| Edit de Trust My Science sur l'image de Geralt (Pixabay)
Une chercheuse suédoise a lancé un défi peu commun à une intelligence artificielle (IA) : rédiger par elle-même une publication scientifique. Cette dernière avait justement pour objet sa propre capacité à écrire ce type de publication. Le document est encore en attente de validation par la communauté scientifique.
« Rédigez une thèse universitaire en 500 mots sur le GPT-3 et ajoutez des références scientifiques et des citations à l’intérieur du texte ». Voici l’instruction sibylline que, par un après-midi pluvieux, la scientifique suédoise Almira Osmanovic Thunström a donnée à GPT-3. Cette intelligence artificielle est un algorithme de génération de texte développé par OpenAI. Le terme « intelligence artificielle » se rattache, selon la définition du Conseil de l’Europe, à « une discipline jeune d’une soixante d’années, qui réunit des sciences, théories et techniques (notamment logique mathématique, statistique, probabilités, neurobiologie computationnelle et informatique) et dont le but est de parvenir à faire imiter par une machine les capacités cognitives d’un être humain ».
De façon plus concrète, les spécialistes préfèrent souvent à ce terme auréolé de science-fiction le nom exact des technologies concrètement à l’œuvre. C’est-à-dire, dans de très nombreux cas actuellement, le « machine learning » (« apprentissage automatique »). Dans ce cas, « l’intelligence artificielle » consiste en un système qui est « nourri » d’une grande quantité de données pour « apprendre » et extraire des connexions logiques en vue d’un objectif donné. Ici, c’est donc du texte qui est analysé par la machine.
Almira Osmanovic Thunström a pour objet d’étude la neuroscience et les technologies de la santé. Elle a lancé ce défi à l’IA comme une simple expérimentation. Cependant, devant la qualité du texte produit, elle en est restée « impressionnée », s’exprime-t-elle dans un communiqué. Lorsque l’IA s’est mise à rédiger, « cela ressemblait à toute autre introduction à une assez bonne publication scientifique ». L’algorithme a commencé à rédiger une véritable thèse, remplie de citations efficaces, placées dans des contextes appropriés. « J’ai ressenti ce sentiment d’incrédulité que l’on ressent quand on regarde un phénomène naturel : est-ce que je vois vraiment ce triple arc-en-ciel se produire ? », affirme-t-elle.
Devant le résultat de cette introduction, elle a donc résolu d’aller plus loin et de faire écrire à l’intelligence artificielle un article scientifique complet. Avec l’aide de son conseiller, Steinn Steingrimsson, ils ont fourni à GPT-3 quelques instructions pour chaque paragraphe, en donnant le moins d’informations possible. L’article a donc été attribué à trois auteurs : GPT-3 en tête, suivi de Thunström et Steingrimsson.
Deux heures pour rédiger une publication scientifique
Si le choix de la scientifique s’est porté sur cette IA en particulier, c’est parce qu’elle est relativement récente. Il y a donc peu d’études à son propos, et par conséquent, moins de données possibles à analyser pour l’IA concernant le sujet de l’article : elle-même. « En comparaison, si elle écrivait un article sur la maladie d’Alzheimer, elle aurait une tonne d’études à parcourir et plus d’opportunités d’apprendre des travaux existants et d’augmenter la précision de son écriture », soupèse Thunström.
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Les scientifiques ont aussi décidé de faire écrire l’IA sur elle-même afin d’éviter de répandre de fausses informations sur un sujet délicat, comme un traitement médical, par exemple. Devant les bons résultats obtenus par GPT-3, les chercheurs ont fini par réellement envoyer pour publication l’article qu’elle a rédigé. Hébergé sur un site de prépublication scientifique nommé HAL, il est désormais en train d’être relu par la communauté scientifique en vue de sa validation.
L’IA n’a eu besoin que de deux heures pour rédiger son article. En fait, les scientifiques ont davantage bataillé pour obtenir la publication dudit article, en raison de toutes les formalités, pas très adaptées à un auteur non humain ! De façon assez amusante, les scientifiques en ont même été réduits à poser des questions à l’IA, afin d’éviter toute illégalité. A-t-elle des conflits d’intérêts ? « Non », a -t-elle répondu. Donne-t-elle son consentement pour la publication ? « Oui », a-t-elle acquiescé, au grand soulagement des scientifiques. Ils attendent désormais de voir si la publication va être validée ou non.
« Nous attendons avec impatience ce que la publication de l’article, si elle se produit, signifiera pour le milieu universitaire. Peut-être devrions-nous cesser de baser les subventions et la sécurité financière sur le nombre d’articles que nous pouvons produire. Après tout, avec l’aide de notre premier auteur IA, nous pourrions en produire un par jour »… Outre cette question de la rapidité, l’expérience interroge aussi les notions de propriété intellectuelle, de ce qu’est être auteur… « Au-delà des détails de la paternité, l’existence d’un tel article jette aux orties la notion de linéarité traditionnelle d’un article scientifique », souligne Thunström. « Tout ce que nous savons, c’est que nous avons ouvert une porte. Nous espérons juste que nous n’avons pas ouvert une boîte de Pandore », conclut-elle.