Les 8 et 9 juin, un événement qui est répété tous les deux ans depuis quinze ans s’est déroulé à l’Université de Lausanne (« UniL »). Olivier Dessibourg en a parlé dans le Temps du 11 juin (page 24) mais je voudrais insister car il m’a également passionné. Il s’agit du « MELiSSA Workshop », organisé par le Dr Christophe Lasseur (ESA), la Dre Stéphanie Raffestin (ESA), le Professeur Suren Erkman (UniL) et Théodore Besson (UniL & Earth Space Technical Ecosystem Enterprise SA). Le but du workshop était de faire le point avec tous les scientifiques concernés, sur l’état de la recherche MELiSSA (Micro Ecological Life Support System Alternative), menée sous l’ombrelle de l’ESA.
MELiSSA n’est que l’un des ECLSS possibles (Environmental Control and Life Support System) mais sa caractéristique unique est de chercher la mise au point d’une boucle fermée dans laquelle les êtres vivants seront totalement intégrés, contributeurs et bénéficiaires du système. Il s’agit de parvenir à créer une bulle aussi petite et aussi peu massive que possible permettant à des vies humaines de se perpétuer de façon autonome en dehors de l’environnement terrestre, sans nouvel apport. L’importance de l’entreprise vient de ce qu’elle traite d’une part de la possibilité de sortir de notre coquille terrestre en emportant et en faisant vivre avec nous, les éléments écologiques strictement essentiels qui la constituent et qui sont le gage de sa pérennité, et d’autre part, de notre impact écologique sur notre planète mère, la Terre, et des solutions pour l’alléger alors que nos pollutions de toutes sortes l’agressent de toutes parts. Il s’agit en bref et rien de moins, que de notre avenir « dans les étoiles » et de notre capacité de survie sur Terre.
A noter que les contraintes de fonctionnement de cette boucle ne seront pas exactement les mêmes pendant le voyage interplanétaire, pendant lequel aucun apport n’est possible à partir de l’extérieur de l’habitat, autre que celui de l’énergie ambiante (solaire) et, d’autre part, le séjour planétaire (sur Mars ou la Lune), pendant lequel les ressources locales pourront être mises à profit (notamment sur Mars -mais pas sur la Lune-, la glace d’eau, l’épaisseur de l’atmosphère, le gaz carbonique et toutes sortes d’éléments chimiques présents dans les roches ou la poussière). Le problème sera donc de minimiser la durée du voyage et une fois sur place, d’exploiter au mieux l’environnement planétaire pour recréer avec un minimum d’apports terrestres, un micro-environnement terrestre (type « Biosphère-2 ») en le maintenant viable malgré ses petites dimensions (problème de limitation des pertes lors de chaque recyclage, de maintien d’équilibre microbien et de « reset » éventuel sans produits chimiques autres que ceux productibles sur place, ou en limitant progressivement l’apport terrestre, nécessaire au début, jusqu’à le rendre inutile).
Au workshop, tous les thèmes du sujet ont été présentés et discutés par les personnes les plus compétentes pour le faire : le traitement des déchets, le recyclage de l’eau, le recyclage de l’air, la production et la préparation de nourriture, la sureté chimique et microbienne, les instruments de contrôle et de pilotage des systèmes de support vie. On a pu constater, dans tous les domaines, que des avancées ont été faites vers la « fermeture de la boucle » mais le moins que l’on puisse dire c’est qu’aujourd’hui son autonomie n’est pas encore totale. Sont en cause évidemment la complexité du système biologique/écologique et le réglage très fin (« fine-tuning ») de ce système qu’il s’agit de transposer alors qu’on le connaît encore imparfaitement (en particulier son microbiote) et que la contrainte d’un espace clos de petite dimension le rend d’autant plus critique qu’on ne peut se permettre de redondances (ou que des redondances très limitées).
La recherche MELiSSA, ce pourrait être, tout au long de ces 27 dernières années, l’éveil de Gaïa (au sens de James Lovelock), sa prise de conscience de la complexité qui permet son existence ; Oïkosmos (développé par Théodore Besson) qui est la synthèse ou la clef de voûte de la recherche MELiSSA afin de déboucher sur une mise en application spatiale (habitat autonome) et terrestre (compréhension et gestion optimale du système écologique planétaire), c’est l’expression de cette prise de conscience. Ce huitième workshop marquera l’histoire car on aborde l’introduction du dernier compartiment dans la boucle des six compartiments différents qui constituent MELiSSA, le compartiment habité (le « cinquième »). La société suisse RUAG Space (Nyon) y travaille avec l’entreprise belge, QinetiQ. Ce compartiment (« BIORAT ») qui comprendra trois souris sera prochainement installé à bord de l’ISS (« BIORAT2 »). Les souris y respireront l’oxygène généré par les algues unicellulaires cultivées à bord.
A suivre (“MELiSSA” 1/7) !
PS : En participant à ce workshop réunissant les grands noms de notre recherche écologique mondiale, exprimant une science complexe, maîtrisée autant qu’il se peut, qui discutaient l’esprit ouvert de l’essence de la vie, de ses rouages et de leurs interactions, je pensais à ces barbares qui en même temps que nous étions réunis, utilisaient leur corps et leur esprit, merveilleuses et précieuses machines vivantes, à manifester et à casser pour des raisons absurdes dans les villes françaises, ou ailleurs à assassiner pour imposer leur croyance primitive. J’en déduisais que notre « fine-tuning » était sur le plan sociétal également extrêmement délicat et précaire et que cela justifiait d’autant plus la recherche d’une terre de substitution au cas où les dérèglements que nous subissons sur notre planète mère, deviendraient à cette occasion ci, ou une autre prochaine, totalement incontrôlables. Mais aurons-nous le temps avant d’être submergés par la bêtise et la violence ?!
Liens :
http://www.letemps.ch/sciences/2016/06/10/vivre-vase-clos-fin-fond-espace
http://www.esa.int/Our_Activities/Space_Engineering_Technology/Melissa
https://en.wikipedia.org/wiki/Gaia_hypothesis
Image à la Une: Illustration ESA/MELiSSA pour le Workshop de 2016 (crédit ESA/MELiSSA)
Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.