Les centrales nucléaires, qui produisent une électricité bas carbone, au même titre que les énergies renouvelables, constituent un outil dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.
Cependant, au fur et à mesure que la question du mix électrique prend de l’ampleur dans le débat public, est régulièrement posée la question légitime de savoir si les centrales nucléaires sont compatibles avec notre futur climat. En effet, comme tout projet d’infrastructure, il se doit d’être compatible avec les conditions climatiques qu’il pourra rencontrer au cours de sa durée de vie.
Nous proposons d’éclairer cette problématique à travers deux sujets :
- Le premier étant celui de la capacité à produire de l’électricité, c’est-à-dire la disponibilité des centrales lorsque l’on a besoin d’elles.
- Le deuxième, celui de la sûreté, c’est-à-dire la capacité d’une centrale à maintenir son intégrité face à différents événements, y compris extrêmes (une crue exceptionnelle par exemple), et ainsi éviter la survenue d’incidents ou d’accidents nucléaires.
Les impacts du changement climatique sur la production d’électricité par les centrales nucléaires en France
Comment le changement climatique impacte les centrales ?
Que disent les études scientifiques sur l’évolution du climat ? Suivant les scénarios d’émissions, les études compilées par le GIEC modélisent d’ici la fin du siècle :
- une élévation des températures moyennes comprise entre +1,5°C et +5°C
- une élévation du niveau moyen des mers entre +0,5m et +1m.
- et dès 2050, une élévation de la température moyenne pour les cours d’eau en France autour de +2°C.
Source : GIEC, AR6, WG1
Source : GIEC, AR6, WG1
De son côté, le projet Explore 2070, porté par l’Office Français de la Biodiversité, anticipe une baisse du débit moyen annuel des cours d’eau en France de l’ordre de 10% à 50%.
Les limites sur les rejets thermiques d’une centrale nucléaire
Pour les réacteurs nucléaires, on peut distinguer deux besoins de refroidissement :
- Le refroidissement du condenseur du groupe turbo-alternateur (la turbine) lié à la production d’électricité, valable donc uniquement pour un réacteur en marche. C’est ce qui génère le besoin en eau le plus important. On le retrouve pour la plupart des centrales thermiques (charbon, gaz, géothermie, solaire thermodynamique…).
- Le refroidissement des auxiliaires nucléaires qui assurent les fonctions de sûreté. Ce besoin est spécifique aux réacteurs nucléaires et est bien moins important en volume que celui de la turbine. Par exemple, si un réacteur est arrêté, la chaleur dégagée (dite « résiduelle ») par le cœur est alors bien moindre et les prélèvements en eau, nécessaires uniquement pour les auxiliaires nucléaires, seraient alors jusqu’à 100x plus faibles que pour un réacteur en marche.
Ainsi, les arrêts de centrales dont la presse fait écho en été/automne sont donc réalisés :
- Soit indépendamment du climat, pour maintenance habituelle. L’été étant une période propice car la consommation électrique est faible par rapport au reste de l’année.
- Soit pour respecter les limites réglementaires fixées pour chaque centrale sur ses rejets thermiques (principalement dus aux besoins de refroidissement au niveau de la turbine).
Les limites réglementaires
Pourquoi ces limites sur les rejets thermiques ? D’après l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) :”Les limites imposées aux rejets [thermiques] des [centrales] visent à prévenir une modification du milieu récepteur, notamment de la faune piscicole, et à assurer des conditions sanitaires acceptables si des prises d’eau pour l’alimentation humaine existent en aval”.
Pour être plus précis, il existe trois types de limites réglementaires :
- Une température maximale que le fleuve ne doit pas dépasser en aval de la centrale ou au rejet pour les centrales de bord de mer, par exemple 28°C pour la Garonne (centrale de Golfech).
- Un seuil maximal d’échauffement du fleuve entre l’amont et l’aval de la centrale. Par exemple +3°C en été pour le Rhône au niveau de la centrale de Saint-Alban.
- Un seuil réglementaire de prélèvement maximal d’eau, éventuellement complété par des seuils de débits minimums. Par exemple, la consommation d’eau/évaporation est interdite pour la centrale de Chooz si le débit de la Meuse est inférieur à 20m3/s en moyenne sur 12 jours.
La première limite est susceptible d’apparaître essentiellement lors des périodes de canicule tandis que les deux autres le sont plutôt en cas de sécheresse, pendant des périodes d’étiage (faible débit) du cours d’eau.
Les différents types de refroidissement d’une centrale
Avant de rentrer dans le détail des pertes de production en raison du climat actuel et dans le futur, il est important de faire un court passage par la technique en comprenant comment se refroidit une centrale nucléaire. Il existe pour cela deux principaux types de conceptions possibles.
Première option, en circuit dit « ouvert », le volume d’eau prélevé est important (de l’ordre de 50m3/s par réacteur) mais la quasi-totalité est retournée à la source. Dans ce cas, il n’y a pas les fameuses tours aéroréfrigérantes. C’est le cas des centrales en bord de mer, celle de Paluel par exemple.
Source : Centrales nucléaires et environnement, Crédit : EDF Centrale de Golfech, Crédit : Jack Ma
Deuxième option, en circuit dit « fermé », le volume d’eau prélevé est faible (2-4m3/s par réacteur) mais, au lieu d’être rejetée à la source, cette eau est refroidie en s’évaporant en partie (c’est le même principe que la transpiration !) puis retourne ensuite dans la centrale. Au global, c’est 40% de l’eau prélevée qui sera évaporée. Ce type de conception se retrouve sur certaines centrales en bord de rivière (mais pas toutes), par exemple celle de Golfech.
Source : Centrales nucléaires et environnement Crédit : EDF Centrale de Golfech : Jack Ma
A l’heure actuelle, en France, 14 réacteurs sont en circuit ouvert en bord de mer, 10 sont en circuit ouvert en bord de rivière et 32 sont en circuit fermé (donc avec tours aéroréfrigérantes) en bord de rivière.
Source : Futurs énergétiques 2050, Crédit : RTE
Cette notion de prélèvement d’eau vs consommation d’eau (ce qui ne retourne pas à la source) est très importante. Ainsi, en moyenne sur le parc nucléaire français, 98% de l’eau prélevée par les centrales nucléaires est retournée à la source (donc seulement 2% de l’eau prélevée est « consommée » par évaporation).
Source : Centrales nucléaires et environnement, Crédit : EDF
Une fois cela en tête, on comprend bien que les centrales qui risquent d’avoir des rejets thermiques trop importants dans les cours d’eau sont celles en circuit ouvert. En effet, avec la présence d’un aéroréfrigérant, les rejets thermiques se font principalement…dans l’air !
Les pertes de production liées au changement climatique : état actuel
Avant de se projeter sur les impacts du climat futur, regardons les pertes de production qui sont dès aujourd’hui liées à des arrêts pour canicule ou sécheresse.
D’après RTE, le gestionnaire du réseau de transport électrique, elles sont en moyenne de 1,4 TWh/an, c’est-à-dire moins de 0,4% de la production nucléaire annuelle. En puissance, ces arrêts peuvent être ponctuellement conséquents, avec un pic de 6GW (10% de la capacité installée) atteint lors de la canicule de juillet 2019.
Source : Futurs énergétiques 2050, Crédits : RTE
Quelles sont les centrales nucléaires concernées ?
La grande majorité des pertes viennent de trois centrales : Bugey, Saint-Alban et Chooz. Comment expliquer cette particularité ?
Les deux premières sont en bord de rivière et sans tours aéroréfrigérantes (concerne deux des quatre réacteurs du Bugey) et sont donc plus sensibles aux sécheresses et aux canicules. A noter que cette combinaison “bord de rivière sans tours aéroréfrigérantes” n’est pas suffisante pour dire qu’une centrale est sensible aux sécheresses/canicules. Ainsi, Tricastin, qui a la même configuration mais est située plus en aval du Rhône, n’est que peu impactée.
Concernant Chooz, c’est un cas particulier car la centrale fait l’objet d’un accord spécifique entre la France et la Belgique (qui est en aval) sur le partage de l’eau, ce qui limite ses capacités de prélèvement.
Source : Futurs énergétiques 2050, Crédit : RTE
On remarque au passage qu’aucune centrale en bord de mer, qui n’ont pourtant pas de tours aéroréfrigérantes comme on l’a vu, n’est touchée. En effet, la mer, par sa taille, a un pouvoir de dilution thermique très important, ce qui met ce type de centrales quasiment à l’abri des problèmes de canicule/sécheresse sur cet aspect.
Les pertes de production liées au changement climatique : et dans le futur ?
Maintenant que nous avons vu la situation actuelle, regardons ce qui pourrait se passer dans le futur en France avec un climat modifié.
Pour cela, on se basera sur le très complet rapport de RTE Futurs énergétiques 2050 (sorti en octobre 2021) qui explore différents scénarios de mix électrique en France en 2050 (pour en savoir plus sur ce rapport, voir la très bonne vidéo du Réveilleur). Dans ce rapport, un chapitre entier est consacré au lien entre climat et système électrique (ce qui inclut aussi la consommation, l’éolien, le solaire, les barrages, les réseaux…).
Pour étudier cette problématique, RTE se base sur les simulations de Météo France, ce qui lui permet d’avoir 200 versions possibles de l’année météorologique 2050. On retrouve ainsi trois climat différents :
- Un climat de référence correspondant aux conditions des années 2000
- Un climat de l’année 2050 du scénario RCP4.5 du GIEC, c’est-à-dire une trajectoire d’émissions intermédiaire qui ne permet pas d’atteindre la neutralité carbone en 2050 et qui correspond donc à un réchauffement à la fin du siècle compris entre +2°C et +3,5°C
- Un climat de l’année 2050 dans le scénario RCP8.5 du GIEC, une trajectoire d’émissions très élevée (heureusement jugée aujourd’hui peu probable), ce qui conduirait à une élévation de température moyenne à la fin du siècle entre +3,5°C et +6°C
Source : Futurs énergétiques 2050, Crédit : RTE
Quelles sont les variables prises en compte ?
Ces simulations contiennent les données les plus importantes pour le système électrique, à savoir : la température, le vent, le rayonnement, les précipitations et les débits des rivières.
D’après RTE, pour les centrales en bord de mer, le réchauffement climatique ne devrait pas induire de dépassement des seuils environnementaux pouvant conduire à des arrêts, que ce soit pour le scénario RCP4.5 ou le RCP8.5.
En revanche, à réglementation et technologie constantes, pour les réacteurs installés en bord de rivière, les pertes de production devraient être deux à trois fois plus importantes. On constate que la grande majorité des pertes sont situées sur les mêmes centrales qu’aujourd’hui, à savoir Chooz (accord France-Belgique), Bugey et Saint-Alban (pas de tours aéroréfrigérantes). Viennent ensuite Cattenom et Golfech, qui ont bien des tours aéroréfrigérantes mais qui ont le désavantage d’être situées sur des rivières plus petites, entraînant des problématiques de débit (la Moselle pour Cattenom) ou de température (la Garonne pour Golfech).
Ainsi, une centrale comme Cruas, située en bord de rivière avec un débit assez important et ayant des tours aéroréfrigérantes ne subira à priori quasiment aucune perte liée aux canicules et sécheresses, et ce même dans le scénario du GIEC le plus défavorable.
Source : Futurs énergétiques 2050, Crédit : RTE
Au global, la perte de production moyenne, en tenant compte de la fermeture de certains réacteurs et de l’ouverture de nouveaux, sera faible à environ 1-2 TWh/an avec un maximum à 10 TWh sur une année très défavorable (environ 3% de la production annuelle).
Source : Futurs énergétiques 2050, Crédit : RTE
Source : Futurs énergétiques 2050, Crédit : RTE
Un risque faible mais non négligeable
Le risque d’indisponibilité simultanée maximum ayant une chance sur dix de se produire sur un année donnée atteint 6GW (12% de la puissance installée) pour la trajectoire RCP 4.5 et 8,5 GW (16% de la puissance installée) pour la trajectoire RCP8.5.
RTE conclut ainsi : “Dans un contexte marqué par une augmentation de la pointe de consommation liée à la climatisation et des risques accrus de sécheresses à la fin de l’été, ces pertes de puissance disponible ne sont pas négligeables. Ceci montre l’intérêt de trouver des leviers pour minimiser la sensibilité du parc de réacteurs nucléaires au changement climatique.” Et quels sont ces leviers ? C’est ce que nous verrons dans la partie suivante.
A noter que le rapport de RTE concerne uniquement la France. Au niveau mondial, une étude récente publiée dans Nature Energy estime que les pertes liées au changement climatique sur l’ensemble des centrales nucléaires devraient être situées entre 1,4% et 2,4% par an à la fin du siècle (vs 0,2% par an dans les années 1990).
Pas la principale source de tension pour le réseau électrique
Point important dans ce rapport, même si les indisponibilités nucléaires l’été sont un sujet, ce n’est pas ce type d’aléa météo qui va être à l’origine des plus grosses tensions sur le système électrique. En effet, RTE précise : “En 2050, les configurations les plus à risque correspondent ainsi à des situations de manque de vent conjugué à une température froide, en particulier sur l’ensemble de l’Europe”.
Ce type de configurations réside dans la combinaison entre une forte consommation électrique (en période froide) et un fort développement de l’éolien, qui est pourtant indispensable à l’atteinte des objectifs de neutralité carbone de la France et de l’Europe.
Source : Futurs énergétiques 2050, Crédit : RTE
Le maître mot : adaptation
D’après le GIEC, il y a deux leviers principaux pour lutter contre le changement climatique :
- L’atténuation (mitigation en anglais), ce sont les interventions humaines visant à réduire les sources ou renforcer les puits de gaz à effet de serre. Par exemple : remplacer une centrale à charbon par une centrale nucléaire ou des EnR.
- L’adaptation qui consiste à mettre des moyens en œuvre pour atténuer les effets négatifs du climat actuel ou futur.
Bien que l’adaptation soit moins au cœur des discussions, elle est pourtant clé dans les politiques climatiques, en particulier concernant l’énergie. On peut alors se demander quels moyens mettre en œuvre afin de rendre les centrales nucléaires encore plus résilientes face au changement climatique ?
Tout d’abord, il s’agit de connaître les données de ces possibles climats futurs, avec des simulations de températures d’air, d’eau… Pour cela, EDF a mis en place une démarche de veille climatique alimentée notamment par les scénarios du GIEC.
1/ Pour les centrales nucléaires existantes
Même si cet aspect sera décrit plus en détail dans la deuxième partie de cet article dédiée à la sûreté, il est tout de même important de mentionner le plan “Grand chaud”. Il prévoit notamment d’augmenter la capacité des groupes froids, des échangeurs de chaleur et de vérifier la tenue des matériels à des températures plus élevées que celles prescrites à leur conception ainsi que des règles de conduite afin de prévenir, détecter et maîtriser les conséquences de températures élevées sur le fonctionnement des réacteurs.
D’un point de vue théorique, une solution qui pourrait venir à l’esprit serait de faire des travaux pour passer de circuit ouvert (sans tour aéroréfrigérante) à circuit fermé (avec tour aéroréfrigérante). Ce chantier, particulièrement complexe et coûteux, ne serait potentiellement pas rentable au regard des gains espérés sur le reste de la durée de vie des centrales. Par exemple, une étude estime que faire ce type de retro-fit sur l’ensemble des 63 centrales concernées aux USA (60GW) coûterait 32Mds$ (travaux et non-production pendant ces travaux).
2/ Pour les futures centrales
La première mesure serait de bien choisir le lieu d’implantation. En effet, nous l’avons vu, choisir un site en bord de mer est une protection de choix contre les canicules et les sécheresses. Pour un site en bord de rivière, il faudra alors privilégier une rivière avec un débit suffisamment important. On comprend ainsi bien les propositions d’EDF pour le potentiel programme de futures centrales nucléaires (dit EPR2) en France, avec deux implantations en bord de mer (Gravelines dans le Nord et Penly en Seine-Maritime) ainsi qu’une en bord du Rhône (Bugey dans l’Ain ou Tricastin dans la Drôme).
Pour ces futurs réacteurs, se doter d’emblée de tours aéroréfrigérantes semble la meilleure idée, c’est d’ailleurs ce que préconise l’article 4.1.7. de l’arrêté INB : “La réfrigération en circuit ouvert par de l’eau douce provenant du milieu ambiant est interdite, sauf mention explicite dans le décret d’autorisation. Pour bénéficier de cette dérogation, l’exploitant justifie l’acceptabilité de cette pratique, en particulier pour ce qui concerne l’impact thermique des rejets dans le milieu.”
Pour illustrer ce qu’il est possible de faire côté conception, on peut citer la centrale nucléaire de Civaux, dernière centrale nucléaire mise en service en France, qui fait figure d’élève modèle dans ce domaine. Elle dispose de deux grandes tours aéroréfrigérantes “classiques”, mais aussi de petites tours aéroréfrigérantes complémentaires (dites « de purge ») afin de refroidir une deuxième fois l’eau avant son renvoi en rivière ce qui permet de supprimer tout échauffement dès que la température de la Vienne atteint 25 °C en été.
Enfin, le refroidissement des auxiliaires nucléaires est aussi fait avec des tours aéroréfrigérantes et sa gestion de l’eau est optimisée avec une retenue d’eau en amont qui fait du soutien d’étiage. Elle n’est donc actuellement pas touchée par des arrêts pour canicule/sécheresse alors qu’elle se situe sur un des plus petits cours d’eau de France ayant une centrale nucléaire.
Vue générale aérienne du CNPE de Civaux, aéroréfrigérants. Crédit : EDF
Un regard sur l’international
Pour élargir l’horizon, il peut être intéressant d’étudier ce qui se fait dans d’autres pays du monde.
On peut mentionner tout d’abord la centrale de Palo Verde qui revient souvent dans les discussions sur le sujet. En plein désert d’Arizona, elle n’est reliée ni à la mer, ni à aucun cours d’eau, mais utilise pour se refroidir (avec des tours aéroréfrigérantes) les eaux usées de la ville de Phoenix située à 70km, retraitées au préalable par des stations d’épuration.
Pour pouvoir fonctionner avec cette source d’eau, la centrale la retraite une deuxième fois et a construit 52 hectares de bassins de stockage. Pour optimiser son usage de l’eau et ses coûts, la centrale cherche actuellement d’autres sources d’eau de moins bonne qualité.
Centrale de Palo Verde (USA), Crédit : Arizona Public Service Co
Un exemple de centrale qui fonctionne dans un climat très chaud (température de l’eau qui peut atteindre 35°C et celle de l’air 50°C) est celle de Barakah aux Emirats Arabes Unis, qui a démarré en 2021 et se refroidit via la mer. Par rapport à son modèle de Shin-Kori en Corée du Sud, la température de l’eau de mer est ici plus élevée et la limite d’échauffement de l’eau fixée par les autorités plus restreinte (5°C seulement).
Ces contraintes ont été prises en compte via des modifications de design sur Barakah en augmentant, entre autres, les capacités du condenseur, des pompes et en introduisant un système de dilution thermique de l’eau réchauffée avant rejet en mer. A noter que dans des cas extrêmes comme celui-ci, on constate une légère perte de rendement théorique (-6%, soit -90MWe) par rapport au réacteur de référence liée à l’augmentation de +15°C de la température de la source d’eau.
Côté adaptation après la mise en service, on peut citer la centrale nucléaire d’Asco en Espagne, qui a la particularité d’avoir construit 10 ans après son démarrage une tour aéroréfrigérante pour refroidir l’eau avant de la rejeter en rivière.
Enfin, on termine sur l’aspect canicule/sécheresse en mentionnant la technologie du « refroidissement à sec » qui utilise des échanges thermiques entre l’air extérieur et l’eau mais sans évaporation. Cela existe notamment sur des grosses centrales à charbon en Afrique du Sud.
Centrale à charbon de Matimba (Afrique du Sud), Crédit : Eskom
Cette technologie un peu extrême, non utilisée pour l’instant pour le nucléaire, a peu de chance de se répandre pour les grosses centrales. En revanche, c’est ce système qui sera proposé pour le premier SMR (petit réacteur nucléaire) de la société Nuscale en Idaho.
La montée du niveau des mers
Les problématiques d’adaptation existent aussi pour tous les autres évènements climatiques, on peut penser par exemple à la montée du niveau des mers. Ceci dit, cette prise en compte de variations du niveau de la mer n’est pas une nouveauté pour le nucléaire. Par exemple, la centrale d’Hinkley Point en Angleterre est sujette au deuxième plus grand marnage (différence entre marée haute et basse) au monde : jusqu’à 15m de variation en une journée !
Pour se protéger d’un marnage important, d’un niveau de mer grandissant ou d’une crue, la meilleure solution est de construire la centrale suffisamment en hauteur et de compléter en construisant une digue anti-inondation. Par exemple, celle du futur EPR d’Hinkley Point C culmine à 13,5m au-dessus du niveau moyen de la mer. Ce sujet sera traité plus en détail dans la deuxième partie de cet article, consacrée à la sûreté!
Crédit : EDF Energy, NNB
Source : Implications of the 2011 Great East Japan Tsunami on Sea Defence Design
Conclusion
Le changement climatique est malheureusement une réalité et ses effets négatifs ne vont faire qu’empirer dans les années à venir. Au-delà de mettre en œuvre les moyens pour le limiter, il est crucial de se poser la question de la vulnérabilité de chacun des éléments de notre système (économique, social, environnemental) à ce futur climat. Le nucléaire, comme l’ensemble du secteur de l’énergie, ne fait pas exception.
Les pertes de production d’électricité à cause du changement climatique sont actuellement faibles et devraient rester limitées au cours du siècle, que ce soit en France ou dans le Monde. En France, elles ne touchent principalement qu’un nombre limité de centrales, en particulier celles se refroidissant via l’eau d’une rivière de taille modeste et/ou sans aéroréfrigérant.
Pour de potentiels futurs EPR dont la durée de vie ira jusqu’à la fin du siècle, il existe des mesures d’adaptation efficaces pour limiter l’impact du stress climatique, par exemple le choix du lieu d’implantation ou dans la conception de son système de refroidissement. Si en puissance disponible l’effet pourra être plus notable qu’en énergie perdue annuellement, la situation de stress principale pour l’équilibre du système électrique français dans les années à venir ne sera pas un épisode de canicule/sécheresse mais plutôt un jour froid sans vent.
Finalement, cette problématique, bien que réelle, n’est pas une fatalité et son impact reste limité. Elle n’apparaît donc pas discriminante dans le choix de recourir ou non à l’électricité d’origine nucléaire.