Des chercheurs chinois ont publié en janvier 2022 un article sur les exploits d’un de leur algorithme d’intelligence artificielle dans les dogfights, ou combats tournoyants. L’occasion de faire un point sur cette avancée technologique qui prend une place croissante dans les débats.
La longue montée en puissance des IA de dogfight
Les pionniers de l’utilisation de l’intelligence artificielle au sein de l’aéronautique militaire sont sans aucun doute les Etats-Unis. Malgré des recherches appliquées aux combats tournoyants (dogfights) dès les années 1980, ces travaux n'ont été mis en lumière qu'en juin 2016, lorsqu’une IA baptisée ALPHA a battu sur simulateur le colonel Gene Lee, retraité de l’US Air Force.
Ce n’est ensuite qu’en 2019 que la DARPA officialise le lancement du programme Air Combat Evolution (ACE Program) avec pour objectif de développer la place de l’intelligence artificielle dans les combats aériens. Ce programme intègre de nombreux travaux sur la collaboration homme-machine, mais une majeure partie de celui-ci est consacrée au développement d’intelligences artificielles performantes dans le dogfight. Si le combat aérien tournoyant prend de moins en moins de place dans les combats aériens modernes, il reste encore présent (voir notre article relatif aux tensions entre l'Inde et le Pakistan dans Air&Cosmos n°2631 du 8 mars 2019) et demande aux pilotes un effort physique et une grande concentration dans un environnement souvent dégradé. La DARPA voit ainsi la supériorité de l’IA dans cet exercice comme un jalon nécessaire pour une collaboration Pilote-IA en totale confiance.
Le drone Loyal Wingman développé par Boeing en Australie comprend une IA lui permettant de prendre certaines décisions en toute autonomie, s'adaptant à son environnement et aux actions de l'avion piloté qu'il accompagne. Ses spécifications (bombardement, renseignement...) ne le pousseront cependant pas à devoir réaliser des actions de combat tournoyant. ©
C’est dans ce contexte que le consortium ARCNet a lancé AlphaDogfight Trials se voyant affronter 8 organisations -dont les géants Lockheed Martin et l’institut de recherche Georgia Tech- dans une compétition de dogfights 1vs1 entre les intelligences artificielle développées par les participants. La compétition contenait trois phases entre novembre 2019 et août 2020 et l’IA gagnante, développée par Heron Systems, a ensuite effectuée 5 autres combats aériens simulés face à un pilote instructeur de l’USAF sur F-16, battant le pilote 5-0.
Depuis, la DARPA a travaillé en février 2021 sur le combat 2vs1 avec l’exercice Scrimmage 1 où le challenge de la collaboration entre les IA apparaît tout en évitant des tirs fratricides. La validation de ces simulations conclut la phase 1 du programme ACE tandis que la phase 2 prévoit l’implémentation des IA sur des aéronefs physiques avant une phase 3 prévue en 2023-2024 qui verra s’affronter en dogfight réel un pilote de chasse et un avion contrôlé par une IA.
Au lieu de se confronter à d'autres humains, un pilote de F-16 a été confronté à d'autres avions pilotés par l'IA. © L3 Technologies
La Chine rattrape son retard
La Chine choisit avec soins les informations qu’elle laisse fuiter sur ses travaux concernant l’intelligence artificielle appliquée aux combats aériens, mais on retrouve régulièrement des publications de thèse dans les revues scientifiques Acta Aeronautica et Astronautica Sinica qui traitent ce sujet. De nombreux articles proposent des travaux sur la collaboration homme-machine dans les chaînes de décisions du pilote, et ceux sur l’autonomisation du dogfight ont été mis sur le devant de la scène en juin 2021 lors de l’annonce de Pékin de combats simulés entre une IA et Fang Guoyu, un chef d’escadron de l’armée populaire de libération (PLA). Ces combats sont doublement utiles par leur capacité à entrainer l’algorithme aux tactiques de combat aérien, mais aussi pour le pilote qui doit sans cesse s’adapter aux méthodes utilisées par l’IA.
Si cette annonce a démontré la maturité des intelligences artificielles chinoises dans le combat aérien, nous n’avions d’informations ni sur les capacités des IA utilisées, ni sur le déroulement de ces exercices jusqu’à la publication le 10 janvier 2022 des travaux sur des IA qui se revendiquent bien plus performantes que les technologies américaines. Selon le South China Morning Post, l’algorithme peut battre la quasi-totalité des opposants en 800 000 étapes d’apprentissage du réseau de neurone, contre près de 4 milliards pour l’IA américaine gagnante des AlphaDogfight Trials. Bien que la capacité d'apprentissage soit une métrique intéressante, il est difficile de réellement comparer les deux technologies tant qu'elles ne se seront pas confrontées l'une à l'autre.
Les simulations présentées par la DARPA (vidéo en fin d'article) permettent de constater l'évolution de chacun des appareils en combat. ©
La place de l’intelligence artificielle dans les futurs projets
Si certains pays s’essaient à l’exercice de l’automatisation des dogfights avec des résultats plus humbles, comme la Turquie qui a réussi à reproduire des combats simulés en 2 dimensions en janvier 2022, la plupart des pays voient pour l’intelligence artificielle une place aux côtés des forces armées : « L'IA n'est pas un objectif en soi ; il doit contribuer à une prise de décision plus éclairée et plus rapide au profit de nos soldats » a déclaré Florence Parly dans un article paru sur Defense News en décembre 2019.
Le défi de l’intégration de l’intelligence artificielle se développe dans les domaines militaire (drones autonomes Kargu-2 capable de prendre la décision autonome d'engager le tir, voir notre article "Libye : retour sur la plus grande guerre de drones au monde") mais aussi dans le civil, l’EASA ayant publié un dossier sur son utilisation dans l’aéronautique civile en avril 2021 où on trouve par exemple une classification des degrés d’autonomie des aéronefs, comme celles qui existent pour l’automobile.
Classification de l'automatisation des systèmes grâce à l'intelligence artificielle © EASA