partir à la recherche d'objets froids rayonnant dans l'infrarouge comme un corps noir quasi parfait et dont la taille serait de l'ordre de quelques unités astronomiques.
Le concept a fait fortune sous le nom de « sphère de Dyson » et il a notamment été popularisé par Carl Sagan dans ses ouvrages, par exemple Cosmos.
Sagan et Chklovski ont étendu l'idée de la technosignature proposée par Dyson dans le cas d'une civilisation de type III et c'est cette signature que commencerait à voir le JWST au niveau d'au moins une galaxie dans l'infrarouge.
La prudence s'impose, car comme on l'expliquait, le réglage du télescope n'est pas terminé et il pourrait s'agir d'un artefact d'un des instruments mal calibré.