Les vols au départ des aéroports européens seront exploités avec au moins 20 % de carburants durables en 2035. (Ramon van Flymen/ANP/AFP)
Pour le gouvernement français, c'est une nouvelle case de cochée dans la liste des objectifs de la présidence hexagonale du Conseil de l'UE, ainsi qu'un premier pas en avant dans le « verdissement » annoncé des transports européens. Pour le transport aérien et l'aéronautique, c'est une étape majeure, mais insuffisante , vers l'objectif de neutralité carbone à 2050.
Après plus de deux ans de négociations, les ministres des Transports des Vingt-Sept, réunis ce jeudi à Luxembourg, sont parvenus à un accord sur le volet transport du « Green Deal » européen, annoncé en juillet 2021. Il vise à réduire d'ici à 2030 de 55 % les émissions polluantes des transports (comparé à 1990) et à atteindre la neutralité climatique en 2050. En commençant par le secteur le plus exposé aux critiques des défenseurs du climat : le transport aérien.
Une feuille de route de la décarbonation
Le projet « ReFuelEU Aviation », adopté ce jeudi, ne se contente pas de fixer des objectifs de réduction des émissions de CO2, sanctionnées par une taxe. Il donne enfin aux compagnies aériennes européennes, qui l'attendaient avec impatience, les moyens d'y parvenir en établissant, pour la première fois, une feuille de route pour le remplacement progressif du kérosène d'origine pétrolière par des biocarburants ou des carburants de synthèse.
A partir du 1er janvier 2025, les fournisseurs de carburant d'aviation au départ de tous les aéroports européens de plus d'un million de passagers devront incorporer au « jetfuel » un minimum de 2 % de carburants durables. Au 1er janvier 2030, cette part montera à 5 %, dont 0,7 % de carburant de synthèse, produits à base d'hydrogène et de capture de CO2. Puis 20 % en 2035 (dont 5 % de carburants de synthèse), 32 % en 2040, 38 % en 2045 et 63 % en 2050 (avec 28 % de carburants synthétiques).
Un projet salué par les compagnies françaises
L'adoption du projet de règlement « ReFuelEU Aviation » a été applaudie à la conférence annuelle de la Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers (FNAM), qui regroupe tous les acteurs du transport aérien en France. Pour les compagnies comme pour les industriels de l'aéronautique , les carburants durables sont considérés comme le principal outil de décarbonation, au moins pour les 20 prochaines années.
Le transport maritime aussi
Un effort sur les carburants sera aussi imposé au secteur maritime, pour qui le projet adopté par les ministres fixe des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'énergie utilisée à bord des navires et durcit aussi le ton sur l'énergie dépensée à quai. L'objectif de la proposition est de réduire l'intensité des émissions de gaz à effet de serre de l'énergie utilisée à bord des navires de 75 % d'ici à 2050.
Utilisables dans tous les avions actuels, ils permettent de réduire jusqu'à 85 % le bilan carbone d'un vol, les émissions de CO2 étant compensées par le CO2 capturé par la biomasse dont ils sont issus, ou par capture dans l'atmosphère dans le cas des carburants de synthèse. Ajoutés à la future nouvelle génération d'avion moyen-courrier attendue vers 2035, dont la consommation de carburant sera réduite d'au moins 30 %, ces carburants durables permettraient déjà d'atteindre la neutralité carbone sur une partie du trafic.
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« Encore faut-il en trouver »
« Encore faut-il en trouver », soulignait ce jeudi encore la directrice générale d'Air France , Anne Rigail. Car, pour l'heure, la production de carburant dans le monde reste ultra-confidentielle et proche de zéro en France. Et ce, bien que le gouvernement ait déjà instauré l'obligation d'incorporer 1 % de biocarburant dans le kérosène dès 2023.
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D'où l'impatience des compagnies aériennes de voir adopter un règlement obligeant les producteurs de carburant à accélérer la production de carburants durables. Air France et les principaux acteurs du secteur militaient même pour un taux d'incorporation plus ambitieux de 10 % dès 2030. Mais grâce à cette réglementation, la production européenne devrait ainsi passer de quelques centaines de milliers de tonnes à 160 millions de tonnes par an d'ici à 2050. Plus d'une centaine de sites de production, dont au moins trois en France, devraient voir le jour en Europe, avec plus de 200.000 créations d'emplois à la clef.
De quoi couvrir les besoins du transport aérien en Europe à 2050, mais aussi faire baisser le coût de ses carburants durables, aujourd'hui quatre à cinq fois plus cher que le kérosène classique. Néanmoins, même si l'Union européenne prévoit de subventionner la mise en place de cette filière, cette transition énergétique se traduira inévitablement par une hausse des tarifs aériens, de l'ordre de 8,1 % à 8,2 % selon les experts de Bruxelles.
Analyse de Jean-Marc Jancovici sur LinkedIn : "La biomasse, c'est à dire tout ce qui pousse, tout le monde en veut. Les constructeurs veulent du bois pour remplacer le béton. Les humains - plus nombreux - veulent de quoi manger. Les chimistes veulent de la matière première pour remplacer le pétrole et le gaz fossiles (toutes les fibres synthétiques, tous les lubrifiants, tous les plastiques, et plus largement toute la chimie organique vient du pétrole et du gaz). Les producteurs de vêtements veulent du coton, ou du lin.
Ce n'est pas fini : les producteurs de matériaux de construction veulent de la paille ou du chanvre pour éviter de fabriquer de la laine de verre. Les défenseurs de la biodiversité veulent que l'on laisse la nature tranquille au lieu de convertir les surfaces "sauvages" en surfaces cultivées (en cultures annuelles ou pérennes, peu importe). Et... les constructeurs d'engins de transport (voitures ou avions) veulent des agrocarburants qui sont tous issus de végétaux qui ont bien du pousser quelque part.
Mais... la terre n'a pas augmenté de diamètre alors que ces envies de recourir à des usages du sol concurrents les uns des autres se sont multipliées. Question : y aura-t-il de la place pour tout le monde ? Un rapide calcul d'ordre de grandeur montre que la réponse est non. Les agrocarburants fournissent aujourd'hui 4 millions de barils par jour sur une planète qui en consomme un peu moins de 100 de produits pétroliers (rien que le secteur aérien consomme près de 10% de cet ensemble).
La planète produit 4 milliards de tonnes de ciment (100% construction et infrastructures) et 2 milliards de tonnes d'acier (environ 50% construction et infras) par an. La récolte de bois est actuellement de 2 milliards de m3 (https://www.fao.org/3/ca7415en/ca7415en.pdf) soit un peu moins de 2 milliards de tonnes.
Sans même parler des autres usages (alimentaire, biodiversité, matériaux hors bois), y a-t-il assez de surface disponible pour mettre des "carburants verts" partout et de la construction bois partout ?
La réponse est non. Mais la Commission ne fait pas ce genre de calcul avant de décider de ses politiques pour l'avenir, qui continuent à présupposer que le monde est infini. Résultat : nous allons perdre notre temps - puisque nous n'irons pas au bout du "plan", qui est du type "croissance verte" - et ne pas régler le problème (qui se règlera donc tout seul à nos dépends puisque le monde est fini).
Dans le domaine aérien la bonne réponse est débord de faire baisser le trafic (https://theshiftproject.org/article/quelle-aviation-dans-un-monde-contraint-nouveau-rapport-du-shift/). Comme 75% de ce dernier est lié au fait de changer d'air (tourisme et loisirs) on devrait y arriver moins difficilement que dans d'autres secteurs. Inutile de rêver à un transport aérien de masse "propre". Nous y arriverions à la rigueur en diminuant l'offre alimentaire ou en augmentant la déforestation ailleurs dans le monde. Je ne sais pas si c'est très "propre"...."
(publié par Cyrus Farhangi)